Le zéro artificialisation nette donne des maux de tête aux ports de la Seine

Comment concilier la sobriété foncière imposée par l’objectif du zéro artificialisation des sols et le double défi de la réindustrialisation et de la décarbonation ? C’est l’équation à plusieurs inconnues que doit résoudre Haropa Port, l’établissement public qui chapeaute les ports du Havre, de Rouen et de Paris.
Haropa Port fait face à une hausse des besoins fonciers tout le long de l'axe Seine.
Haropa Port fait face à une hausse des besoins fonciers tout le long de l'axe Seine. (Crédits : DR)

Sur le port du Havre, l'immense usine flambant neuve de Siemens Gamesa Renouvelables (SGRE) tourne à plein régime, son centre de formation aussi. Des 750 recrutements promis à l'origine par le turbinier, le curseur a été poussé à 900. Nécessité fait loi, il faut produire les éoliennes qui vont équiper les futurs parcs en mer appelés à émerger des flots dans les prochains mois et années. Mis à feu depuis à peine un an, le site dont le bâtiment principal s'étend sur 500 mètres de long convoite déjà d'autres espaces.

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Et pour cause. Les pales de plus de 80 mètres de long vont s'allonger au-delà des 100 mètres. Quant aux nacelles qui surplombent les mâts, elles accaparent le volume d'un confortable studio parisien. « Nous occupons  36 hectares et sommes à la recherche de 4 hectares supplémentaires à des fins de stockage », confirme Frédéric Petit, président de Siemens Gamesa France.

Sanctuariser ou construire, faudra t-il choisir ?

A l'échelle de la basse vallée de Seine, ce jeu de gagne terrain n'est pas prêt de mollir si l'on se réfère aux engagements pris par Emmanuel Macron sur l'éolien marin. Parce que venté et peu profond, le littoral normand, est bien placé pour accueillir un ou plusieurs autres parcs dans le futur, en complément des cinq déjà programmés ou en construction. A la clef, de gros besoins d'espaces sur le front de mer. « La planification en mer promise par l'Etat va devoir s'accompagner d'une planification à terre », prévient le dirigeant de SGRE.

Le problème que soulève Frédéric Petit illustre bien le dilemme cornélien que va devoir résoudre Haropa Port si l'objectif du « zéro artificialisation nette » (ZAN) s'applique au pied de la lettre dans son périmètre. Comment, en consommant moitié moins d'espaces comme l'impose le ZAN pour 2030, les ports de la Seine pourront-ils apporter leur tribut au développement de ces nouvelles industries vertes que Bruno Le Maire appelle de ses vœux ?

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« Aujourd'hui, la France n'abrite que quatre grandes emprises foncières équipées dont auront besoin les "gigafactories" de demain », rappelle, à toutes fins utiles, Virginie Carolo. La vice-présidente de l'association des intercommunalités de France est également la patronne de l'agglomération Caux Seine qui abrite l'énorme complexe pétrochimique de Port-Jérôme, proche du Havre, sur lequel s'abat en ce moment une pluie d'investissements. A l'instar du président d'Haropa, elle plaide pour un assouplissement de la règle là où préexistent « des toiles industrielles ». Mais difficile de dire, à ce stade, si le message sera entendu.

Haropa, peu zen face au ZAN

Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, a eu beau promettre devant son ami Edouard Philippe que les ports « sortiront de la trajectoire nationale » du ZAN au nom de leur contribution à la réduction de l'empreinte carbone, le président de l'établissement portuaire reste sur ses gardes à la veille du débat du « zéro artificialisation » au Parlement. « Le classement du foncier portuaire n'est pas gagné d'autant qu'il risque de susciter un peu de jalousie », admet Stéphane Raison. Exonérer les zones industrialo-portuaires du ZAN supposera, en effet, de rogner sur les « enveloppes » foncières nationale et régionales, au détriment d'autres territoires qui, eux aussi, sont demandeurs de « droits à consommer » (de l'espace) pour développer logements et activités.

Occupé à batailler dans les antichambres ministérielles, l'état-major d'Haropa n'en anticipe pas moins les futures contraintes qui s'imposeront à lui, quoi qu'il arrive. En réponse, l'établissement cherche notamment à acquérir des terrains privés le long de la Seine pour étoffer rapidement son offre. Plus facile à dire qu'à faire car la concurrence est rude. Candidat au rachat d'une vaste emprise dans le Mantois, il a été doublé par Renault dans la dernière ligne droite.

Reconstruire le port sur le port

Mais l'ensemble portuaire table surtout sur le réaménagement de friches (ou "brownfields" dans le jargon) pour éviter d'artificialiser des espaces naturels. Là encore, l'affaire n'est pas gagnée. En cause, des divergences de vue avec les administrations de l'Etat. « Nous estimons qu'un terrain délaissé par une entreprise, il y a quelques années, est bien une friche même s'il s'est renaturé entretemps et qu'il peut donc être affranchi des procédures classiques. Mais ce n'est pas facile à faire entendre », constate Kris Danaradjou, directeur adjoint d'Haropa, en charge du développement. « Avant tout, il va falloir définir clairement ce qu'est un "brownfield" », abonde Stéphane Raison en écho.

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La verticalisation des constructions est une autre des voies explorées pour économiser le foncier. En témoigne le cahier des charges très corseté que les ports de la Seine ont imposé au promoteur Goodman pour la construction de son futur hub logistique fluvial de Gennevilliers. « Ces exigences nous ont poussé à nous transcender, reconnaît Philippe Arfi, son directeur pour la France. Nous allons construire 90.000 m2 de surfaces sur 4 étages et sur 6 hectares, là où habituellement il en faut 25 ». Reste que le prix à payer est élevé. L'investissement se monte à 150 millions d'euros, « trois fois plus qu'un entrepôt lambda ». « On ne pourra pas faire cela partout », reconnaît l'intéressé.

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