Le sauvetage de Corsair dans le viseur de Bruxelles

Corsair va-t-elle passer par les fourches caudines de la Commission européenne ? Alors qu'elle se montrait plutôt confiante quant à son nouveau plan de restructuration, même si la présence de la République du Congo dans le futur tour de table tend à créer le doute, la compagnie va devoir mettre les bouchées doubles pour convaincre Bruxelles du bien fondé de l'opération.
Léo Barnier
Corsair est désormais de l'attente de la validation de Bruxelles pour achever sa restructuration.
Corsair est désormais de l'attente de la validation de Bruxelles pour achever sa restructuration. (Crédits : Charles Platiau)

C'est la crainte principale en interne chez Corsair : que la Commission européenne ne valide pas son plan de restructuration, articulé autour d'un nouveau tour de table et de mesures de soutien de la part de l'Etat français. Or Bruxelles vient d'annoncer l'ouverture d'une enquête approfondie sur ce dossier ce lundi pour vérifier son adéquation avec le droit communautaire. Si, comme le dit la Commission dans son communiqué, cela « ne préjuge pas de l'issue de l'enquête », ce n'est assurément pas une bonne nouvelle pour la compagnie. Elle qui se montrait confiante après avoir obtenu des garanties en vue de sa recapitalisation, en dépit du flou qui entoure la surprenante arrivée de la République du Congo dans son capital, va devoir encore attendre avant de boucler sa restructuration.

La Commission précise que cette enquête fait suite à la demande déposée par la France en septembre 2023 pour amender le précédent plan de restructuration de Corsair adopté en 2020, au motif que celui-ci « était basé sur des hypothèses qui n'ont pas été confirmées et que des événements extérieurs exceptionnels et imprévisibles ont eu un impact particulièrement défavorable sur Corsair ».

Lire aussiLe plan B de Corsair après son mariage raté avec Air France-KLM cet été

Nouveaux éléments

Paris a ainsi soumis des « modifications détaillées » en décembre 2023, « qui comprennent, entre autres, des ajustements des instruments de financement existants ainsi que des incitations fiscales supplémentaires. » Cela comprend notamment un possible allègement de la dette de Corsair avec un abandon de créances de la part de l'Etat. D'où la menée des négociations à l'automne 2023 avec le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), qui est resté au chevet de Corsair et d'une partie des compagnies aériennes françaises depuis la crise sanitaire.

Ces modifications viennent s'ajouter aux mesures de soutien présentes dans la première version du plan, dont une aide à restructuration d'un montant de 106,7 millions d'euros - avec des prêts accordés par l'Etat à hauteur de 80 millions d'euros et plus de 25 millions d'euros de reports de charge - ainsi qu'une aide compensatoire de 30,2 millions d'euros pour les dommages subis en raison des restrictions mises en place par les Etats face à la pandémie de Covid.

Autant d'éléments dont Bruxelles veut vérifier l'adéquation au droit communautaire en matière d'aides d'État, ce qui demande visiblement l'ouverture d'une enquête approfondie qui se veut bien plus poussée que la procédure classique.

La Commission entend ainsi vérifier quatre points. En premier lieu, si Corsair contribue de façon effective et proportionnée aux coûts de restructuration au regard de l'aide apportée par l'Etat, et que celui-ci est correctement rémunéré en contrepartie (intérêts sur les prêts concédés). Ensuite, si le plan est apte à « rétablir la viabilité à long terme de Corsair sans aide d'État supplémentaire ou continue et dans un délai raisonnable » et si celui-ci va contribuer « au développement d'une activité économique ou de la zone économique desservie par la compagnie » comme prévu, c'est-à-dire principalement dans les départements et régions d'outre-mer desservis par Corsair. Enfin la Commission regardera les mesures compensatoires prévues vis-à-vis de la concurrence pour limiter les éventuelles distorsions induites par le soutien de l'Etat.

Si les négociations se déroulaient jusque-là entre Paris et Bruxelles, cette enquête approfondie va ouvrir la possibilité « aux tiers intéressés », dont Corsair, de présenter des observations. Cela pourrait aussi être le cas de ses concurrents, à commencer par Air Caraïbes où l'idée d'une nouvelle aide apportée à Corsair après celle de 2020 a du mal à passer.

