Vie et mort des innovations

Francis Pisani est chroniqueur indépendant, auteur, expert international en innovation, conférencier. Son site : francispisani.net.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.

Nous "fêtons", si j'ose dire, la mort du télégraphe et la survie de Second Life alors que nous découvrons sur la base d'une étude historique sérieuse que même le mot "innovation" a une histoire et une vie (donc une mort?) qui lui sont propres.

Le télégraphe d'abord. Le dernier message sera envoyé d?Inde le 14 juillet prochain. Sa survie montre que les innovations profondes ont la vie plus dure qu'on ne serait tenté de croire. Les nouveautés ne "tuent" pas ? comme on a trop tendance à l'écrire ? les technologies d'hier. Elles modifient l'écosystème dans lequel elles évoluent. Ce qui fait dire à Will Oremus dans Slate que « le passé est encore présent, mais il est inégalement distribué » jolie paraphrase de l?expression célèbre du romancier William Gibson qui nous dit depuis longtemps que « le futur est déjà présent, etc. ».

1 million d'utilisateurs chaque mois pour Second Life

La dernière semaine de juin a permis à beaucoup de gens de fêter le 10ème anniversaire de Second Life, le site du réseau social en 3D qui a fait tant de bruit à ses débuts. On n?en parle plus mais, il reçoit encore, chaque mois, la visite d'un million d'utilisateurs qui se livrent, chaque jour, à 1,2 millions de transactions. Ils ont dépensé en 10 ans 3,2 milliards de dollars US pour l'acquisition de biens virtuels de tous types et ont passé sur le site l'équivalent de 277.266 années.

Voilà qui nous invite à aller plus loin sur la question de savoir ce qui fait qu'une innovation réussit ou échoue, qu'elle mène ses fondateurs à la fortune ou qu'elle leur sert de leçons pour mieux réussir la fois suivante.

Faire preuve d'un meilleur sens du timing

Il n'y a évidemment pas de réponse valable "avant", sinon les capital-risqueurs seraient encore plus riches et pourraient utiliser les outils de la science au lieu de suivre leur intuition ou, comme c?est trop souvent le cas, ce que font les autres. Et ça n'est pas Google Ventures qui va inverser l?équation. Fidèle à la philosophie de la maison mère, il investit en se fondant sur le big data.

Mais, au moment de signer le chèque il faut quelqu?un pour déterminer, parmi les éléments disponibles, ceux qui comptent le plus. Exemple : si vous avez le choix entre un entrepreneur qui, dans une aventure antérieure, a eu de bons résultats une mauvaise année et un autre qui a eu de mauvais résultats une bonne année, qui prendre ? La plupart d?entre nous répondrons « le premier » alors que les données révèlent que c?est plutôt le second pour la simple raison, explique au New York Times, Graham Spencer un des partenaires de Google Venture, qu?il a fait preuve d?un meilleur sens du timing.

Il y a en général un seul gagnant

Anne Bezançon qui a fondé et dirige Placecast.net, une startup de San Francisco spécialisée dans la publicité géolocalisée, m?a confirmé dans un entretien récent que « le timing est essentiel ». « Une bonne idée trop tôt ne résout rien », explique-t-elle, « et, trop tard, elle ne sert plus à grand chose. Au moment de lancer une startup on ne peut pas savoir combien de temps il faudra pour fabriquer son produit, ni comment les marchés réagiront, ni quand il y aura un vrai business. »

A quoi il faut ajouter qu?il y a en général un seul gagnant ? Instagram par exemple ? alors qu?au même moment une douzaine d?autres startups faisaient la même chose. Parmi les impondérables, estime Bezançon, il y a les connexions, voir l?alchimie des rapports personnels comme la rencontre entre Kevin Systrom, le fondateur et Mark Zuckerberg.

Innover ou comment être un hérétique

Ceux que la question de la mort des entreprises innovantes angoisse liront avec intérêt que même le mot « innovation » a une histoire. A un moment où l?on tend peut-être à moins innover mais à en parler plus une étude réalisée par le québécois Benoît Godin sur l?usage du mot montre qu?apparu au 13e siècle, il est d?usage plus fréquent qu? « invention » depuis 1970. A l?origine, dire de quelqu?un que c?était un innovateur c?était un peu comme l?accuser d?être hérétique. Le fait que ça n?est plus le cas est peut-être à rapprocher de la rareté des innovations disruptives?

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Commentaire 1
à écrit le 04/07/2013 à 8:59
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Avec l'auteur qui parle de timing, d'impondérable, d'intuition, ... on trouve tous les ingrédients pour que l'innovation soit un fruit du hasard, d'une rencontre fortuite. Si l'auteur parle d'innovation (n'est-il pas expert international en innovatio...

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