Le bel été 2021 - à l'échelle de la crise connue par le transport aérien depuis bientôt deux ans - semble bien loin. L'automne encourageant tout autant. Les compagnies aériennes françaises sont désormais dans la crainte d'un hiver rude. En l'espace de 15 jours, la dynamique de la reprise a été sapée par plusieurs détonations provoquées par la crise sanitaire, avec la reprise de l'épidémie en Europe et l'apparition de l'inquiétant variant Omicron. Le spectre des restrictions de voyage fait ainsi son retour. Valeur refuge jusqu'à présent, les Antilles sont également dans la tourmente avec un mouvement social d'ampleur qui dure depuis quinze jours. Une mauvaise nouvelle alors que la haute saison débute.
La résurgence du Covid-19 en Europe, nouvel épicentre de la pandémie, a ravivé les restrictions à travers le Vieux Continent : l'Autriche, les Pays-Bas ou la Belgique ont réinstauré des mesures de couvre-feu, voire de confinement. La Commission européenne a pour sa part proposé de nouvelles mesures pour encadrer la libre-circulation au sein de l'Union européenne, notamment la limitation de la validité du passe sanitaire à neuf mois après la 2e dose. Autant de contraintes qui affectent la propension des passagers à voyager et impacteront donc l'activité des compagnies aériennes. Les prévisions de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) la semaine dernière faisant état d'un risque de 700.000 décès en Europe d'ici le printemps ne devraient contribuer à améliorer la situation.
La menace Omicron
A ce premier coup de massue est venu s'ajouter celui du nouveau variant qui fait trembler les gouvernements comme les marchés financiers. Alors que son impact reste encore à évaluer, Omicron a entraîné vendredi dernier une chute brutale du cours de bourse d'Air France-KLM, comme de celui de ses concurrents Lufthansa et IAG. Si les valeurs se sont stabilisées, elles restent sensiblement inférieures à la semaine passée.
Face à ces risques conjugués, les premières frontières ont commencé à se refermer. Le Maroc a été le plus prompt. Comme en 2020, le gouvernement marocain a suspendu les vols internationaux avec plusieurs pays, dont la France le 26 novembre, pour limiter les risques de voir l'épidémie reprendre sur son territoire. Avec l'apparition du variant Omicron, la France a pour sa part décidé de fermer ses frontières avec huit pays d'Afrique australe dont l'Afrique du Sud. Dans la foulée, Israël et le Japon sont allés un cran plus loin en interdisant l'accès à leur territoire à tout ressortissant étranger pour plusieurs semaines.
La bonne nouvelle est venue des Etats-Unis. Lors d'une allocution le 29 novembre, le président américain Joe Biden à déclaré qu'il n'anticipait pas à ce stade de nouvelles restrictions aux voyages internationaux (à l'exception des pays d'Afrique australe) pour face au nouveau variant Omicron. Une décision contraire aurait été très rude pour les compagnies françaises desservant les Etats-Unis (Air France-KLM, French Bee, La Compagnie et Air Tahiti Nui), 20 jours à peine après la réouverture des frontières américaines.
Premières conséquences pour le pavillon français
Air France fait partie des premières compagnies touchées directement par la flambée de l'épidémie avec la fermeture du Maroc, qui représente 5% de son trafic moyen-courrier (hors lignes domestiques). La compagnie a reçu l'autorisation de la part des autorités marocaines d'organiser cinq vols pour rapatrier environ 1.000 passagers vers la France, avec un tarif plafonné, mais n'a pas de visibilité sur la possibilité de réitérer ce type de rotations. Son programme de vols réguliers devrait quant à lui être perturbé pour plusieurs semaines encore.
Sa filiale Transavia est également affectée. Les vols vers le Maroc sont annulés au moins jusqu'au 15 décembre, tandis que dans l'autre sens la compagnie pourra assurer un programme a minima jusqu'au 5 décembre pour ramener ses passagers.
Air France comme Transavia sont également contraintes de composer avec la décision d'Israël de fermer ses frontières aux ressortissants étrangers. S'il ne s'agit pas d'une destination majeure dans leurs programmes respectifs, elles opéraient chacune une rotation quotidienne.
Quant au Japon, malgré un assouplissement il y a trois semaines, les possibilités d'entrer sur le territoire étaient déjà extrêmement limitées. Air France opérant déjà depuis plusieurs mois avec une clientèle quasi exclusivement japonaise, maintient donc son programme de sept vols par semaine, réparti entre Tokyo-Haneda, Tokyo-Narita et Osaka.
