Emirates, Turkish Airlines, Qatar Airways... les compagnies du Moyen-Orient plus fortes que jamais

Des résultats records, une profitabilité inédite et des commandes d'avions long-courriers par centaines... le panorama offert par les compagnies du Moyen-Orient, Emirates, Turkish Airlines et Qatar Airways en tête, ont de quoi inquiéter Air France-KLM ou Lufthansa malgré leur forme actuelle. La bataille à venir dans le ciel international s'annonce plus relevée que jamais.
Léo Barnier
Emirates compte toujours sur ses A380, mais entend jouer sur une flotte plus variée.
Emirates compte toujours sur ses A380, mais entend jouer sur une flotte plus variée. (Crédits : Christopher Pike)

Les crises rendent les forts encore plus forts. Cela pourrait bien devenir un adage du transport aérien post-Covid. Il s'est déjà réalisé pour le transport low cost avec le dynamisme et les résultats sans précédents de Ryanair. Et cela pourrait bien être aussi le cas pour les compagnies du Moyen-Orient avec Emirates et Qatar Airways dans le Golfe, mais aussi Turkish Airlines en Turquie. Les trois compagnies, qui cumulent records de trafic et de profitabilité, affichent leurs ambitions et entendent bien faire à nouveau des misères à leurs concurrentes occidentales. Sans compter les ambitions saoudiennes, avec le renforcement de Saudia et le lancement de Riyadh Air.

Si les groupes européens comme Lufthansa et Air France-KLM vont bien, et qu'ils se montrent actifs dans le renouvellement de leurs flottes à l'image des 50 A350 commandés récemment par le groupe français, les chiffres ne jouent pas en leur faveur lorsqu'on les compare avec ceux des compagnies du Moyen-Orient.

Lire aussiDubai Airshow : Emirates frappe fort en passant une énorme commande de Boeing 777X pour remplacer ses Airbus A380

Emirates prête à changer de stratégie

Emirates s'est ainsi illustrée au salon de Dubaï en achetant pas moins de 115 avions à Airbus et Boeing, A350, 777X et autres 787, en trois jours. Et cela vient s'ajouter aux 195 avions déjà en commande, là aussi tous des long-courriers. Même si cette flotte va venir en partie remplacer les 144 Boeing 777-300ER, puis dans la prochaine décennie les 116 A380 en flotte, la force de frappe à venir dépasse largement celle d'un groupe comme Air France-KLM, qui exploite 178 gros-porteurs (hors cargo) avec des commandes pour 70 A350 et 787 en cours, ou Lufthansa dont les chiffres sont comparables. Les deux groupes européens possèdent néanmoins des commandes pour une centaine d'avions moyen-courriers chacun.

Avec ces commandes qui vont lui conférer une flotte diversifiée, Emirates va aussi adapter sa stratégie en misant sur davantage de flexibilité. Adnan Kazim, directeur commercial de la compagnie, explique ainsi à La Tribune qu'il mise sur ces nouveaux appareils moins capacitaires, A350 à partir de l'an prochain puis 787, pour certes ouvrir de nouvelles destinations secondaires, mais pas seulement.

« Vous pouvez ajouter plus de fréquences sur les destinations existantes. Certains de ces marchés peuvent accueillir un A380 sur la fréquence principale, mais vous pouvez faire la deuxième ou troisième fréquence avec un avion de capacité moyenne. Cela ajoutera certainement de la valeur par rapport à ce que nous avons aujourd'hui. En combinant tous ces éléments, vous obtiendrez la flexibilité que tout planificateur rêve d'avoir pour manœuvrer », explique Adnan Kazim.

Le directeur commercial admet tout de même une limite, celle de la capacité aéroportuaire, à commencer par celle de l'aéroport de Dubaï International. Celui-ci est proche de la saturation, tandis que l'aéroport d'Al Maktoum tarde à monter en puissance pour prendre le relais. Or, Emirates ne transférera ses activités que d'un seul bloc.

Lire aussiDubai Airshow : malgré ses critiques, Emirates commande des A350 supplémentaires à Airbus

Gestion de capacités

Jusqu'ici, la compagnie misait sur les volumes offerts par son impressionnante flotte d'A380, qui lui permettait de s'imposer sur des marchés en dépit des limites posées par les droits de trafic, en particulier en Europe. Mais aussi de renégocier à la hausse ces fameux droits dans les pays « domestiques » d'Airbus. C'est d'ailleurs encore le cas pendant cette phase de reprise où Emirates n'a rouvert que 95 % de son réseau - pour 90 % de sa capacité avec une trentaine d'A380 encore parqués - mais bat des records de trafic avec 26 millions de passagers et un taux de remplissage de 81,5 % au premier semestre 2023-2024, qui s'est achevé au 30 septembre. Adnan Kazim salue ainsi la « vitesse pour remettre en place de la capacité et en se concentrant sur les itinéraires principaux où la demande était en train de se matérialiser ».

