Florence Parly : quel tandem avec Benjamin Smith pour piloter Air France-KLM ?

Entre sa réputation de femme de réseaux, dotée d'un réel pouvoir d'influence pouvant servir les intérêts d'Air France-KLM et le souvenir douloureux des politiques d'attrition menées dans le cargo et le réseau domestique au début des années 2010, les sentiments sont partagés quant à l'arrivée de Florence Parly comme nouvelle présidente du groupe de transport aérien. La nouvelle, annoncée hier, suscite en tout cas de nombreuses interrogations.
Léo Barnier
Florence Parly n'arrive pas en terre inconnue chez Air France-KLM, et provoque des réactions mitigées parmi les salariés.
Florence Parly n'arrive pas en terre inconnue chez Air France-KLM, et provoque des réactions mitigées parmi les salariés. (Crédits : POOL New)

Elle se rêvait directrice générale il y a dix ans, elle sera présidente. Après de longues tergiversations, le conseil d'administration d'Air France-KLM a fini par coopter Florence Parly comme nouvelle administratrice, en vue de lui confier la présidence du groupe au plus tard en 2025. L'ancienne ministre de la Défense d'Emmanuel Macron remplacera alors Anne-Marie Couderc. Dans les tuyaux depuis un long moment - son nom était déjà évoqué à l'été 2022 après son départ de l'Hôtel de Brienne - sa nomination soulève un certain nombre de questions, à commencer par la nature du duo qu'elle formera avec Benjamin Smith, directeur général du groupe.

Lire aussiL'ancienne ministre des Armées Florence Parly future présidente d'Air France-KLM

Pourquoi tant d'attente ?

Fin juin 2022, La Tribune indiquait déjà que Florence Parly était en pole position pour prendre la présidence d'Air France-KLM. Cette décision a donc mis un an et demi à se concrétiser alors que le groupe a dû changer par deux fois ses statuts pour proroger Anne-Marie Couderc alors que celle-ci était touchée par la limite d'âge.

Cette latence s'expliquerait principalement par les règles de déontologie imposées par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) comme le signale un bon connaisseur de la compagnie. Comme le détaille la direction de l'information légale et administrative sur son site vie-publique.fr, « les membres du gouvernement sortants peuvent se voir interdire ou autoriser sous réserve par la HATVP, pendant un délai de trois ans après la fin de leurs fonctions, une activité libérale ou une activité rémunérée au sein d'une entreprise ou d'un établissement public industriel et commercial ».

S'il n'y a pas de relations directes entre le ministère des Armées et Air France-KLM, le mari de Florence Parly, à savoir Martin Vial, occupait jusqu'en juin 2022 le poste de directeur de l'Agence des Participations de l'Etat (APE). A ce titre, il représentait l'Etat au conseil d'administration du groupe, ce qui aurait pu susciter des doutes sur l'indépendance de son épouse. D'autant plus au vu de son rôle majeur dans le sauvetage d'Air France pendant la crise sanitaire, au cours de laquelle l'Etat a doublé sa participation au capital du groupe.

A titre de comparaison, Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des transports, avait vu son arrivée chez CMA CGM (propriétaire de La Tribune) retoquée par la HATVP, cette dernière arguant d'un doute légitime au vu des huit rencontres ayant eu lieu durant son mandat avec les cadres dirigeants de l'armateur marseillais.

Lire aussiFlorence Parly en pole position pour prendre la présidence d'Air France-KLM

Une transition trop longue ?

Florence Parly va encore devoir prendre son mal en patience. Selon le communiqué d'Air France-KLM diffusé le 8 décembre, sa prise de fonctions comme présidente pourra avoir lieu « au plus tard à l'issue de l'Assemblée générale 2025 statuant sur les comptes de l'année 2024 ». C'est-à-dire dans dix-huit mois. Ce qui correspond au délai de trois ans de latence imposé par la HATVP.

