Le plan B de Corsair après son mariage raté avec Air France-KLM cet été

Trois ans après sa dernière recapitalisation, Corsair doit à nouveau se recapitaliser. Alors que l'opération semblait proche d'aboutir en début d'année, tout a été gelé. Et pour cause, la petite compagnie a failli convolé avec le géant Air France-KLM. Après plusieurs mois de négociations qui se sont soldées par un échec, Corsair est reparti en quête de nouveaux fonds et est en passe de réussir.
Léo Barnier
Corsair s'affaire pour boucler sa recapitalisation.
Corsair s'affaire pour boucler sa recapitalisation. (Crédits : Charles Platiau)

Difficile de savoir où en est Corsair. La compagnie française vient d'achever un exercice record en termes d'activité, mais peine toujours à retrouver la rentabilité. Surtout, elle doit poursuivre le redressement de son bilan en bouclant enfin sa nouvelle recapitalisation, mise sous le tapis pendant plus de six mois pour cause de fiançailles - ratées, malgré de longues négociations - avec Air France-KLM sous le regard bienveillant de l'Etat. En interne, la confiance règne néanmoins à propos de la réussite prochaine d'un nouveau tour de table qui permettrait de pérenniser l'avenir de la compagnie.

Ce n'est un secret pour personne, Corsair a besoin de redresser ses fonds propres et de réduire le poids croissant de sa dette pour assurer son avenir. « On a un sujet Corsair », lâchait-on récemment du côté du ministère des Transports à ce propos. Pascal de Izaguirre, PDG de la compagnie, réfute tout caractère d'urgence et assure disposer d'une trésorerie suffisante, mais il concède que « les fonds propres dans une compagnie sont une vraie problématique et il vaut mieux en avoir le maximum. [...] Renforcer les fonds propres, réduire son endettement, continuer à avoir une trésorerie positive font partie du plan d'ensemble. » Une opération de recapitalisation est donc en cours et devrait se concrétiser d'ici à quelques semaines, avant la fin de l'année selon des sources concordantes.

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30 millions de cash espéré

Concernant le montant espéré, le patron de Corsair ironise : « Il n'y a pas d'objectif, donc je dirais le maximum bien sûr. » Mais il rappelle dans la foulée que le précédent tour de table, en 2020, était de 30 millions d'euros (auxquels s'ajoutait un financement de 267 millions d'euros porté par l'Etat, via des prêts et reports de charges, et l'ancien actionnaire TUI, via des abandons de créances).

Selon une source interne, la nouvelle recapitalisation en préparation devrait se situer dans les mêmes eaux avec un apport de 30 millions d'euros d'argent frais. Elle rappelle d'ailleurs que c'était le montant qui était proche d'être bouclé en début d'année, avant qu'Air France-KLM n'entre dans la danse.

Malgré cette opération à venir, l'actionnariat devrait rester relativement stable.

« Aujourd'hui, investir dans l'aérien est quand même assez risqué. Nous pouvons déjà nous féliciter que nos actionnaires actuels soient toujours présents. Ce sont des convertis, des convaincus, qui y croient. La plupart d'entre eux va à nouveau participer à ce deuxième tour de table », analyse Pascal de Izaguirre.

Il estime que c'est plus compliqué d'attirer de nouveaux investisseurs, mais reste convaincu qu'il va y arriver et possiblement au-delà des Antilles. Un suiveur du dossier corrobore cette possibilité de voir de nouveaux noms au capital de Corsair, soit comme actionnaires directs, soit au sein du consortium d'investisseurs antillais Outre-Mer R-Plane qui détient la compagnie depuis 2020.

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Une dette à effacer

Au-delà du renforcement des fonds propres, Corsair va devoir réduire le poids grandissant de sa dette pour pérenniser son avenir. Cette opération de recapitalisation pourrait donc se doubler d'un abandon de créances de la part de l'Etat, qui avait notamment accordé des prêts à hauteur de 80 millions d'euros et plus de 25 millions d'euros de reports de charge. D'où des négociations avec le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), qui a été au chevet d'une bonne partie des compagnies aériennes françaises depuis la crise sanitaire.

Le montant total de la dette de Corsair n'a pas été communiqué, mais il pourrait se situer autour de 140 millions glisse-t-on en interne. En revanche, Pascal de Izaguirre ne manque pas de rappeler que sa compagnie n'était pas endettée avant la crise sanitaire. Aucune indication n'a en revanche filtré sur l'effort qui pourrait être consenti par l'Etat. Si des connaisseurs du secteur jugent que Bercy pourrait se montrer peu volontaire après les efforts consentis en 2020, Pascal de Izaguirre affirme pour sa part que cela avance très bien.