Sur les autres destinations, les programmes ne sont pas perturbés pour l'instant par la résurgence de la pandémie et Omicron. Les différents acteurs du transport aérien français insistent sur la nécessité d'une approche « ligne par ligne » et arguent qu'il est encore trop tôt pour déterminer l'impact réel du variant. « Nous n'avons pas encore d'effet visible dû à Omicron. Est-ce que cela va tasser ou freiner les ventes ? Pour être franc, cela date de vendredi dernier et nous ne le verrons qu'en milieu de semaine, mercredi ou jeudi », explique Marc Rochet, directeur général d'Air Caraïbes et président de French Bee.
Les réservations ralentissent
De premiers effets se font tout de même sentir. Transavia note ainsi un ralentissement de ses réservations depuis ce week-end, tranchant avec la bonne dynamique affichée depuis cet été. La compagnie indique avoir connu ce phénomène lors de l'apparition de précédents variants, avec des passagers dans l'attente de précisions sur les possibles restrictions de voyage. Si les autres compagnies préfèrent réserver leur diagnostic pour l'instant, il est fort possible qu'elles puissent être également touchées au moins sur certaines destinations.
Cela pourrait être pour Air Austral, Air France, Corsair et French Bee sur la Réunion, alors qu'un premier cas d'Omicron y a été détecté. Selon Marc Rochet, French Bee est pour l'instant « du bon côté » sur les réservations. Mais il déclare être dans l'observation, notamment avec la mise en place de nouvelles mesures sanitaires, avec un test PCR au départ de La Réunion vers Paris.
Sur le reste du réseau, le dirigeant revendique un très bon niveau d'engagement pour la fin d'année, que ce soit les Etats-Unis ou Tahiti. Il prévient néanmoins qu'il est fort possible de voir des mesures restrictives un peu plus importantes, telles que l'exigence de vaccination doublée d'un test PCR avec un temps de validité court (de l'ordre de 24 heures), se généralise sur les différentes destinations. En particulier pour accéder au territoire américain.
Contrairement aux réservations, la crainte est plus faible sur les annulations pour le moment. Depuis 2020, l'ensemble des compagnies françaises ont mis en place puis prorogé des mesures de flexibilité pour le report ou le remboursement des billets sans frais, parfois jusqu'à 24 heures avant le vol. Cette sécurité pour les passagers retarde les décisions d'annulation pour le moment. La contrepartie, c'est que la compagnie n'est pas à l'abri d'un retournement de situation conduisant à des annulations de dernière minute.
Les Antilles encore dans l'incertitude
Dans cette incertitude générale, les Antilles auraient pu faire figure de valeur refuge. Il n'en est rien pour l'instant, la Guadeloupe et la Martinique étant en proie à une forte agitation sociale. Si un accord de méthode a été trouvé il y a quelques jours en Martinique, la situation reste tendue en Guadeloupe après la visite de Sébastien Lecornu, ministre des Outre-Mer.
De fait, le ralentissement des réservations se confirme pour Air France. Il concerne les départs d'ici la fin de l'année et s'avère plus marqué sur la Guadeloupe que la Martinique. Le constat diffère quelque peu chez Air Caraïbes. Marc Rochet, directeur général de la compagnie, constate sur la période actuelle une baisse de trafic de l'ordre de 10% par rapport au niveau d'engagement pris depuis trois semaines. Il indique ainsi que des adaptations sur les horaires ont dû avoir lieu pour n'avoir que des départs et des arrivées de jour afin de faciliter la circulation des passagers sur place, mais que seuls deux vols ont dû être régulés sur la vingtaine de rotations hebdomadaires opérées entre la métropole et les deux îles. « Nous ne sommes pas sur un blocage complet des liaisons », ajoute-t-il, y voyant un moment difficile mais gérable pour le moment.
Comme pour les autres destinations, la politique de flexibilité sur les billets permet pour l'instant de maintenir les réservations et limite les annulations. Air Caraïbes constate ainsi un léger glissement de la Guadeloupe et la Martinique vers la République dominicaine. La compagnie a d'ailleurs mis en place un vol vers La Romana à la demande des croisiéristes, qui préfèrent éviter les Antilles françaises pour le moment.
Craintes pour début 2022
« Nous encaissons ce mauvais coup, mais nous n'avons pas une vision stabilisée de la décroissance de l'activité », analyse Marc Rochet. Il estime que le programme va se maintenir jusqu'à Noël, où le niveau d'engagement est de 90%. Son inquiétude se porte davantage sur le premier trimestre 2022, qui pourrait être impacter par le ralentissement actuel des réservations. De son côté, Julien Houdebine, directeur commercial et marketing de Corsair, déclarait la semaine dernière que les ventes n'étaient pas à l'arrêt pour autant, même si la rupture est palpable : « Nous continuons à prendre des réservations mais, par rapport à la semaine précédente, nous voyons clairement la différence. »
Si les tensions venaient à se prolonger dans les Antilles, cela pourrait même conduire à des annulations plus importantes. La situation serait alors bien plus difficile à gérer pour Air Caraïbes comme pour ses concurrents Air France et Corsair.
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