Crise en mer Rouge  : des conséquences limitées pour les ports français... pour le moment

La crise de la mer Rouge est loin d'être sans conséquence : risques pour les navires et leurs équipages, allongement des parcours, envolée des tarifs... Pourtant, en bout de chaîne, les ports français semblent plutôt bien s'adapter à cette pagaille généralisée avec des perturbations limitées. Mais la prolongation de cette situation fait craindre des conséquences plus importantes. Analyse.
Léo Barnier
Pour l'instant, les ports français (ici, Le Havre) ont surtout subi les retards liés à la crise en mer Rouge.
Pour l'instant, les ports français (ici, Le Havre) ont surtout subi les retards liés à la crise en mer Rouge. (Crédits : Haropa Port)

D'abord marginale, la menace créée par les rebelles Houthis à l'encontre des navires transitant par la mer Rouge n'a cessé de se renforcer tout au long du mois de janvier. Depuis fin 2023, plus de 35 attaques ont été recensées par le Pentagone. Face à cette menace, le trafic maritime entre l'Asie et l'Europe s'est largement dérouté pour éviter la zone et donc le Canal de Suez - qui voyait jusqu'ici passer environ 10 % du commerce mondial - pour passer par le cap de de Bonne-Espérance.

Un changement  d'itinéraire qui allonge les temps de trajets de manière significative. Ce qui impacte l'ensemble de la chaîne logistique, dont les ports français comme Marseille et Le Havre. A première vue, ceux-ci semblent plutôt bien surmonter la situation... à condition qu'elle ne s'éternise pas.

Comme l'explique Stéphane Defives, directeur du transport maritime chez Kuehne+Nagel France, environ 90 % des bateaux devant passer initialement par Suez pour relier l'Asie et l'Europe, ont décidé de contourner l'Afrique. Il y a une semaine, il y avait encore 250 navires environ dans cette situation, soit une capacité « assez conséquente » de plus de 3 millions de conteneurs équivalents vingt-pieds (EVP). Sans compter les près de 200 navires qui avaient déjà achevé le contournement.

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Ni perte, ni congestion pour le moment

Face à cette situation, Stéphane Raison, directeur général et président du directoire d'Haropa Port (gestionnaire des ports de Paris, Rouen et Le Havre), assure n'avoir pas perdu de trafic pour le moment. Même s'il admet que quelques navires ne sont pas arrivés, le principal impact consiste donc en un décalage d'une quinzaine de jours.

Un constat confirmé par Stéphane Defives, : « Toutes les marchandises qui sont parties d'Asie il y a quelques semaines et qui étaient destinées à la France vont arriver en France, mais avec 15 à 18 jours au port du Havre par exemple. [...] A part les retards, il n'y a pas d'impact sur les ports français en tant que tel. »

La situation a tout de même provoqué quelques concomitances dans les arrivées de certains bateaux, avec un pic autour du 15 janvier, qui a été absorbé sans trop de difficulté. Cela tient notamment à un niveau de remplissage des terminaux peu élevé (50 à 60 %), loin des phénomènes de saturation connus lors du Covid (95 %).

« La congestion, avec parfois 50 navires en attente devant Rotterdam, Anvers, ou chez nous, est finie », explique Stéphane Raison. Il ajoute que les terminaux ont amélioré leur productivité depuis la crise sanitaire, en investissant dans des nouveaux matériels. Ce qui a évité de voir certains navires annuler leur escale au Havre, pour filer directement sur les ports du Nord comme pendant la crise sanitaire. Un constat là aussi partagé par Stéphane Defives.

Légère crainte avec le Nouvel an chinois

Pour autant, cette crise en mer Rouge n'est pas non plus sans conséquence, notamment en raison du Nouvel an chinois, qui se tiendra le 10 février. La production en Chine va fortement ralentir dans les prochains jours, puis être à l'arrêt pour une semaine, avant de redémarrer progressivement. Soit trois semaines de perturbations comme chaque année.

Mais le problème cette fois-ci est que les navires qui avaient prévu d'arriver en Chine ces jours-ci pour être chargés juste avant ce grand ralentissement, ne sont plus en mesure de le faire à cause de l'allongement du parcours. Sur ce point, Stéphane Raison concède que l'événement ne sera sans doute pas neutre. « Pour l'instant, nous n'avons pas chiffré l'impact », lâche-t-il ainsi.

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Passer le Cap de Bonne-Espérance, une nouvelle normalité

D'autres perturbations pourraient se faire sentir si la situation venait à se prolonger. « C'est un sujet de préoccupation », avait reconnu pour sa part Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du port de Marseille-Fos, mi-janvier. « Il n'y pas d'effet massif sur le port mais nous pouvons penser que si la situation dure il y aura un impact sur les flux, principalement pour l'axe Est-Ouest », avait-il ainsi déclaré.