Cela doit aussi permettre à Florence Parly de passer les étapes jusqu'à la présidence. Bien qu'elle soit désormais membre du conseil d'administration en remplacement d'Isabelle Parize (reprenant ainsi son mandat en cours jusqu'à l'assemblée générale 2026), son arrivée doit encore être ratifiée par les actionnaires lors de la prochaine assemblée générale. Celle-ci est prévue en mai 2024. L'ancienne ministre devra ensuite être désignée présidente en remplacement d'Anne-Marie Couderc dans l'année qui suit. Cela pourra néanmoins intervenir avant la date butoir.

Il n'empêche que le délai interroge en interne comme le rapporte un syndicaliste. Une autre source, au fait des questions de gouvernance, estime que si une période de tuilage entre Anne-Marie Couderc et Florence Parly peut-être une bonne chose, ou encore pour permettre à cette dernière et Benjamin Smith d'apprendre à travailler ensemble, le délai d'un an et demi est « beaucoup trop long » et « ne fait pas sérieux ». D'autant que pour permettre à Anne-Marie Couderc, 73 ans, d'aller jusqu'en 2025, les statuts devront être modifiés une troisième fois à l'occasion de la prochaine assemblée générale en mai prochain.

Lire aussiAir France-KLM : après son départ surprise en 2021, Angus Clarke reprend du service et Pieter Bootsma passe à la stratégie

Quel accueil pour Florence Parly parmi les salariés ?

Florence Parly a passé huit ans chez Air France, de 2006 et 2014. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle a laissé un souvenir vivace chez les salariés. Plusieurs sources syndicales des différentes catégories de personnels font ainsi état de « réactions épidermiques » à l'annonce de son nom, neuf ans après son départ. Comme le rappelle l'une d'entre elles, qui juge que cela aurait été plus facile à gérer si cela avait été quelqu'un d'autre, la dirigeante a mené coup sur coup deux politiques d'attrition forte d'abord comme directrice générale adjointe en charge du Cargo (2008-2012) puis comme directrice générale adjointe en charge de l'activité passagers à Orly et des escales France (2012-2014).

Son mandat à la tête du cargo est marqué par le virage stratégique donnant la priorité au transport en soute face à la flotte tout cargo. En quatre ans, le nombre d'avions de fret en exploitation est alors divisé par deux. Une attrition qu'Air France tente aujourd'hui de compenser avec huit Airbus A350F. Mais le moment le plus compliqué intervient sur son poste suivant, à la tête d'Orly et des escales France, avec la lourde tâche de réorganiser ce pôle structurellement déficitaire dans le cadre du plan Transform 2015. Le comble est que celui-ci perd toujours de l'argent et qu'Air France a pris la décision de se retirer d'Orly en 2026. Florence Parly, qui devrait alors être enfin présidente, va donc hériter de cette situation qui continue de susciter une forte opposition chez les salariés basés sur l'aéroport et chez les élus locaux franciliens et provinciaux concernés. Et le chèque de 675.800 euros reçu de la part d'Air France au titre d'indemnités lors de son départ reste également dans les mémoires.

Pour autant, chacun des représentants syndicaux interrogés semble prêt à laisser sa chance à Florence Parly, ne souhaitant pas juger son action future à l'aune de ses précédentes expériences chez Air France. L'un d'entre eux loue son poids politique et la force de son carnet d'adresse. Un apport qu'il juge déterminant pour porter la voix d'Air France-KLM sur les dossiers stratégiques comme l'environnement, en particulier face aux risques de restrictions opérationnelles comme la suppression des vols en cas d'alternative ferroviaire de moins de deux heures et demie ou la limitation du nombre de vols sur l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol aux Pays-Bas. La future présidente est également attendue sur les dossiers de concurrence, face à l'envolée de Ryanair ou encore les ambitions retrouvées des compagnies du Golfe.

Lire aussiLe départ du patron de KLM, Pieter Elbers, peut-il se retourner contre Air France-KLM ?

Quel tandem avec Benjamin Smith ?

