Air France : la renégociation anticipée de l'accord des hôtesses et stewards échoue

La conclusion d'un accord pour améliorer la compétitivité des stewards et hôtesses entre direction d'Air France et syndicats n'est sans doute pas passée loin. Mais les urnes ont tranché et le texte est resté lettre morte. Celui-ci prévoyait d'abaisser le nombre de PNC sur les avions long-courriers avec plusieurs dizaines de millions d'euros d'économies à la clef pour la compagnie, touchée de plein fouet par l'effondrement du trafic aérien. Elle devra donc encore patienter plusieurs mois pour y arriver, mais proposera sans doute moins de contreparties désormais.
Léo Barnier
Air France veut des nouvelles règles pour économiser sur les compositions d'équipages.
Air France veut des nouvelles règles pour économiser sur les compositions d'équipages. (Crédits : GONZALO FUENTES)

La direction d'Air France a voulu aller vite en renouvelant dès cette année l'accord collectif pour les personnels navigants commerciaux (PNC) qui court jusqu'en octobre 2022, dans le but de pérenniser des mesures d'économies et préparer au mieux la future recapitalisation de la compagnie. Un effort d'anticipation vain : après plusieurs mois de négociations complexes et intenses, les adhérents de deux des quatre organisations syndicales représentatives ont rejeté le texte mi-novembre. Confrontée à la dégradation rapide de la situation sanitaire et des perspectives de reprise, la compagnie française devra finalement attendre 2022 avant de remettre le sujet sur la table, au plus tard en juin. Et si aucun compromis n'est trouvé d'ici la fin de l'accord actuel en octobre 2022, elle disposera alors de la possibilité d'agir de façon unilatérale.

Deux camps bien marqués

Les consultations tenues du 2 au 14 novembre par les organisations salariales auront donc eu raison du projet d'accord collectif des hôtesses et stewards. Les résultats ont laissé paraître un fort écart entre les différentes parties : l'Intersyndicale PNC - composée de l'UNSA PNC et du SNPNC-FO - s'est positionnée en faveur du texte et a été suivie par ses adhérents. Pour chacun des deux syndicats, les trois-quarts des votants se sont prononcés en faveur de l'accord. A l'inverse, l'UNAC s'est déclarée « très réservé(e) quant à l'équilibre et l'impact de cet accord » tout en laissant le choix à ses adhérents d'exprimer leur position. Le résultat a été sans appel avec près de 80 % de refus de l'accord.

Syndicat majoritaire chez les PNC d'Air France, le SNGAF a lui fait le choix de ne pas se prononcer pour laisser là aussi le soin à ses adhérents de trancher, comme l'explique son secrétaire général Sébastien Portal. Et c'est le non qui l'a emporté à 72 %. Le SNGAF et l'UNAC cumulant une audience de représentativité d'un peu plus de 51,3 % en vertu des résultats des élections professionnelles de 2019 - contre 48,7 % pour l'Intersyndicale PNC - le projet d'accord collectif a été rejeté.

Ce nouveau texte devait encadrer l'ensemble des conditions de travail ainsi que des règles d'utilisation des stewards et des hôtesses pendant quatre ans, jusqu'en octobre 2025, afin de remplacer l'accord actuel (2017-2022).

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Moins de PNC par passagers, 60 millions d'euros économisés

Dans ce cadre très large, les compositions d'équipage (PEQ) ont constitué le principal enjeu des négociations. La direction a ainsi proposé de nouvelles règles de service simplifiées en vue de réduire les effectifs à bord. L'accord devait ainsi aboutir à la disparition d'un poste de PNC en classe économique sur une partie de la flotte long-courrier : sur les Boeing 777-200 et 777-300ER en fonction des configurations de cabine, ainsi que sur les 787. Des projets de rétrofit cabine d'ici fin 2022 étaient même prévus pour optimiser ces évolutions. Le ratio en classe économique serait ainsi passé de 1 PNC pour 48 passagers à 1 pour 51.

Quelques adaptations étaient aussi prévues sur le moyen-courrier, pour un gain total de l'ordre de 750 à 800 équivalent temps plein (ETP). Selon Christelle Auster, présidente du SNPNC, cela aurait permis à Air France d'absorber les nombreux départs naturels à venir chez les PNC, mais aussi de ne pas avoir à recruter pour l'arrivée de nouveaux Airbus A220 et A350 dans la flotte.

Cette adaptation des équipages s'inscrivait ainsi dans la stratégie de la direction de recherche de compétitivité avec des mesures d'économies complémentaires pérennes. Bien qu'aucun chiffre n'ait été présenté officiellement, cela aurait pu représenter entre 50 et 65 millions d'euros par an. Les nouvelles règles seraient ainsi venues se substituer à l'accord dit « de modulation » signé en octobre 2020, qui permet actuellement d'adapter le nombre de PNC sur un vol en fonction du nombre de passagers à bord. Lié à l'accord sur l'activité partielle de longue durée (APLD), celui est temporaire et doit prendre fin en décembre 2022 (ou dès lors qu'un accord pérenne sera conclu).

