Attaché sur leurs sièges, les passagers sont ballotés virtuellement au-dessus de la Manche baignés dans le bruit des moteurs et les odeurs d'huile chaude. Par le hublot, ils peuvent apercevoir les files de navires qui s'apprêtent à débarquer les GI's sur les plages normandes.
Bienvenue à bord du C-47, l'avion de transport de troupe qui largua les parachutistes de la 101ème Airbone au-dessus du Cotentin dans la Manche, le 6 juin 1944. Monté sur des vérins pneumatiques, ce simulateur unique au monde a été racheté à Steven Spielberg par le musée DDay Experience situé près de Carentan dans la Manche.
Ouvert au public depuis 2015, c'est l'une des nombreuses attractions imaginées par les Normands pour éviter que le souvenir du débarquement ne s'éteigne en même temps que les derniers vétérans. Un peu partout, l'offre se renouvelle. Finies les analyses sur la stratégie militaire, les cadences de tir ou le gabarit des canons. Désormais, les exploitants misent davantage sur la dimension humaine. « La jeune génération montre moins d'appétence pour ce que j'appelle le tourisme Call of Duty [du nom d'un jeu vidéo de tir sur la guerre ndlr]. Elle veut comprendre pourquoi les gens se sont battus. Alors, on préfère effectuer des recherches historiques pour emmener les gens sur les traces de leur arrière-grand-père par exemple », explique Vincent Huet, co-gérant du tour-opérateur Gold Beach Company installé à Bayeux dans le Calvados.
La manne du tourisme de mémoire
Comme lui, beaucoup d'exploitants évoluent pour coller à l'air du temps. Selon une étude du cabinet Egis Voltere, près de 80 millions d'euros ont été investis au cours de la dernière décennie pour moderniser la scénographie des musées, rénover ou agrandir des installations ou en créer de nouvelles telles que le mémorial britannique de Ver-sur-mer inauguré en 2021 et... déjà en passe d'être étendu. « La culture du souvenir est très ancrée ici. Par conséquent, les acteurs ne restent pas statiques ce qui nous prémunit de basculer dans un tourisme de niche », se félicite Nathalie Porte, vice-présidente de la Région en charge de l'attractivité.
Il faut dire qu'une large part de l'économie touristique locale en dépend. Aujourd'hui, les sites de la grande guerre constituent la première thématique de visite du territoire régional. Leur fréquentation a été multipliée par dix en l'espace de vingt ans avec, dans le tiercé de tête, le cimetière américain de Colleville suivi de la pointe du Hoc, du Memorial de Caen et du musée d'Arromanches, lui aussi en pleine cure de jouvence sur un mode plus immersif. À la clef pour la région, plus de 8.000 emplois directs ou indirects et entre cinq et six millions de visiteurs par an (dont plus de 40% d'étrangers) sans oublier une pluie de devises qu'Egis Voltere évalue à près d'un milliard d'euros par an, hébergement compris.
Cette manne est du pain béni pour une multitude de localités de la Normandie occidentale. Installé depuis dix ans à La-Haye-du-Puits dans la Manche, le guide indépendant britannique Jonathan Crowe peut en témoigner. « Toutes les petites villes autour de Sainte-Mère-l'Eglise par exemple ont construit des mémoriaux ou créé des événements qui attirent des Néerlandais, des Américains et même maintenant des Polonais ou des Tchèques », indique t-il. Même constat chez Vincent Huet qui dit enregistrer une croissance continue de son activité. D'une personne à sa création il y a vingt ans, son entreprise compte aujourd'hui une vingtaine de collaborateurs. « Je n'ai aucune inquiétude pour le futur parce que les visiteurs continuent de venir en masse », assure t-il.
Vers un classement des plages du débarquement ?
Les institutions s'appliquent, elles aussi, à perpétuer le souvenir. La communauté urbaine de Caen a ainsi vigoureusement soutenu la création du Moho, un vaste tiers-lieu culturo-scientifique qui a pour objectif « de remobiliser des collectifs de change makers, inspirés des valeurs du DDay, pour faire face aux grands enjeux contemporains ». De son côté, le Comité du débarquement travaille avec les autres sites européens de la grande guerre (dans le Var et en Sicile notamment) sur la création d'une « route de la libération ».
Dans la même veine, le président de la Région a écrit, il y a quelques jours, à Emmanuel Macron pour l'inviter à relancer le classement des plages du débarquement au patrimoine mondial de l'Unesco. « La présence des chefs d'Etat et de gouvernement que vous inviterez à participer à la commémoration du 80ème anniversaire du Débarquement en Normandie, me semble être le cadre opportun d'une initiative, permettant l'affirmation d'un soutien international fort à la demande portée par la France », souligne Hervé Morin dans son courrier. Là encore, une façon d'entretenir la flamme.
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