«Il est désormais possible de gagner de l'argent dans la mobilité», Olivier Reppert

INTERVIEW. Le PDG de Sharenow, issu de la fusion des activités d'autopartage de BMW et Daimler, estime que la crise sanitaire a validé son modèle économique et attend de meilleurs ratios de rentabilité dans les années à venir. Il s'inquiète toutefois de la désaffection des transports communs qui menace l'équilibre de l'écosystème des mobilités.
Nabil Bourassi
(Crédits : ShareNow)

LA TRIBUNE - Le monde de la mobilité a beaucoup changé ces dernières années et la crise sanitaire a beaucoup impacté le comportement des gens. Quelles sont les tendances que vous observez ?

OLIVIER REPPERT - L'évolution des comportements à l'issue du premier confinement est assez fascinante. Si je prends l'exemple de Paris, nous avons observé que les usagers ont évité les transports en commun pour s'orienter vers des alternatives. Mais nous n'avons pas observé de démobilité. Au contraire, la vitesse avec laquelle les gens ont repris leurs activités a été impressionnante. Notre principal sujet d'inquiétude c'est de savoir si les gens vont reprendre les transports en commun comme avant la crise ou pas. Pour nous c'est très important, parce que notre activité s'inscrit dans une dynamique d'écosystème à laquelle appartiennent les transports en commun. Chaque élément de cette combinaison compte.

Cette crise remet-elle en cause votre modèle économique ?

Non, au contraire, les gens vont de plus en plus se familiariser avec l'autopartage, et la crise sanitaire a accéléré cette tendance. En 2020, nous avons constaté une hausse du temps d'utilisation moyen de nos services d'autopartage. Elle a augmenté de 114% par rapport à l'année précédente. C'est impressionnant. La distance moyenne de parcours a également augmenté de 22%. Il est vrai que la voiture partagée offre une sécurité sanitaire plus importante que les transports en commun. C'était l'occasion pour les gens de tester notre offre. Dans toutes les villes d'Europe, nous avons constaté une forte accélération de notre activité à chaque déconfinement. Nous espérons donc que les gens sont convaincus que la voiture partagée est un modèle vertueux de mobilité y compris en dehors d'un contexte de crise. A Paris, nous avons acquis 21.000 clients supplémentaires, ce qui porte notre parc d'abonnés à 61.000.

ShareNow a décidé de cesser ses activités aux Etats-Unis, votre stratégie est-elle de vous déployer davantage sur le continent européen ?

Nous voulons effectivement nous concentrer sur l'Europe et nous travaillons sur une implantation dans une dizaine de villes, mais la crise a freiné cette ambition. Surtout, nous souhaitons aller plus loin dans les 16 agglomérations où nous opérons déjà en augmentant le ratio d'utilisation de chacun de nos véhicules. Pour cela, nous voulons sensibiliser notre clientèle à l'extension de notre offre commerciale qui ne consiste plus seulement à louer un véhicule quelques minutes, mais plusieurs heures et jusqu'à 30 jours. Notre philosophie, c'est de convaincre les gens qu'il n'y a plus de raisons d'être propriétaire de son propre véhicule. L'autopartage permet de remplacer jusqu'à 8 véhicules particuliers pour un véhicule partagé. Nous avons 3 millions d'abonnés qui ont compris notre philosophie, nous pensons qu'il est possible d'aller encore plus loin dans notre périmètre géographique actuel.

Votre offre ressemble de plus en plus au modèle des loueurs classiques de voiture...

La tendance est probablement à une fusion des deux modèles. Mais il faut bien reconnaître que nous avons pris une longueur d'avance en matière de digitalisation du parcours client. Je suis étonné de voir le retard pris par certains acteurs traditionnels de la location de voiture.

Les loueurs traditionnels ont certes traversé une année 2020 complexe, mais leur modèle économique était plutôt rentable jusque-là. C'est beaucoup moins le cas d'acteurs dit de mobilité alternative...

C'est vrai que ce n'est pas facile de gagner de l'argent dans la mobilité, mais cela a beaucoup changé ces dernières années. Il y a de plus en plus de villes profitables. Nous avons également rationalisé notre structure de coûts opérationnels, et comme je le disais, l'augmentation du ratio d'utilisation de nos véhicules sera un levier majeur pour encore améliorer notre rentabilité.

L'autre modèle, c'est le MaaS (Mobility as-as-service), où l'intégration multimodale à travers une application unique. Vous ne vous inscrivez pas du tout dans cette dynamique très à la mode et appréciée par les collectivités locales. Pourquoi ?

La mobilité multimodale n'aura de succès qu'avec l'émergence d'un écosystème efficient au milieu duquel, les transports en commun joueront un rôle majeur. Notre offre s'intègre bien entendu dans cette dynamique parce que nous n'avons jamais imaginé qu'un usager utiliserait que de l'autopartage pour se déplacer. Il cherche de la flexibilité. Malheureusement, chaque ville développe son propre écosystème MaaS, ce qui empêche de définir des standards.

Le MaaS est souvent décrit comme la possibilité de voir apparaître un intégrateur de mobilité, au détriment de l'opérateur que vous êtes, vous reléguant au rôle d'exploitant d'infrastructure. Sur la chaîne de valeur, vous seriez perdant...

L'opérateur ne disparaît jamais complètement, dissous dans un écosystème MaaS. Sur des usages ponctuels, il est utile, mais pour des usages de plus de 24h, l'usager bascule nécessairement sur notre propre application. Le MaaS est un bon moyen de faire découvrir notre proposition de valeur, au-delà d'une démarche multimodale.

ShareNow est issue de la fusion entre Car2Go (Daimler) et Drive Now (BMW). Le marché va-t-il poursuivre sa consolidation ?

Il y a un gros intérêt autour de l'autopartage. Il y a déjà eu un premier mouvement de consolidation et de rationalisation. La tendance est probablement encore là, mais l'heure est surtout à l'acquisition de clients. Le marché est loin d'être saturé.

Propos recueillis par Nabil Bourassi

Nabil Bourassi

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Commentaire 1
à écrit le 10/02/2021 à 8:49
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"L'homme d'action roule comme roule la pierre, conformément à la stupidité de la mécanique" Nietzsche

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