Dans les faits, le trajet par le Cap de Bonne-Espérance, jusqu'ici exceptionnel, est en passe de devenir la nouvelle normalité tant que la situation en mer Rouge n'est pas apaisée. Les prochaines rotations seront donc ainsi toutes de l'ordre de 12 semaines, soit deux à trois de plus que par le Canal de Suez. Des délais qui vont impacter fortement les chaînes d'approvisionnement, indique Stéphane Defives.

L'impact sera sans doute encore plus conséquent pour les ports de la Méditerranée, dont Marseille-Fos comme le résumait Hervé Martel, son président du directoire : « Globalement ce n'est pas bon pour nous, la Méditerranée va être plus impactée que le Range Nord (façade portuaire du Nord de l'Europe) puisqu'il faudra faire un détour pour rentrer alors qu'habituellement les navires y passent avant de remonter vers l'Europe du Nord. »

Cet allongement généralisé des temps de trajet pourrait donc signifier une baisse du nombre de rotations. Pour Stéphane Raison, cela va dépendre avant tout de la capacité des armateurs à ajouter des navires supplémentaires sur les liaisons : « Cela dépend du nombre de navires que vous opérez. Si vous ajoutez deux ou trois navires sur une rotation qui en comptait douze, vous allez récupérer les 15 jours. La grande question est de savoir si vous êtes capables de les aligner ou non. »

Et sur ce point, il affiche une certaine confiance : « Comme les armateurs ont tous acheté des navires, en théorie oui. Et s'ils ne les ont pas, ils vont les louer. » C'est ce qu'a fait MSC « assez facilement », selon lui, mais « peut-être un tout petit peu moins facile pour les autres ». Il estime ainsi que le trafic va revenir dans un « mode normal, même s'il apparaît relativement bizarre de repasser par l'Afrique du Sud à la place du canal du Suez ».

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Des prix deux à trois fois plus élevés

L'autre conséquence majeure de ces attaques en mer Rouge est « l'envolée des prix », comme le signale Stéphane Defives pour Kuehne+Nagel. S'ils sont encore loin du niveau connu à l'été 2021, les taux de fret ont doublé, voire triplé entre l'Asie et l'Europe en l'espace de quelques jours.

Il explique cela naturellement par le manque de capacité engendré par le contournement « à un moment clé dans l'année » avec une demande soutenue, mais pas seulement. Il mentionne la surconsommation des navires, les primes d'assurance « qui se sont elles aussi envolées », mais aussi l'apparition « de problématiques d'équipements et de disponibilité de conteneurs vides ». Il reconnaît que le phénomène est moins important et généralisé que pendant le Covid, en particulier grâce à l'intégration d'un grand nombre d'équipement neufs depuis 2021, mais il estime tout de même que cela crée des tensions dans des ports chinois majeurs comme Shanghai et Ningbo. « Tout ce cocktail fait que vous avez une grosse tension et une pression sur les frets maritimes », conclue-t-il.

Indicateur de référence en la matière, l'indice « Shanghai Containerized Freight Index » (SCFI) est monté au-delà de 3.100 dollars pour un conteneur EVP entre l'Asie et le Nord de l'Europe mi-janvier avant de redescendre vers les 2.700 dollars actuellement. Le constat est encore plus fort pour les ports de la Méditerranée, où le conteneur a dépassé les 4.000 dollars avant de repartir lui aussi à la baisse. Mi-décembre, avant que la crise en mer Rouge ne prenne autant d'ampleur, le conteneur était juste au-dessus des 1.000 dollars pour le « Range Nord » de l'Europe, et à un peu plus de 1.500 dollars pour la Méditerranée.

« Cela peut aussi avoir un impact sur les volumes », s'est ainsi inquiété récemment Christophe Castaner. La hausse des prix peut avoir un impact négatif, alors que la consommation progresse très faiblement au sein de l'Union européenne, déjà largement touchée par l'inflation depuis deux ans. Elle favorise aussi le développement d'alternatives, à l'image de Kuehne+Nagel qui met en avant sa solution hybride Sea-Air (acheminement par bateau jusqu'à Dubaï ou Los Angeles, puis fin du trajet en avion).

Certains industriels comme Stellantis se sont même tournés vers l'aérien pur pour assurer la continuité de leurs chaînes d'approvisionnement en dépit de prix bien plus élevés. Le recours au fret ferroviaire est en revanche limité, car les voies de communications terrestres passent aujourd'hui essentiellement par la Russie.

Léo Barnier

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Commentaires 2
à écrit le 02/02/2024 à 15:13
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Et oui, la FRANCE empêcherait le génocide en cour a Gaza, rien de cela ne se passerai ! Mais on ne peut vendre des armes dans le monde entier, soutenir des génocidaires, et ensuite se plaindre de la situation du monde, non? C'est la position de l...

le 02/02/2024 à 15:52
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j'ajoute qu'il y a deux semaines, le fait que le chef de l'état major est refusé de bombardé le Yemen y fait beaucoup, n'est t'il pas?

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