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D'importantes contreparties dans la balance

Face à l'importance de l'adaptation des compositions d'équipage, les syndicats ont demandé à lier cette question à la renégociation du reste de l'accord collectif comme l'explique Christelle Auster. Une demande acceptée par Air France, visiblement prête à offrir de contreparties pour obtenir ce nouvel effort de la part aux stewards et hôtesses, déjà frappés par les baisses d'effectifs (départ de 1.170 en rupture conventionnelle collective en septembre 2020), le gel salarial et la perte de trois jours de congés annuels lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) début 2021, les dérogations sur les vols...

La direction d'Air France a ainsi entamé les négociations avec la volonté apparente de trouver un accord équilibré. Elle a rapidement apporté des garanties sur l'emploi en s'engageant à maintenir les rémunérations et à ne pas réaliser de licenciements secs sur la durée de l'accord, soit jusqu'en octobre 2025. Le recours à des ruptures conventionnelles collectives ou des plans de départs volontaires restait ouvert.

Bien que le contexte ait changé en quatre ans - le transport aérien européen et Air France sont passés d'une période faste à une crise sans précédent - la direction a également accepté de reconduire la majeure partie des mesures déjà en place depuis 2017 ou instaurées par des avenants depuis 2019. Dans un courrier aux salariés daté du 7 novembre, que La Tribune s'est procurée, la directrice générale d'Air France Anne Rigail évoquait ainsi « un texte qui est particulièrement protecteur pour les PNC et qui reconduit d'emblée plus de 95% de l'accord actuel ». Un pourcentage confirmé par les différentes organisations syndicales.

Dans une communication à ses adhérents, l'Intersyndicale PNC se réjouissait pour sa part d'avoir « arraché » cette prolongation de quatre ans avec « le maintien des avancées majeures » dont la stabilité du planning, des primes de Noël, une journée d'absence pour raisons impératives « Joker » déposable le jour même, la possibilité de se déclarer volontaire pour une rotation supplémentaire (« OK Vol »), etc. Marc Lamure, secrétaire général de l'UNSA Air France, mentionne aussi l'obtention de l'extension des primes de départ dite « « 55-56 » au-delà de 56 ans pour répondre à l'allongement des carrières. La mise en place d'un nouveau système de planning a également fait partie des discussions. Pour Christelle Auster, au vu du contexte de crise, un certain équilibre avait donc été atteint.

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Des éléments encore en suspens

Malgré leur satisfaction globale après des négociations complexes, Marc Lamure comme Christelle Auster précisent que certains points restaient tout de même à négocier au moment où la direction a clos les négociations fin octobre. Cela concernait principalement des règles d'utilisation sur la fin des découchés pour les vols vers Le Caire, Beyrouth, et Tel Aviv, et les temps de repos sur les multi-tronçons.

Si le reste du texte avait été ratifié par les adhérents des syndicats, ces points auraient dû être discutés séparément après la signature, contrevenant ainsi au principe d'indivisibilité posé dans l'accord de 2017. Bien qu'il juge que trouver un terrain d'entente était possible, Marc Lamure reconnaît que cette négociation en deux temps imposée par la direction était source de difficultés. Sébastien Portal se montre moins conciliant : il estime que cela représentait un risque pour l'équilibre global de l'accord, constituant ainsi un point de blocage pour les PNC lors du vote.

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Un calendrier anticipé, qui a fini par glisser

La direction avait pourtant largement anticipé son calendrier. Les premiers contacts sur ce dossier ont eu lieu dès le mois de janvier 2021. Les discussions ne sont pas allées plus loin à ce moment-là en raison de leur juxtaposition avec les négociations annuelles obligatoires (NAO). Une fois celles-ci entérinées en mai, avec une réduction de trois jours de congés annuels et un nouveau mode de financement de la prime de fin d'année, la direction a remis le métier sur l'ouvrage en juin.

Devant l'importance de certaines propositions, certains syndicats ont poussé et obtenu de la part de la direction d'avoir l'été pour travailler sur les différents dossiers. Une décision qui n'a pas été du goût de l'UNSA, qui aurait préféré attaquer dès l'été afin de disposer d'un calendrier plus confortable.

Quoi qu'il en soit, les négociations ont donc réellement débuté en septembre. A en croire Sébastien Portal du SNGAF, la direction a alors fait part de sa volonté d'obtenir des avancées rapides en dépit d'une convention collective et d'un accord de modulation valides pour encore un an, insistant tout particulièrement sur la nécessité de conclure un accord sur les compositions d'équipage avant la fin de l'année, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2022.