Et cela s'est d'ailleurs concrétisé aussi sur le plan financier avec un bénéfice record de 2,5 milliards d'euros pour le groupe Emirates au premier semestre, plus du double de l'an dernier à la même période qui avait déjà atteint des niveaux inédits. « Les résultats sont tout à fait remarquables pour Emirates, car nous avons obtenu des résultats semestriels proches des résultats annuels que nous avons obtenus l'année dernière », s'était réjoui Adnan Kazim, lors du salon de Dubaï. Cela donne une marge nette de 15 %, largement porté par l'activité de transport de passagers, contre 1 à 3 % lors des derniers exercices avant la crise.

Lire aussiQatar Airways : Akbar Al Baker, le PDG qui a fait trembler Airbus, quitte la compagnie

Qatar Airways en transition

Qatar Airways est moins avancée dans ses projets de développement, même si tout est relatif. La compagnie exploite 215 avions dont 183 gros-porteurs. Elle a déjà planifié le renouvellement d'une partie de sa flotte avec 149 appareils en commande dont la moitié de long-courrier. De quoi venir se frotter aux compagnies européennes, mais qui reste modeste par rapport à la force de frappe d'Emirates.

Pour l'instant, la compagnie est en phase de transition. Elle vient de perdre son directeur général historique pendant un quart de siècle, Akbar Al Baker. Celui-ci a dû composer ses dernières années avec le blocus de l'espace aérien imposé par l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Bahreïn jusqu'au début de 2021 en raison de la crise diplomatique avec le Qatar, avant de s'empêtrer dans le conflit sur le revêtement des A350 avec Airbus. Le tout dans le contexte de crise sanitaire. Autant d'éléments qui ont empêché la compagnie d'avancer sereinement, même si celle-ci a su saisir sa chance pendant la pandémie pour afficher des résultats records aujourd'hui.

Thierry Antinori, directeur commercial de Qatar Airways, expliquait l'an dernier à La Tribune que le fait de conserver un niveau d'offre élevée a renforcé la confiance des passagers et des distributeurs dans la compagnie, qui a pu en cueillir les fruits au moment de la reprise significative du trafic à partir de l'été 2021. De fait, la compagnie ne s'est jamais aussi bien portée, avec plus de 19 millions de passagers au premier semestre 2023-2024 et un taux de remplissage de 83,3 %. Et elle a réalisé un profit net record de 938 millions d'euros, soit plus du double que celui de l'an dernier à la même période, avec une marge nette de plus de 9 %.

Lire aussiAkbar Al Baker, le boss de Qatar Airways, joue la gagne au salon du Bourget

Le nouvel homme fort

Une nouvelle stratégie doit désormais être impulsée par Badr Mohammed Al-Meer, qui était jusque-là directeur des opérations de l'aéroport international de Doha. Très discret lors du salon de Dubaï, il semble pour l'instant prendre ses marques. Rencontré à nouveau à cette occasion, Thierry Antinori se réjouit de l'arrivée d'un homme qui connaît le monde du transport aérien et qui a obtenu des résultats avec l'aéroport de Doha. « Au vu du contexte, c'est l'homme de la situation », déclare-t-il ainsi.

Badr Mohammed Al-Meer va devoir ainsi prendre une série de décisions concernant la flotte, même si la remise en service des A350 lui permettent d'afficher une capacité désormais supérieure à celle de 2019, pour assurer la poursuite de la croissance. L'évolution du réseau va aussi être un élément clef, notamment avec l'arrivée des A321 NEO qui vont lui assurer une présence régionale accrue. Il va aussi devoir composer avec des éléments comme la forte exposition de la compagnie au trafic fret : si l'importante flotte tout cargo était un atout fort pendant la pandémie, elle constitue un risque au vu du ralentissement actuel du marché. D'autant que la compagnie a commandé pas moins de 34 Boeing 777-8 Freighter début 2022.

La capacité de la compagnie à attirer du trafic point-à-point, avec des voyageurs restant à Doha, va également être scrutée. Sur ce point, le Qatar a progressé dans la foulée de la coupe du Monde de football 2022. Mais avec 2,5 millions de touristes sur les huit premiers mois de l'année, il reste loin de Dubaï où Adnan Kazim indique que 12 millions de voyageurs ont visité l'Émirat lors des neuf premiers mois de l'année. Il évoque même un « rôle vital » dans l'attractivité de la compagnie.

Lire aussiDubai Airshow : la commande géante que veut passer Turkish Airlines à Airbus (355 avions)attendra encore un peu

Turkish Airlines, l'ambitieuse

Si la menace des compagnies du Golfe est avérée de longue date, celle de Turkish Airlines ne cesse de se renforcer. La compagnie turque a déjà doublé sa flotte en 10 ans, et compte encore faire de même sur les 10 prochaines années avec un objectif de 800 appareils en 2033, dont près de 300 long-courriers. Rien que ça. Pour l'instant, elle ne possède que 117 gros-porteurs et dispose de commandes pour 35 appareils supplémentaires. Mais la donne devrait changer incessamment sous peu au vu du protocole d'accord signé avec Airbus la semaine dernière : celui prévoit la commande de 100 A350 supplémentaires (dont 10 au titre de droits d'achat déjà définis). Il comprend aussi l'acquisition de 250 A321 NEO, qui viendront s'ajouter aux 47 A320 NEO que la compagnie doit encore recevoir.