L'importance de ce type de profil a été mise en évidence par l'exemple plutôt réussi de la présidence d'Anne-Marie Couderc, qui a assumé un rôle très politique en particulier lors de la négociation des aides d'Etat pendant la crise du Covid, ou encore pour apaiser les tensions entre Air France et KLM. A elle la partie relationnelle avec les gouvernements et décideurs, à Benjamin Smith la partie opérationnelle. Le partage des tâches entre eux est clair et, selon plusieurs connaisseurs du secteur, le tandem fonctionne.

Mais Florence Parly n'est pas Anne-Marie Couderc. A 60 ans, elle est encore jeune pour ne pas se contenter d'un poste non-exécutif comme celle qui la précède. Surtout, elle a un passé opérationnel dans le groupe et une connaissance non-négligeable du secteur. Cela pose donc la question de sa future relation avec Benjamin Smith. S'il n'a apparemment émis aucune critique par rapport au choix de l'ancienne ministre, le dirigeant canadien ne verrait sans doute pas d'un bon œil quelqu'un s'immiscer en profondeur dans la stratégie du groupe. D'autant plus depuis le départ de Pieter Elbers, l'emblématique mais indocile patron de KLM, début 2022. Comme le rappelle une source interne, citant le départ précipité de Nathalie Stubler de la direction de Transavia en début d'année, Benjamin Smith n'aime pas la contradiction.

A en croire les représentants syndicaux, cela passerait également mal chez les salariés au moment où ils estiment que le groupe fonctionne enfin de façon normale. L'un d'entre s'inquiète même des possibles ambitions de l'ancienne ministre pour regrouper les deux fonctions de président et de directeur général - comme c'était le cas chez Air France-KLM jusqu'en 2018 - si Benjamin Smith venait un jour à partir. Mais tous rappellent encore une fois vouloir juger l'action de Florence Parly sur pièce et non d'après son passé.

KLM change aussi de président

Le 8 décembre, au lendemain de l'annonce de la sélection de Florence Parly comme future présidente d'Air France-KLM, la filiale néerlandaise du groupe français a annoncé elle aussi un changement à sa tête. Président du conseil de surveillance de KLM depuis 2014, Cees 't Hart va laisser sa place à Wiebe Draijer. A 58 ans, ce dernier a occupé un poste similaire chez Rabobank entre 2014 et 2022 et a présidé le Conseil social et économique néerlandais entre 2012 et 2014.

Sa nomination sera effective après validation lors de l'assemblée des actionnaires de KLM en avril 2024. Wiebe Draijer deviendra également membre du conseil d'administration d'Air France-KLM.

Léo Barnier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 15/12/2023 à 8:46
Signaler
Comme tout bonne énarque elle vise haut allons voir la guerre entre Ben et elle avec l'appui de l'armada de l'ENA dont les résultats en politique sont une dette abyssale. Si la France est malade économiquement une part 'non négligeable en revient à...

à écrit le 09/12/2023 à 21:23
Signaler
Que Florence (charmant prénom) ne se vexe pas, mais tout le monde sait qu'un énarque (ou une) volète d'un fauteuil à l'autre; pour Air France-Klm, cela s'impose.

à écrit le 09/12/2023 à 12:04
Signaler
Alors d'abord le plus important... changer les réseaux. Heu... ensuite on travaille dans quoi là au fait ? L'avion c'est bien ça ? génial j'adore l'avion ! ^^

à écrit le 09/12/2023 à 10:31
Signaler
Bonjour, encore un haut fonctionnaire reclasser a un poste sympas... le fait d'avoir etait ministre de la defence s'est toujours un plus sur le CV . Même si dans notre pays s'est le président qui décide de tous ... J'espere qu'elle aura de tres bon...

à écrit le 09/12/2023 à 8:58
Signaler
Nos dirigeants se f...... de nous, mais, comme ILS ne rendent jamais de comptes, pourquoi se priveraient-ILS? Quand je pense que Mme ? évoque le vote obligatoire alors que l'INSEE ne fait pas la recherche des brebis égarées des listes électorales, la...

à écrit le 09/12/2023 à 8:57
Signaler
Encore un parachutage pour la garder sous la main McKronnienne ! Si c'est une promotion, on veut nous signifier qu'être "au service de la France" n'est que peccadilles !

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.