Transport aérien : la guerre des prix fait rage vers les DOM, la rentabilité souffre (Air France, Corsair, Air Caraïbes,Frenchbee, Air Austral)

Le trafic est une chose, la profitabilité en est une autre. Si l'été a assurément été réussi en termes de volumes pour les compagnies aériennes desservant la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, la rentabilité économique n'a pas été au rendez-vous. Entre surcapacité et envolée des coûts de production, Air France, Air Caraïbes, French Bee, Corsair et Air Austral ont connu un été mitigé sur le plan financier.
Léo Barnier
En dépit d'importants volumes de trafic, les compagnies ont souffert de la surcapacité conjuguée à l'envolée de la facture carburant.
En dépit d'importants volumes de trafic, les compagnies ont souffert de la surcapacité conjuguée à l'envolée de la facture carburant. (Crédits : Air Caraïbes – Harold Asencio)

Destination refuge pendant la crise sanitaire, les DOM ont connu un début d'année chahuté par la virulence du variant Omicron et les répercussions du conflit social de fin 2021 dans les Antilles. Depuis, le trafic n'a cessé de croître jusqu'à atteindre des niveaux records cet été. De quoi ragaillardir dans l'idée les compagnies aériennes positionnées sur les axes entre la métropole, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion, trois lignes « millionnaires » avant la crise. Si ce n'est que l'intense guerre tarifaire que se livrent Air France, Air Caraïbes et sa compagnie sœur French Bee, Corsair et Air Austral n'a pas permis de faire remonter les prix. Et dans le contexte de forte inflation, d'envolée des coûts carburant et de parité euro-dollar, c'est la rentabilité de l'intégralité de ces lignes qui en a pris un sacré coup. Au point de voir les protagonistes battre en retraite sur la capacité pour la saison hiver pour reconstituer leurs yields.

Les volumes de passagers pour cet été ont été éloquents. Selon les chiffres de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), les routes entre la métropole et l'outre-mer ont retrouvé quasiment leur trafic de 2019 sur les huit premiers mois de l'année : après les perturbations sur les premiers mois, le nombre de passagers était supérieur d'environ 10 % à son niveau d'avant crise pour juillet et août. Comme avant la crise, l'activité a été portée par le trafic VFR (visite d'amis et de familles) avec le retour des domiens vivant en métropole, ainsi que par le tourisme.

La Réunion en fer de lance

Dans le détail, c'est La Réunion qui a le mieux fonctionné avec un trafic supérieur à 2019 sur l'été (+15 %) comme sur l'année (+7 %). Les compagnies en ont profité, à l'image d'Air Austral qui parle d'une saison positive. La compagnie réunionnaise a égalé, voire dépassé ses niveaux d'avant la crise sur juillet et août (tout comme sur Mayotte), avec une hausse de capacité de l'ordre de 5 % et un taux de remplissage de 88 %. Et elle a bénéficié d'un allotement de 30 sièges vendu à Air France sur ses vols entre Roissy et Saint-Denis.

Sur les Antilles, la reprise est un peu plus longue avec un nombre de passagers cumulé depuis janvier encore inférieur de 10 % à celui de 2019. Outre l'impact d'Omicron en début d'année, Marc Rochet, directeur général d'Air Caraïbes et président de French Bee, précise que les Antillais ne sont venus que modérément en métropole. Il estime ainsi qu'un écart de 5 à 10 % avec 2019 devrait perdurer sur la Martinique et la Guadeloupe.

Acteur sur les deux tableaux, Olivier Piette, directeur du programme d'Air France, se réjouit pour sa part d'un été qui s'est bien passé, à l'image du reste du réseau, avec « une demande forte ». Cela s'est traduit par une hausse de trafic de 40 % par rapport à 2019, en comptant la desserte de la Guyane. Cela résulte de l'offensive menée par la compagnie nationale dès l'été 2021, avant même la sortie de crise : face à la fermeture d'une partie de son réseau (Chine, Japon, Etats-Unis jusqu'en novembre dernier), elle a progressivement ajouté 50 % de sièges en plus vers les DOM. Le point d'orgue a été atteint cet été avec 3 vols quotidiens entre Paris et Fort-de-France, Pointe-à-Pitre et Saint-Denis, avec l'ajout d'une rotation depuis Roissy en plus des deux traditionnelles à Orly.

