Dali VS Dall-E

HOMO NUMERICUS. Dall-E (prononcer « Dali »), outil qui génère automatiquement des images, révolutionne la conception graphique. Avec ce logiciel, il devient de plus en plus difficile de reconnaître le vrai du faux, voire... le beau du laid. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Au musée Salvador Dali de St. Petersburg, en Floride, a lieu en ce moment (jusqu'au 30 avril 2023) une exposition intitulée « The Shape of Dreams » (« La Forme des rêves ») : il s'agit d'une expérience interactive alimentée par le logiciel DALL-E d'OpenAI. Elle transforme les rêves des gens en œuvres d'art individuelles et les combine avec six autres rêves pour former une tapisserie collective.
Au musée Salvador Dali de St. Petersburg, en Floride, a lieu en ce moment (jusqu'au 30 avril 2023) une exposition intitulée « The Shape of Dreams » (« La Forme des rêves ») : il s'agit d'une expérience interactive alimentée par le logiciel DALL-E d'OpenAI. Elle transforme les rêves des gens en œuvres d'art individuelles et les combine avec six autres rêves pour former une tapisserie collective. (Crédits : Abaca Press via Reuters Connect)

Le fantasque et génial Salvador Dali avait coutume de dire : « La jalousie des autres peintres a toujours été le thermomètre de mon succès. »

Il en est de même avec Dall-E [1] (prononcer « Dali »), cette intelligence artificielle générative qui révolutionne la création visuelle, et qui, à ce titre, peut légitimement rendre jaloux n'importe quel artiste (humain), tant ses capacités permettent d'engendrer des créations artistiques originales.

Des images originales à l'infini

À l'instar de Chat-GPT, capable de créer des textes inédits grâce à ses milliards de données ingurgitées (voir ma précédente chronique « Quelle était la couleur du cheval blanc d'Henri IV ? [2»), quelques secondes suffisent à cet autre programme conçu par la société Open AI, aussi à l'origine de Chat-GPT, pour composer une image inédite créée à partir d'un texte écrit en langage naturel. Plus le texte sera précis et détaillé, plus le résultat sera saisissant.

Vous rêvez d'accrocher dans votre salon l'image d'une formule 1 au cœur d'une tulipe peinte selon la même technique picturale que celle qu'utilisait Gauguin ? Rien de plus simple ! Il suffit juste de le demander, et voici qu'apparaît sur votre écran cette image haute résolution du plus mauvais goût et, au passage, totalement absurde. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, Dall-E proposera non pas une mais six idées d'illustration, et cela en une poignée de secondes. De quoi en effet susciter un peu de jalousie de la part de vrais peintres en mal d'inspiration.

Disrupter l'industrie de la création

Dall-E, IA générative, est la traduction d'un triple phénomène qui depuis quelques années émerge en pleine lumière : la puissance des machines, l'accumulation de données, et le recours à la technologie des réseaux neuronaux qui imite le fonctionnement du cerveau humain. En ingurgitant des gigaoctets de données, les algorithmes d'OpenAI parviennent ainsi à générer des images réelles ou irréelles, selon la demande adressée à la machine.

Côté pile, les débouchés potentiels de ces IA génératives sont infinis, en particulier pour des secteurs qui travaillent à base d'images : architecture, design, éducation, médias...

Côté face, plusieurs sujets sont encore dans le « flou artistique », notamment sur la question des droits d'auteurs de ces images créées ex-nihilo par la machine : Dall-E, ou d'autres logiciels équivalents, pourront-ils plagier en toute impunité le style artistique d'un peintre ou d'un photographe ?

Distinguer le vrai du faux

Comme souvent, passé l'étonnement devant ces spectaculaires avancées technologiques, l'émergence de cette IA oblige à s'appliquer un peu de distance, ne serait-ce que pour pointer les possibles biais et dérapages éthiques de ces machines qui vont de plus en plus modifier notre quotidien.

Non qu'il s'agisse de verser dans un quelconque « techno-rabat-joie » mais plutôt revendiquer un droit de regard critique, du fait que les incessantes images véhiculées par le Web et les réseaux sociaux pèsent sur nos émotions. Si ces inquiétudes ne sont pas nouvelles depuis l'apparition des deepfakes [3], cette génération automatique d'images et d'œuvres contient tous les germes d'une possible nouvelle dystopie dans laquelle on ne pourra plus distinguer le vrai du faux.

Garde-fous éthiques

Pour contrer ce sombre scénario, des préconisations existent. D'abord, et à destination de ceux qui développent ces IA génératives, le devoir et l'obligation de mettre en place des garde-fous ; à commencer par la certitude que les bases de données qui servent à générer ces créations visuelles ne contiennent pas d'images violentes, racistes ou sexualisées. Il y a quelques mois, Anna Eshoo, élue démocrate à la Chambre des Représentants, alertait le gouvernement américain sur le fait que des internautes utilisaient Dall-E pour créer des images artificielles - par la suite mises en ligne - de femmes asiatiques sauvagement battues [4].

Ensuite, et parce qu'il est de plus en plus difficile, voire presque impossible de détecter une image générée par l'IA, des voix se font entendre pour que ces créations visuelles soient identifiées comme étant le résultat d'une conception artificielle.

En complément à ces préconisations à la charge de ceux qui conçoivent et utilisent ces technologies, sans doute faudra-t-il que nos ordinateurs et smartphones soient équipés de logiciels de reconnaissance d'images qui sauront automatiquement détecter si une image qui s'affiche est réelle ou fausse. C'est un comble : le recours à l'IA sera nécessaire pour nous prémunir contre... l'IA.

Dali VS Dall-E

Dans une autre de ses saillies tout en subtilité, Dali, le vrai, rappelait à ses visiteurs qu'il ne fallait pas « craindre d'atteindre la perfection car vous n'y arriverez jamais. » Dans cette phrase, résident les enjeux de ce match inédit entre « Dali » et « Dall-E ».

D'un côté, un logiciel qui laisse transparaître une forme de surréalisme obligé qui, au final, hésite entre plusieurs propositions comme s'il doutait de ses capacités à atteindre la perfection artistique. De l'autre, un artiste éclectique, excentrique, certes narcissique et mégalomane, mais par ailleurs maître incontestable d'une pensée iconoclaste pour qui la peinture était la face visible de l'iceberg de la pensée. À ce match de l'excentricité et de l'imagination débridée, Dali l'emporte sur Dall-E par K.O.

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NOTES

1 https://openai.com/product/dall-e-2

2 https://www.latribune.fr/opinions/blogs/homo-numericus/quelle-etait-la-couleur-du-cheval-blanc-d-henri-iv-948238.html

3 https://www.latribune.fr/opinions/blogs/homo-numericus/vous-avez-aime-les-infox-vous-allez-adorer-les-deepfake-830610.html

4 https://eshoo.house.gov/media/press-releases/eshoo-urges-nsa-ostp-address-unsafe-ai-practices

Philippe Boyer

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