Alan Joyce, l'emblématique patron de Qantas quitte la compagnie australienne par la petite porte

En 15 ans à la tête de Qantas, Alan Joyce aura connu des records de pertes comme de profits, des réussites durables comme des échecs cinglants. Mais après avoir véritablement incarné la compagnie australienne, le dirigeant laisse sa place dans un climat lourd sur le plan social et politique. Retour sur le parcours du patron emblématique de Qantas.
Léo Barnier
Alan Joyce, ici aux côtés du président exécutif d'Airbus Guillaume Faury, a été une personnalité marquante et clivante de l'aérien pendant 15 ans.
Alan Joyce, ici aux côtés du président exécutif d'Airbus Guillaume Faury, a été une personnalité marquante et clivante de l'aérien pendant 15 ans. (Crédits : DR)

C'est une fin en queue de poisson pour Alan Joyce chez Qantas. Après 22 ans passés au sein de la compagnie nationale australienne, dont 15 en tant que directeur général, l'Irlandais de 57 ans a quitté ses fonctions de façon abrupte ce mercredi. Certes, son départ avait déjà été annoncé depuis le mois de mai - au profit de Vanessa Hudson, jusqu'ici directrice financière du groupe et qui deviendra la première femme à diriger Qantas - mais celui-ci n'était prévu qu'en novembre. Un sacré coup dur pour celui qui a incarné Qantas pendant si longtemps et s'est imposé comme l'une des figures du transport aérien mondial. Après avoir surmonté de nombreuses crises depuis 2008, il n'a cette fois pas pu résister.

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Un mariage raté d'entrée avec BA

Lorsqu'il prend la tête du groupe Qantas en novembre 2008, après avoir dirigé la filiale à bas coût Jetstar Airways, Alan Joyce s'attaque tout de suite à un projet très ambitieux qui aurait pu faire de sa compagnie l'un des géants du transport aérien mondial : la fusion avec British Airways, alors dirigé par un monstre sacré de l'aérien, Willie Walsh. Dévoilé en décembre, le projet capote deux semaines plus tard, les discussions achoppant sur le poids respectif de deux compagnies dans le nouvel ensemble et la volonté de British Airways de fusionner également avec Iberia (fusion qui donnera naissance au groupe IAG en 2010).

Malgré cette fusion avortée, Qantas résiste bien à la crise financière mondiale de 2008-2009. Même l'accident du vol QF32 fin 2010, ne parvient pas à ébranler la compagnie. Le coup est pourtant rude pour Alan Joyce et ses équipes : une explosion non-contenue a lieu sur un moteur de l'un des 12 Airbus A380 de la compagnie. L'appareil se pose en urgence à Singapour, avec l'aile endommagée. Alan Joyce cloue alors au sol la flotte, qui ne reprendra du service que trois semaines plus tard.

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Qantas finit tout de même par être rattrapé par les difficultés, notamment sur le long-courrier, et connaît en 2012 ses premières pertes depuis près de 20 ans (exercice 2011-2012, Qantas clôturant ses comptes au 30 juin). Alan Joyce réagit en scindant les activités domestiques et internationales en deux entités distinctes, avec plus de 1.200 licenciements.

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Lune de miel avec Emirates et vols géants

Le dirigeant lance aussi quelques mois plus tard une alliance non-capitalistique de grande ampleur avec Emirates, qui devient son principal partenaire international à la place de British Airways. Avec 50 destinations en partage de codes, des prix et des horaires coordonnés, Dubaï devient l'un des principaux hubs (plateforme de correspondance) pour les passagers de Qantas entre l'Europe et l'Australie au détriment de Singapour. Si l'objectif de 98 destinations annoncé au départ n'est plus de mise, le partenariat est un succès et vient d'être renouvelé jusqu'en 2028.