Air France s'est ainsi renforcée par rapport aux équilibres d'avant la crise, en offrant plus de 40 % des sièges sur les trois destinations cet été, suivie d'Air Caraïbes à 39 % et de Corsair autour de 20 % pour les Antilles. Et par Air Austral à 23 %, French Bee et Corsair à 18 % chacun sur La Réunion. Ce qui correspond à peu près à la répartition sur l'année, si ce n'est une montée en puissance de la compagnie nationale sur La Réunion cet été.

Le financier ne suit pas avec des prix restés bas...

Pourtant la situation est plus complexe que les chiffres veulent bien le montrer. « Incontestablement, beaucoup de gens se sont remis à voyager, mais il faut aller dans les détails », prévient Marc Rochet, refusant tout triomphalisme. Air Caraïbes a pourtant réussi à drainer 840.000 passagers sur les Antilles sur les huit premiers mois de l'année et French Bee près 200.000 sur La Réunion, avec des taux de remplissage avoisinant les 80 %

De même, si Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, se montre satisfait de cet été en termes de volume - avec un trafic cet été supérieur à celui de 2022 (+6 % en juillet et +8% en août) - lui aussi fait la distinction avec l'aspect économique. « Juillet et août n'ont pas été bons », admet-il ainsi.

Les deux dirigeants s'accordent à y voir la conjugaison de deux phénomènes. Il y a tout d'abord la forte augmentation de capacité d'Air France, jugée « décorrélée de l'évolution naturelle du trafic ». Une offensive face à laquelle ses concurrents, soucieux de préserver leurs parts de marché, ont également déployé de l'offre supplémentaire. D'où une surcapacité sur le réseau qui tire les prix mécaniquement à la baisse et empêche les compagnies de répercuter la hausse des coûts de production dans leurs tarifs, sous peine de voir le trafic se reporter chez la concurrence. Malgré la résilience globale de la demande cette été, la volonté de ne pas casser la dynamique de reprise a également modéré les ardeurs inflationnistes des différents acteurs.

Corsair mentionne ainsi une hausse du prix moyen du billet de l'ordre de 10 % en juillet et de 1 % seulement en août par rapport aux mêmes périodes en 2019. Tandis qu'Air Austral estime que les augmentations tarifaires pratiquées à partir de mars ont été largement inférieures à celles constatées en métropole.

... et des coûts qui s'envolent

De l'autre côté, les compagnies se sont retrouvées confrontées à l'explosion de leur facture carburant avec un poste de coût doublé en un an. Même si elles ont essayé de faire passer ce surcoût dans leur tarif, cela n'a été fait que très modérément en raison de la concurrence féroce et de la volonté de préserver la reprise. Chez Corsair, le poids du carburant dans les coûts est même passé de 27 % avant le Covid à 42 % cet été.

Marc Rochet joue carte sur table : « Pour être clair, nous avons fait des augmentations tarifaires de l'ordre de 14 %, là où nous aurions dû mettre 30 %. Et même au moment où vous passez une grosse augmentation, il y a déjà la moitié des passagers qui ont déjà acheté leurs billets. Il y a donc une hystérésis d'environ six mois pour en récupérer les effets. Il n'y a donc pas de rentabilités énormes. »

A cela s'ajoutent les effets négatifs de change, avec la chute de l'euro face au dollar. Un coup dur pour des compagnies qui vendent essentiellement en France (métropole et outre-mer), donc en euro, mais dont la majorité des dépenses est en dollars (kérosène, loyer des avions, maintenance, assurances).

Une situation qui n'a pas épargné non plus Air France, qui elle aussi a modéré très fortement son évolution tarifaire. OIivier Piette reconnaît ainsi que « les destinations VFR et loisirs sont les plus affectées en terme économique puisque c'est le motif de voyage qui est le plus sensible à l'élément prix. Si nos vols sont très bien remplis et que la demande est là, l'équation économique est plus difficile sur ces destinations que sur le reste de notre réseau. » Selon lui, Air France se retrouve ainsi confrontée à une hausse des coûts plus rapide que celle des revenus sur ces destinations, et une rentabilité inférieure à celle de 2021.