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Mariage raté avec Air France

Cette séquence arrive donc après une parenthèse d'une dizaine de mois, marquée par le mariage raté avec Air France-KLM. La séquence a commencé discrètement, avant que Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM, ne lâche cette déclaration lors des résultats annuels du groupe en février : « Le marché Outre-Mer est vraiment un marché qui devrait avoir une consolidation. » De quoi alimenter de nombreuses spéculations. Mais le fait est que des discussions avaient bel et bien été engagées avec Corsair et qu'elles avaient largement dépassé la simple prise de contact même si les deux parties, interrogées par La Tribune, n'ont pas fait de commentaires.

Selon nos informations, les négociations ont duré six mois, avec l'étude de différents scénarios pouvant aller jusqu'à la prise de contrôle de Corsair par Air France-KLM. L'acquisition de 51 % du capital a même été évoquée par un connaisseur du secteur. Ce rapprochement aurait notamment été bien vu du côté de Bercy et du CIRI, toujours prompt à imaginer des « Meccano industriels » selon un spécialiste du secteur. Ce dernier avait déjà poussé pour un mariage entre Corsair et Air Austral l'an dernier.

Comme ce fut le cas quand Air France a étudié le rachat de la défunte XL Airways en 2018, les discussions ont fini par échouer pendant l'été, mais les différents acteurs sont restés discrets sur les raisons de cet échec. Du côté du ministère des Transports, on indiquait tout juste qu'un rapprochement « avait été évoqué, mais qu'Air France n'était pas très chaud ». Un connaisseur de la compagnie estime qu'il ne faut pas pointer une seule cause mais plutôt un faisceau de freins pour expliquer l'échec de l'opération. Il cite ainsi le niveau de dette de Corsair, alors qu'Air France-KLM consacre déjà d'importants efforts à son propre désendettement, le possible impact sur le cours de bourse, une flotte d'A330 et d'A330 NEO alors qu'Air France-KLM vient de faire le choix de l'A350, ou encore la gestion des personnels au sol, des discussions ayant été engagées sur l'intégration des pilotes, sujet pourtant épineux. Sans compter qu'il aurait fallu composer avec les autorités de la concurrence.

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Une performance commerciale record

L'intérêt que pouvait susciter le rachat d'un concurrent sur l'Outre-mer et l'Afrique n'a donc pas suffi. Sur le plan opérationnel, Corsair présente pourtant une forme inédite. Alors que les comptes sont en train d'être clôturés pour l'exercice 2022-2023, qui s'est achevé le 30 septembre, Pascal de Izaguirre annonce déjà un chiffre d'affaires record de 643 millions d'euros. « Nous n'avions jamais réalisé une telle performance commerciale », s'est-il réjouit en précisant qu'il s'agit d'une croissance de pas moins de 48 % par rapport au dernier exercice avant la pandémie (2018-2019). Celui-ci était certes en recul par rapport aux années précédentes, mais la progression reste très forte.

Le patron de Corsair estime avoir ainsi enfin franchi « le plafond de verre » grâce à une dynamique de trafic soutenue tout au long de l'année, sur l'ensemble du réseau. Et celle-ci se prolonge pour le moment, avec un niveau de réservation en hausse de 71% pour le premier trimestre (octobre à décembre) et de 98 % pour le deuxième trimestre (janvier à mars) par rapport aux mêmes périodes en 2019.

Pascal de Izaguirre se montre même ambitieux et espère pouvoir ouvrir de nouvelles destinations dès l'été 2024 - avec notamment un développement en Afrique - « afin d'entretenir une certaine dynamique ». Il préfère néanmoins rester prudent et n'exclut pas de reporter ses projets à la saison hiver 2024-2025 si les conditions de lancement ne sont pas réunies.

Cela ne suffit pourtant pas à la compagnie pour redevenir bénéficiaire pour le moment, confrontée à une explosion des coûts, notamment carburant et change. Les comptes ne sont pas encore finalisés, mais les pertes pourraient dépasser la dizaine de millions d'euros, ce qui représente tout de même une amélioration significative. Mettant en avant le renouvellement de sa flotte, qui sera composée de neuf A330 NEO l'an prochain (avec la livraison des quatre derniers exemplaires entre février et octobre), Pascal de Izaguirre assure que la rentabilité est en train de s'améliorer. Et il se fixe ainsi de repasser dans le vert au cours de l'exercice 2023-2024 qui vient de débuter.

Léo Barnier

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Commentaires 2
à écrit le 21/10/2023 à 2:55
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9 avions et une base à Orly, que Air France va quitter : une fusion faisait elle encore sens ? Qui plus est, les syndicats imposeraient un alignement sur les conditions sociales et salariales les plus élevées, un maintien de postes "doublons", etc ...

à écrit le 20/10/2023 à 23:41
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"convolER"; Merci

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