Lire aussiOutre-mer : un rapport sénatorial pointe une discontinuité territoriale exacerbée (Air France, Corsair, Air Caraïbes, Air Austral, Frenchbee)

30 millions de cash

Outre ce volet de l'aide étatique, le plan de restructuration de Corsair comprend donc une recapitalisation, à hauteur de trente millions d'euros. Une partie de cette somme devrait être apportée par des actionnaires déjà présents à travers le consortium d'investisseurs antillais Outre-Mer R-Plane (OMRP), qui détient la compagnie depuis 2020. Le périmètre de celui-ci devrait néanmoins évoluer avec la mise en retrait de l'homme d'affaire Eric Koury, ancien PDG du groupe Caire (Air Antilles et Air Guyane) qui a fini en liquidation judiciaire, et la montée d'autres investisseurs. Le département de la Guadeloupe devrait suivre également.

Mais le gros morceau doit être l'arrivée de la République du Congo comme nouvel actionnaire de référence, avec un investissement de l'ordre de 15 millions d'euros pour le contrôle de 40 % du capital (voir encadré ci-dessous). En interne, on assure avoir validé un accord de principe avec le pays dirigé par Denis Sassou-Nguesso depuis 1979 (mis à part un intermède de cinq ans). Un apport détonnant, dévoilé par nos confrères du Monde puis confirmé par la compagnie, qui a visiblement été ficelé avec l'accord de l'Elysée nous confirme un proche du dossier, qui se plaît à rappeler que ce type d'opérations ne peut se faire sans le consentement de Paris.

Pour le Congo, c'est l'opportunité de développer une concurrence vis-à-vis d'Air France en situation de monopole entre ce pays d'Afrique centrale et l'Europe et souvent attaquée sur ses tarifs. C'est également la possibilité de bénéficier du soutien technique de Corsair pour la mise en place d'une compagnie domestique congolaise après l'échec cinglant d'ECair il y a une dizaine d'années.

Lire aussiPour Pascal de Izaguirre (Fnam-Corsair), dans dix ans, « le transport aérien français sera plus cher »

Corsair vend bien

Avant l'annonce de cette décision bruxelloise, Corsair affichait une certaine confiance tant sur la concrétisation de sa recapitalisation, avec des accords de principe obtenus auprès des divers investisseurs, que d'une « excellente performance commerciale ». Pascal de Izaguirre, PDG de la compagnie, affirmait ainsi il y a quelques jours que le chiffre d'affaires était en progression au cours du dernier trimestre 2023 par rapport à la même période l'année précédente. Des affirmations confirmées en interne à La Tribune. De quoi lancer la compagnie vers un retour tant attendu aux bénéfices ?

Conscient que la validation de son plan de restructuration par la Commission pouvait prendre du temps, le patron de Corsair assurait en tout cas n'avoir aucun problème de trésorerie et posséder du temps devant lui pour boucler l'opération.

Congo : Corsair se veut confiant face aux menaces de saisie

L'arrivée prévue de la république du Congo, confirmée en décembre dernier, n'aura pas manqué de susciter son lot d'interrogations et de scepticisme. D'autant plus lorsque Marianne a dévoilé le fait que l'Etat congolais était débiteur de la société Commisimpex), dirigé par l'homme d'affaires libanais Mohsen Hojei, ancien proche du président Denis Sassou-Nguesso. Confirmée par deux sentences arbitrales désormais irrévocables rendues en France, cette créance serait de l'ordre de 1,7 milliard d'euros. Ce qui ouvre la voie à des saisies régulières menées sous la houlette du cabinet d'avocat Archipel, dont le Falcon présidentiel. Saisi en juin à Bordeaux, il a été vendu aux enchères en octobre dernier pour 7 millions d'euros.

De quoi craindre pour les actifs de Corsair si la république du Congo venait à acquérir 40 % de son capital comme prévu. Une hypothèse appuyée par le cabinet Archipel qui estime que cela sera possible s'il arrive à faire valoir que la compagnie peut-être considérée comme étant une émanation de l'Etat congolais du fait de ce rachat partiel.

A l'inverse, une telle éventualité est balayée du revers de la main du côté de Corsair. En interne, où l'on décrit cette hypothèse comme surréaliste, on affirme ainsi qu'il n'y a aucune chance pour que Commisimpex puisse prétendre à se rembourser sur les comptes de Corsair ou saisir quelque actif que ce soit. Et encore moins les avions, ne serait-ce que parce que ceux-ci sont en location auprès de la société de leasing irlandaise Avolon (mis à part un A330 de première génération en propriété).

Léo Barnier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.