Un équilibre à trouver

L'objectif de l'ensemble des acteurs est donc désormais de faire remonter leurs yields cet hiver. Mais les prévisions pour les mois à venir diffèrent selon les compagnies. Pour l'instant, Marc Rochet voit un automne assez mou sur les Antilles avec la nécessité d'ajuster la capacité, mais s'avère plus optimiste sur La Réunion avec un mois septembre meilleur qu'attendu. Il prévient aussi que les décisions d'achat sont encore tardives en comparaison des normes d'avant la crise, et se précisent environ deux mois avant la date du vol : « Nous pouvons avoir des remontées de trafic brutales par rapport à l'état des ventes d'aujourd'hui ».

Air Austral joue également la prudence, estimant que si les tendances se poursuivent de façon encourageante sur l'ensemble des classes de tarification, sa visibilité peine à dépasser le mois d'octobre pour l'instant en raison des réservations tardives et qu'elle doit encore consolider ses ventes. Pour Air France, Olivier Piette précise qu'il n'y a pas d'alertes significatives quant à un retournement de situation. Il se montre même confiant et estime que la demande répondra présent avec un retour à des tendances de réservations classiques.

Le plus expansif est sans doute Pascal de Izaguirre, qui se réjouit du dynamisme commercial actuel : « A notre grande surprise, septembre s'engage très bien avec des ventes extrêmement dynamiques depuis un mois », bien aidé par une campagne de promotion fin août. A date, son niveau de réservation est très largement supérieur à celui enregistré en 2019 (+37 %). Et le dynamisme semble également se confirmer pour le trimestre suivant (+29 %) et même au-delà. Pour expliquer ce phénomène, il juge que la demande en suspens après deux ans de restriction n'a pas pu entièrement s'exprimer cet été et donc qu'elle n'est pas encore totalement épuisée.

Le PDG de Corsair reste tout de même prudent face à l'impact possible de l'inflation et son impact sur le revenu disponible pour les dépenses de voyage. Il se méfie aussi du point d'inflexion de la demande face à la remontée des prix, même si celle-ci est progressive.

Des capacités revues à la baisse

Après avoir été pointée du doigt pour sa surcapacité et ses augmentations tarifaires décorrélées de la réalité du marché, Air France serait ainsi « redevenue beaucoup plus raisonnable au sens économique depuis la fin de l'été » d'après ses concurrents.

De fait, la compagnie nationale vient de réduire son offre depuis Orly afin de réduire son exposition, avec la suppression de la moitié des vols sur Fort-de-France et d'un quart sur Pointe-à-Pitre et Saint-Denis. En revanche, Roissy conserve son vol quotidien sur toutes les destinations. Au total, cela reste tout de même supérieur à ce qui se faisait en 2019. Et Air France aurait sans doute redéployé sa capacité plus rapidement vers des destinations plus rentables, si elle ne s'était trouvée bloquée cet été par le nombre important de billets déjà vendus plusieurs mois à l'avance. Ce qui laisse supposer une situation financière très compliquée.

Mais ce phénomène n'est pas réduit à Air France. Tout le monde a réduit sa capacité sur les Antilles, si ce n'est Corsair qui n'a pas le loisir de jouer sur les fréquences comme Air Caraïbes et Air France. La Réunion est plus préservée, notamment chez French Bee. Hors DOM, Corsair réduit aussi la voilure en République dominicaine, tandis qu'Air Caraïbes renonce à desservir Cuba et abandonne Saint-Martin.

Seule Air Austral semble vouloir continuer à développer son offre. Elle progressera ainsi au prochain trimestre par rapport à l'an dernier, mais restera encore inférieure au niveau d'avant la crise.