Cet empressement a été justifié par Anne Rigail dans son courrier du 7 novembre : « Le choix d'un calendrier de renégociation anticipé de l'accord collectif PNC répond au besoin de visibilité dans la période de forte incertitude que nous traversons, tout autant du point de vue de l'entreprise que de celui des PNC et non par une volonté de "profiter de la situation de crise". [...] Conclure maintenant les négociations PNC nous permettra de nous concentrer sur le redressement de l'entreprise. »

Selon Sébastien Portal, la direction d'Air France a également déclaré que ce calendrier tenait aussi à l'objectif de recapitalisation à court terme du groupe. La conclusion d'un accord aurait ainsi permis de présenter à d'éventuels nouveaux investisseurs un dialogue social apaisé et les bases d'une compétitivité améliorée. Pour Marc Lamure, Air France souhaitait également parer rapidement à la perte d'efficacité des mesures de modulation, amoindries par la remontée des taux de remplissage.

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Un ultimatum mal vécu

Ce ne sera donc pas le cas. L'accord de 2017 est toujours en vigueur pour l'instant et les suites qui seront données par la direction restent floues pour l'instant. Toujours dans son courrier de novembre, Anne Rigail prévenait les salariés que « compte tenu de la situation, nous ne poursuivrons pas les négociations si l'accord ne recueille pas un avis favorable majoritaire ». Une déclaration qui, diffusée en plein milieu de la consultation, a été jugée comme maladroite par plusieurs syndicats et interprétée comme une forme de pression par un certain nombre de PNC. « Ils ne se sont pas aidés », laisse ainsi entendre un représentant syndical, tandis qu'un autre parle même de point de bascule dans le vote.

Air France semble pour l'instant tenir cette ligne. Comme le note Christelle Auster du SNPNC, la direction n'a pas réouvert la porte à des négociations après le refus des adhérents comme cela avait déjà pu être le cas par le passé. La dégradation de la situation sanitaire n'encourage d'ailleurs pas à l'anticipation, comme cela pouvait être encore le cas pendant les négociations. Air France ne semble ainsi pas en mesure de se projeter sur les mois à venir, alors que la crise mobilise toutes les énergies sur la bonne tenue de l'exploitation d'ici la fin de l'année.

Air France n'a en tout cas rien laissé transparaître de ses futures intentions, que ce soit pour la composition équipage ou l'ensemble de l'accord collectif - qui seront de plus en plus difficiles à dissocier au fur et à mesure que l'échéance d'octobre 2022 approche. Dans les faits, rien n'empêche la direction de se remettre à la table des négociations si elle le souhaite, que les conditions s'améliorent ou qu'elle veuille préparer au mieux la future recapitalisation, qui doit intervenir au plus tard avant l'assemblée générale de mai 2022. Dans le cas contraire, les positions pourraient rester figées jusqu'aux alentours du mois de juin, la loi obligeant à renégocier les accords à durée déterminée plusieurs mois avant leur échéance.

Ce qui semble sûr, c'est qu'Air France ne devrait pas aller au-delà de ce qu'elle a déjà pu proposer lors des négociations de cet automne. Au vu de la dégradation de la situation sanitaire depuis quelques semaines, qui a de nouveau repoussé la perspective d'une reprise durable, cela pourrait au contraire tendre vers une révision des contreparties à la baisse.

Léo Barnier

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Commentaires 6
à écrit le 11/12/2021 à 7:37
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Leon : Quel argent de VOS impôts ? AF est une entreprise privée depuis 2004. Le transport Aérien à rapporté 81M€ au PIB en 2015 par exemple, avec 2M€ d'achats rien que pour l'Ile de France. Les prêt (PGE) consentis l'an dernier sont des prêts privés,...

à écrit le 11/12/2021 à 3:44
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Avec Omicron, les besoins de la compagnie ne vont pas redécoller avant la fin des accords actuels... la compagnie sera alors en position de force pour imposer des conditions beaucoup moins favorables aux PNC, et ces derniers n'auront pas le choix !!!...

à écrit le 10/12/2021 à 14:18
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Un des boulets que traîne Air France depuis toujours c'est les conditions de travail léonines de ses pilotes séniors. Le second est le peu de bonne volonté d'un grand nombre de personnels de cabine: peu aimable, peu accueillant, peu prêt à aider les ...

le 10/12/2021 à 15:19
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N'y a t'il pas moyen de dépenser l'argent de nos impots de façon plus équitable vis à vis de mes concitoyens que subventionner cette entreprise en faillite perpétuelle ? Les PNC pourront toujous se reconvertir dans la restauration qui manque de bras...

le 11/12/2021 à 7:24
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M. Durand : C'est écrit en gros dans le titre : LES P-N-C , avec un C comme Commercial, donc on parle ses hôtesses et des steward. Et vous, vous commencez par parler des pilotes ? Ils ont leur propre accord. Ensuite vous enchainez sur une comparaison...

à écrit le 10/12/2021 à 13:30
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Peut-être peut-on préciser que les propositions d'Air France auraient entraîné des réductions de services notamment pour les passagers business sur les "longs" vols moyen courrier (plus de repas chaud sur Athènes, Marrakech, etc).

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