BlackRock, l'ex-champion de l'ESG, passe à l'investissement à impact

OPINION. Après en avoir fait le fer de lance de sa politique de gestion d'actifs, Larry Fink, le PDG de BlackRock, l'un des plus importants fonds de gestion d'actifs du monde, a décidé de cesser de se baser sur les critères ESG préférant investir directement dans les entreprises qui participent à l'accélération de la transition énergétique. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'Essec.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

Après des années à faire pression sur les fonds d'investissement et les entreprises pour qu'elles mettent au centre de leur stratégie les critères ESG (Environnementaux, Sociaux, Gouvernance), Larry Fink, le patron de BlackRock, a décidé en 2024 de supprimer définitivement ce terme dans ses communications écrites et ses interventions publiques.

Ce n'est pas un aggiornamento mineur en ce sens que BlackRock, premier gestionnaire d'actifs mondial avec 10.000 milliards de dollars  d'actifs sous gestion, avait annoncé en 2020 qu'il utiliserait ses droits de vote contre les directions et les conseils d'administration des entreprises qui ne feraient pas de progrès en matière de pratiques liées au développement durable. En 2021, Larry Fink avait renforcé ce positionnement en affirmant que BlackRock allait se concentrer sur l'équité raciale et la justice sociale dans ses activités d'investissement et de gestion. Il s'insérait ainsi dans une vague d'engagements ESG pris par l'ensemble des dirigeants des grandes multinationales, avides d'une reconnaissance labèlisée de leur comportement présumé vertueux. Au fil des années, cet acronyme a grossi, sans consensus sur une définition cohérente et une mesure impartiale. Ainsi, un producteur de véhicules électriques comme Tesla a reçu des évaluations ESG  de certains fonds plus mauvaises qu'un producteur de pétrole et de gaz comme TotalEnergie.

Gagner de l'argent et rendre le monde meilleur

La proposition initiale de BlackRock était qu'il était possible à la fois de gagner de l'argent et de rendre le monde meilleur. Finalement, les fonds ESG n'ont pas réussi à faire mieux que le marché ni à montrer qu'ils avaient un impact bénéfique mesurable pour la planète.

En conséquence de son revirement, en 2023, BlackRock n'a voté « oui » qu'à 9 % des résolutions d'actionnaires portant sur des questions environnementales ou sociales, contre 40 % en 2021. BlackRock n'exercera plus de pression sur les entreprises pour qu'elles changent de comportement dans le sens que BlackRock définissait jusque-là comme vertueux et ne mentionnera plus les questions sociales. En revanche, le gérant de fonds va se concentrer sur l'investissement de transition, à l'impact mesurable et aux rendements sûrs et réguliers. BlackRock va se concentrer sur ce qu'il sait faire : collecter et orienter des capitaux vers des projets d'infrastructures d'énergie renouvelable comme le solaire, vers la production de biogaz venant du recyclage de déchets et de rejets animaux et vers la capture de carbone. Plus spécifiquement, BlackRock a déjà investi 550 millions de dollars dans le grand projet de capture directe du carbone dans l'air mené par Occidental Petroleum.

Cette évolution de BlackRock s'inscrit dans une désaffection plus large des flux d'investissements pour les fonds ESG et une réorientation générale vers les investissements en infrastructures directement liés à la transition énergétique. En effet, selon les chiffres de Morningstar, 13 milliards de dollars ont été retirés des fonds ESG cotés en 2023 contre une augmentation de 75 milliards de dollars dans les fonds d'investissement d'énergies renouvelables. Ces fonds ont récolté plus de 500 milliards de dollars entre 2018 et 2023.

Larry Fink a justifié son revirement en mettant en avant l'aspect devenu politisé et clivant aux Etats-Unis du terme ESG. Il a également souligné l'absence de consensus sur les critères ESG dû au fait que ESG a une signification différente pour les uns et les autres. En revanche, la décarbonation c'est du concret et du mesurable et ça présente l'avantage d'être bon pour l'environnement et bon pour les investisseurs, donc pour les actionnaires de BlackRock.

Une allocation optimale des capitaux vers les technologies de décarbonation

En remplissant sa fonction d'allocation des capitaux, le marché financier permet de mettre en place des projets à haute valeur sociétale, tout en rémunérant les investisseurs aux taux du marché. Ce n'est pas aux investisseurs de se prononcer sur des notions aussi floues que la vertu de tel ou tel projet. En revanche, les objectifs climatiques de Paris étant posés et les pays s'étant engagés vers le net-zéro, l'allocation optimale des capitaux vers les technologies de décarbonation prometteuses et vers le déploiement des infrastructures nécessaires à la transition sont par eux-mêmes vertueux et porteurs de bien-être collectif.

Il est heureux que les positions en matière d'investissement à impact et de progrès social dans tous les domaines environnementaux, sociaux et de gouvernance deviennent plus apaisés et plus rigoureux en termes de mesures. La BCE serait inspirée de se détendre elle-aussi dans ce domaine à l'exemple de Larry Fink et de ne plus chercher à « reprogrammer » ses collaborateurs qui ne seraient pas dans les clous de l'orthodoxie ESG.

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Commentaire 1
à écrit le 15/03/2024 à 8:48
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En effet ce seront les premiers à s'y mettre qui seront récompensés car préserver la nature massacrée par la cupidité financière ne se fera jamais par une usine à gaz comme "les critères esg" là surtout pour que rien ne bouge ou bien un tout petit pe...

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