Vers une (petite) amélioration de la rentabilité

Si cette conjonction entre une réduction de la capacité et un maintien de la demande se confirme, cela devrait permettre aux compagnies de passer quelques augmentations tarifaires. « Pour l'hiver, nous commençons à sentir l'effet de la hausse des tarifs », se réjouit ainsi Pascal de Izaguirre avant de rappeler dans la foulée qu'il reste de la surcapacité et que cela ne fera qu'absorber partiellement les impacts négatifs du carburant et des effets de change.

Bien que les voyageurs affaires ne soient qu'une composante minoritaire du trafic, les compagnies vont également devoir composer avec un affaiblissement structurel de cette clientèle. Marc Rochet prend l'exemple des formations pour les Antillais, pour lesquels les cours en ligne ont supplanté les stages en métropole. Cela ne devrait pas non plus entièrement perturber son modèle économique, seule Air Caraïbes ayant une petite classe affaires. « Aujourd'hui, ce qui nous fait nous rapprocher de l'équilibre, c'est la classe économique, la premium éco et le fret en soute », déclare-t-il ainsi.

Des comptes annuels encore dans le rouge

Cela ne suffira néanmoins pas à Air Caraïbes et French Bee pour être rentable sur l'année. Ce qui ne semble pas inquiéter outre mesure Marc Rochet, qui estime avoir « de la réserve » et « de quoi sortir de la crise et redécoller ». French Bee recevra d'ailleurs un sixième A350 (dont cinq A350-1000).

L'année ne sera pas bonne non plus pour Corsair, malgré une exploitation tout de même rentable sur l'été. D'autant plus que la compagnie est en exercice fiscal décalé avec un exercice débuté en octobre 2021. Il a donc subi la crise sociale aux Antilles et Omicron, avant la guerre en Ukraine et l'inflation. Pascal de Izaguirre est ainsi en réflexion sur les moyens d'améliorer la situation financière globale de la compagnie, mais ajoute néanmoins ne pas avoir de problème de trésorerie grâce à des bons encaissements avec les billets émis pour les mois à venir et encore non utilisés.

De son côté, Air Austral prévoit une sortie de crise progressive au cours de son exercice 2022-2023, débuté en avril. Si elle retrouve un bon niveau d'activité, elle sait que sa situation reste fragile, ne serait-ce que face aux facteurs exogènes. D'autant qu'elle doit aussi réussir sa recapitalisation avec l'arrivée - en attente de validation à Bruxelles - d'un nouvel actionnaire majoritaire, un nouvel investissement des collectivités locales et un abandon de créances.

Léo Barnier

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Commentaires 7
à écrit le 30/09/2022 à 20:42
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Il y a une coquille dans l'article : French bee possède 4 a350-900 et un -1000 et non pas 5 -1000

à écrit le 30/09/2022 à 16:13
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Tout ça est bien joli, mais on est incapables d'envoyer des colis pour l'île de la réunion en dehors de la poste avec des tarifs de dingues. Un peu de fret ferait pas de mal dans les 2 sens. On attend Relay colis. Et si on éliminait deux lois visi...

à écrit le 29/09/2022 à 17:53
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AF de gave Sur la Corse et les politiques locaux laissent faire pourquoi???

le 30/09/2022 à 10:36
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Pourquoi les politiques devraient se mêler de l’économie du transport ou d’une quelconque industrie ? Les tarifs obéissent plus ou moins à l’offre et la demande . Si ces prix sont trop élevés, comment se fait il que les avions soient plus que remplis...

à écrit le 28/09/2022 à 21:01
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La guerre des prix fait rage ? Laissez moi rire ! Vous devriez titrer entente sur les prix au prix les plus haut ! 1500 euros un A/R sur corsair aux dates des vacances de la Reunion Les compagnies alignent leur prix sur Air France en périodes ha...

le 29/09/2022 à 13:36
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Je suis heureuse de cette critique. En effet, il y a une pb sur les prix des vols.

le 29/09/2022 à 15:09
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Faux . Les prix entre la métropole et l’outre mer sont ceux qui ont le moins augmenté :+18% pour ces vols contre +24% pour le reste du long courrier entre août 21 et août 22 selon la DGAC . Le tarifs augmentent en raison principalement de la haus...

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