Ces perspectives ont de quoi changer largement le rapport de force face aux compagnies du Golfe et d'Europe. D'autant qu'elles correspondent à la volonté de Turkish Airlines d'infléchir fortement sa stratégie vers l'international autour de son hub d'Istanbul.

En juin dernier, lors du Paris Air Forum, c'est le directeur général d'Air France-KLM, Benjamin Smith, qui pointait directement la menace : « Cette grosse commande pose un risque pour notre position sur certains marchés. Nous sommes face à un concurrent qui dispose d'avantages que nous n'avons pas, il bénéficie d'un soutien du gouvernement en Turquie, avec l'accès à certains aéroports avec une certaine flexibilité, des questions de coûts qui sont différents, des taux qui sont inférieurs par rapport à l'Europe... Nous ne sommes donc pas à égalité, et nous nous efforçons de faire du lobbying pour l'être. Sachant qu'il y a des accords bilatéraux entre l'Europe et la Turquie, mais aussi entre la France et la Turquie. »

Lire aussiBenjamin Smith, le patron d'Air France-KLM, pointe la menace de Turkish Airlines

Istanbul, l'avantage stratégique

Turkish Airlines ne compte pas attendre l'arrivée de ses avions pour se montrer entreprenante. Elle a retrouvé son niveau d'offre pré-Covid dès 2022, et ses capacités sont désormais supérieures de 25 %. Cela tient essentiellement au développement de son offre internationale, qui représente désormais plus de 60 % de ses capacités.

D'autant qu'avec son hub d'Istanbul, Turkish Airlines dispose d'un redoutable outil. Capable d'accueillir 90 millions de passagers, mais avec la possibilité de monter à 200 millions à terme, celui-ci dispose d'un positionnement géographique entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique, bien plus intéressant que Dubaï et Doha. Grâce à cela, Turkish Airlines peut ainsi desservir aussi bien l'Europe du Nord, que l'Inde ou l'Afrique centrale avec des avions moyen-courriers tels que ses A320 NEO et ses futurs A321 NEO. Ce qui la rend redoutable. Sans compter que la Turquie dispose d'un attrait touristique largement supérieur à celui du Golfe, avec 44 millions de visiteurs entre janvier et septembre, et des villes comme Izmir ou Antalya pouvant être desservies en correspondance ou en point-à-point.

La compagnie vise ainsi plus de 84 millions de passagers cette année, contre 75 millions en 2019, et plus de 170 millions à l'horizon 2033. De quoi venir effectivement chatouiller sérieusement Air France-KLM. D'autant que les résultats suivent pour le moment avec plus de 2,5 milliards d'euros de profit net sur les neuf premiers mois de l'année avec une marge de 17,6 %.

Enfin, comme l'indiquent plusieurs connaisseurs de l'aérien, la faiblesse de la lire turque confère également un avantage compétitif à Turkish Airlines. 90 % des recettes de la compagnie sont en dollars ou en euro, alors que 30 % de ses dépenses sont en livres turques. Ce qui améliore sensiblement ses résultats. De quoi favoriser encore un peu plus un peu plus l'importance du trafic international dans la stratégie de Turkish Airlines.

Léo Barnier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 7
à écrit le 25/11/2023 à 12:43
Signaler
Grâce à l’action opiniâtre de la commission européenne , il existe un accord de ciel ouvert entre le Qatar et l’Europe . Les compagnies Qataries peuvent opérer des vol à l’intérieur de l’Europe, en contrepartie les compagnies aériennes européennes ...

à écrit le 23/11/2023 à 15:16
Signaler
Pas des CXGT, là-bas? Il faudra remédier.

à écrit le 23/11/2023 à 12:13
Signaler
Les entreprises low-cost vont conquerir le marché européen interne et externe ira sous controle des arabes et turqs

à écrit le 23/11/2023 à 11:50
Signaler
Trop d'avions, trop de pollution. Dans 20 ans, la facture va être salée et les désillusions à hauteur de la facture.

à écrit le 23/11/2023 à 10:52
Signaler
le service peut-être aussi? Quand on compare le service Air-France en premium économie et le service en classe "économie" de ces compagnies, hélas, le hiatus est énorme. Fourchettes bois, plats recyclé , repas basique, peti déjeuner panier indécent.....

le 23/11/2023 à 11:56
Signaler
@breizhou - L'avion a outrance est un désastre. Peu importe le service à bord. Le transport aérien qui favorise le tourisme de masse est une aberration économique, une destruction programmée de tous les environnements, écologiques, sociaux....Perso...

à écrit le 23/11/2023 à 8:07
Signaler
Des multi-milliardaires certainement les plus riches du monde qui bénéficient de milliards de subvention publique de la part de tous les pays du monde. Ya t'il encore un espoir de sauver l'humanité ? Dans ces conditions là non.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.