Le patron de Qantas devra tout de même attendre jusqu'en 2015, et 5.000 licenciements de plus, avant de voir son groupe sortir véritablement la tête de l'eau. Mais, il va ensuite enchaîner les années record jusqu'en 2019. De quoi s'attaquer à des projets symboliques comme le lancement en 2016 d'un vol non-stop sur la mythique « Kangaroo Route », soit pas moins de 17 heures de vol entre Perth (Est de l'Australie) et Londres, 14.500 km. Puis du projet « Sunrise » l'année suivante, qui doit relier Sydney (Ouest de l'Australie) à Londres et New York à partir de 2022 avec des A350-1000 spécialement adaptés. Avec l'irruption du Covid, Alan Joyce réitère sa confiance dans le « potentiel immense » du projet, malgré les critiques sur la durée des vols, mais se voit contraint de le repousser. Il est désormais prévu fin 2025.

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La claque du Covid

Mais le Covid a des conséquences bien plus graves pour Qantas. L'Australie adopte une politique « zéro Covid » avec une fermeture stricte des frontières pendant près de deux ans. Et lorsqu'elle les ouvre à nouveau pleinement, en juillet 2022, Qantas a perdu plus de 6 milliards de dollars australiens (plus de 3,5 milliards d'euros). Alan Joyce lance une restructuration drastique et plus de 8.500 emplois sur 30.000 sont supprimés en deux ans, malgré plus deux milliards de dollars d'aides publiques.

Malgré tout, Alan Joyce tente de faire redémarrer la machine dès 2021 en préparant le retour en service des A380 pour l'année suivante, et surtout en plaçant une commande géante auprès d'Airbus juste avant Noël. Avec 40 A321 XLR et A220-300, assortis de 94 options, c'est la plus grosse commande de l'histoire de la compagnie australienne. Et en juillet dernier, Qantas annonce son premier bénéfice annuel depuis le début de la crise avec 1,1 milliard de dollars (1 milliard d'euros).

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Crise politique

Cela n'aura pas suffit à Alan Joyce pour sauver son poste. Honni par les syndicats depuis les licenciements massifs de 2020 et 2021, le directeur général part dans un climat de crise. Comme le rapporte l'AFP, le secrétaire national du syndicat des travailleurs des transports Michael Kaine, a salué le départ d'Alan Joyce comme « la première bonne décision » prise par la compagnie « depuis un très long moment ». Le sénateur travailliste Tony Sheldon, ancien dirigeant du Transport Workers Union, estime pour sa part que « l'héritage d'Alan Joyce à Qantas est désormais synonyme de bas salaires, de travail précaire, de licenciements illégaux et d'escroquerie à la consommation ».

Outre le climat social, Alan Joyce fait l'objet d'une vive polémique en Australie depuis une semaine et l'ouverture d'une enquête de la part de l'autorité de régulation de la concurrence. Celle-ci l'accuse, selon Reuters, d'avoir vendu des billets pour quelque 8 000 vols au milieu de l'année 2022 alors qu'ils avaient été annulés, violant ainsi la loi australienne sur la consommation. De même, les critiques sont nombreuses sur les pratiques tarifaires de Qantas, ainsi que les pressions faites pour que l'Australie n'accorde pas de nouveaux droits de trafic à des concurrents étrangers comme Qatar Airways.

Pour sa part, Alan Joyce a déclaré : « Au cours des dernières semaines, l'attention portée à Qantas et les événements passés m'ont clairement fait comprendre que la compagnie devait s'atteler en priorité à son renouvellement. La meilleure chose que je puisse faire dans ces circonstances est d'anticiper mon départ à la retraite et de passer le relais à Vanessa et à la nouvelle équipe de direction, sachant qu'ils feront un excellent travail. »

Léo Barnier

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Commentaire 1
à écrit le 05/09/2023 à 21:55
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Il faut reconnaitre au Privé des méthodes expéditives. Si l'on avait appliqué ces méthodes à notre pétaudière française, notre président serait de nouveau élu par nos députés qui ne seraient plus salariés, auraient des réunions plus conciliantes et s...

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