Et si les processus de recrutement étaient, pour partie, responsables de la pénurie de candidats dont se plaignent de plus en plus d'employeurs ? C'est la thèse que soutient Jean Pralong, responsable de la chaire « compétences, employabilité et décisions RH » de l'EM Normandie. Auteur de plusieurs ouvrages de référence, le psychologue a cette fois passé au crible, dans une étude*, les méthodes utilisées par les responsables RH et les cabinets de recrutement pour l'embauche de « cols blancs » dans les métiers les plus recherchés : ingénieurs informatiques, dirigeants commerciaux, chargés de clientèle.... Et il plaide pour une interdiction de la chasse au « mouton à cinq pattes ».
Pour cet expert, l'approche des recruteurs est biaisée par plusieurs phénomènes, à commencer par la généralisation depuis le début des années 2000 d'un process standardisé qui, lorsqu'il est mal utilisé, débouche sur une mauvaise appréciation du profil recherché. «Beaucoup de recruteurs ont du mal à raisonner en terme de compétences, ils se font une idée un peu abstraite ce qu'est le meilleur possible » déplore t-il.
Quand Linkedin fait monter les enchères
Faute de critères objectivés, il arrive que le diplôme d'une grande école ou le passage par un grand groupe fasse office de sésame, avec pour conséquence d'assécher le gisement de candidats. « Le processus devrait, au contraire, conduire à mieux circonscrire les critères d'embauche. D'un côté ceux indispensables à l'exercice de la fonction, quatre ou cinq tout au plus. De l'autre, ceux qui relèvent du bonus, de la cerise sur le gâteau ».
La montée en puissance des réseaux sociaux professionnels rebat aussi les cartes. Parce qu'ils surexposent des candidats potentiels, Linkedin et consorts incitent les recruteurs à élever leur niveau d'exigence, quitte à décourager des postulants ou à devoir procéder ensuite à des appariements un peu bancals. « Avec les réseaux, on a l'impression que le vivier est illimité ce qui a tendance à faire monter les enchères ».
Des recruteurs trop juniors ?
Autre phénomène pointé par le psychologue : la disparition ces dernières années des services recrutements au sein des entreprises au profit de responsables RH, le plus souvent juniors, placés sous l'autorité de managers de proximité. Ces « business partners » jouissent d'une latitude moins grande que leurs prédécesseurs placés auprès des sièges. « Pour satisfaire leur n+1, ils sont moins enclins à retravailler la demande même si elle est mal formulée et à défendre le candidat là où des recruteurs plus chevronnés auraient fait valoir leur expérience », observe t-il.
De même, beaucoup de recruteurs tendent à négliger la période d'essai du candidat (« onboarding » dans le jargon). Une erreur pour Jean Pralong : « Leur rôle est de favoriser la mise en relation. Un nouvel entrant doit être accompagné non seulement pendant l'entretien avec le manager mais aussi dans les premières semaines pour faciliter son intégration » rappelle t-il. A défaut, l'entreprise pourra s'exposer à des ruptures de contrats anticipées.
*Process, mon amour. Au delà du process standard, quelles pratiques réelles et pratiques idéales pour les recruteurs en France.
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