L'écologisme contre l'écologie

Le bon score obtenu par la liste écologiste menée par Yannick Jadot lors des dernières élections européennes a remis l'écologie au centre de l'échiquier politique. Mais les projets qu'avance l'écologie politique et sa volonté de changer de modèle économique sont dangereux. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.
(Crédits : Reuters)

Emmanuel Macron et son gouvernement ont annoncé un virage vert profond. La logique politique de ce virage est évidente au vu du résultat des dernières élections qui a vu la liste écologie se classer en troisième position alors que les listes revendiquant une filiation « gilets jaunes » ont réalisé un score dérisoire. Qu'Emmanuel Macron découvre et reprenne à son compte une aspiration populaire à lutter contre le réchauffement climatique est légitime. Qu'il utilise cette aspiration pour capter un électorat marqué à gauche et cultivant l'anti-croissance est non seulement décevant mais aussi dangereux pour notre futur. La lutte contre le réchauffement est neutre en termes de parti politique. C'est un thème rassembleur et le débat devrait porter sur les moyens efficaces de réduire les émissions de dioxyde de carbone, identifiées par les climatologues comme la cause essentielle du réchauffement climatique. Ici, l'efficacité se mesure en coût des mesures prises rapporté à la réduction des quantités émises dans le temps le plus court possible.

Cette approche de l'écologie en tant que politique publique orientée vers un objectif de bien public et se mesurant avec les outils habituels d'évaluation des politiques publiques est celle de l'écologie saine. Elle se démarque de « l'écologisme », l'écologie malsaine qui, sous le masque, vise des objectifs autres, notamment de changement de société. L'écologisme est un rejet émotionnel et manichéen de notre société de croissance basée sur la libre entreprise, la propriété privée et le marché, et se manifeste par des mesures d'interdiction, de punition, de condamnation des méchants qui roulent au gasoil et d'exaltation des gentils. Cette version, qui malheureusement a le vent en poupe et séduit les médias, a pour figure de proue la lycéenne suédoise Greta Thunberg.

Enracinée dans le réel

L'écologie saine qui se préoccupe d'efficacité, procède d'une transformation graduelle de la croissance industrielle intensive en production de CO2 vers une croissance industrielle verte. Elle est enracinée dans le réel, c'est-à-dire, la nécessité de maintenir la création d'emplois à un rythme suffisant pour continuer à absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail tout en relevant le défi de la baisse des émissions.

Emmanuel Macron ne cesse pas de répéter que croissance économique et protection de l'environnement se renforcent mutuellement. Cela est vrai dans le moyen terme à condition de mettre en œuvre la version saine de l'écologie. Les décisions du gouvernement s'orientent au contraire vers des mesures punitives par nature anti-croissance. Il y a une raison à cela, si les taxes carbones correspondent à un coût directement supporté par les consommateurs, et donc sujet à contestation politique illustré par le mouvement des gilets jaunes, les interdictions, notamment à échéance plus longue, créent l'illusion d'être sans coût. En réalité, les interdictions engendrent des coûts considérables, qui seront subis par les consommateurs et les travailleurs dans les entreprises affectées, ainsi que par la société dans son ensemble, car elles ferment irrévocablement des voies de recherche et innovation et génèrent des restructurations sous-optimales et risquées d'industries entières.

En 2019, le Parlement Européen a fait passer une réglementation qui impose des sanctions aux constructeurs automobiles s'ils produisent des voitures qui rejettent plus de 60 g CO2/km en 2030 (95 g CO2/km en 2021). Pour chaque gramme de CO2 excédentaire, une pénalité de 95 euros, multipliée par le nombre de véhicules vendus sera appliquée. Face à cette norme, les constructeurs ont deux solutions : payer l'amende, réduire les profits et augmenter les prix ou produire des voitures électriques et forcer leur vente à prix discount, tout en transférant le surcoût sur leur gamme thermique. Déterminé à laver encore plus vert, le gouvernement français a proposé et l'assemblée nationale a accepté récemment d'interdire la vente en France des voitures à moteur thermique à partir de 2040.

Un système progressif de bonus/malus

Poser des limites sur la production de CO2/km via des incitations passant par un système progressif de bonus/malus est une mesure efficace. Imposer des restrictions et des interdictions par lesquels firmes et consommateurs sont quasiment contraints d'adopter un type de voiture électrique tient du pur planisme. La technologie qui sous-tend actuellement la voiture électrique n'est pas encore mâture, ni en termes d'autonomie, d'accès aux chargements rapides, de traitement de batteries usées, ni même de rendement énergétique vu la masse des batteries à transporter. Par ailleurs, la manière de produire l'électricité n'est pas questionnée. Enfin, la solution électrique de type batterie lithium est favorisée par rapport à la solution électrique-hydrogène pour des raisons très limitées d'affichage de court terme.

Ce type de posture des députés européens et français sans études globales est irréfléchi et dangereux. Il met en danger toute la filière automobile européenne de là même façon que les mesures volontaristes concernant la production d'énergie mettent en danger la filière énergétique. L'inconséquence des législateurs crée une énorme inconnue sur le futur des industries automobiles et énergétiques avec un risque de crise financière du même ordre que la crise de 2008. En effet, selon le professeur Michel Aglietta, l'inconnue pesant sur le futur va entrainer des dévaluations d'actifs colossales liés à l'énergie pouvant potentiellement entrainer une nouvelle crise financière. Selon une estimation de l'agence internationale pour les énergies renouvelables, les actifs qui devront être déclassés d'ici à 2050 se monteraient à 12.000 milliards de dollars, équivalent à 3 % du stock actuel de capital productif mondial.

La solution viable est du côté des mécanismes de marché et des incitations via les prix. La mesure la plus efficace est une incitation de la forme taxe carbone, d'un montant suffisamment élevé pour inciter à la réduction de la consommation d'énergie de ce type. La taxe sur le diesel s'apparentait à une taxe carbone et allait dans le bon sens. Malheureusement, le gouvernement a lamentablement échoué et a fait machine arrière du fait de la présentation émotionnelle de cette taxe mise en avant sur un mode accusatoire et sans tenir compte des besoins de mobilité des personnes habitant les banlieues et les zones rurales. C'est une occasion manquée. Les meilleurs économistes de la planète avaient pourtant donné des guides pour sa mise en place dont la principale était de restituer l'intégralité du produit de la taxe aux contribuables de façon à affecter leur comportement et non leur portefeuille.

L'exemple du Royaume Uni

Une solution complète est un système comportant une taxe carbone, des limites d'émission et un marché des droits de polluer. Le Royaume Uni a mis en place un système de ce type en 2013 concernant les émissions de carbone provenant de la production d'électricité. En 4 ans, les émissions ont diminué de 20% alors que sur la même période celles de l'Union européenne n'ont diminué que de 7%. De la même façon, avec une taxe carbone calculée pour rendre le charbon plus coûteux que le gaz naturel, la part du charbon est tombée de 44% en 2012 à 6% en 2018 ne générant qu'une hausse moyenne de 5% pour les usagers. Ce type d'évolution du charbon vers le gaz naturel est inacceptable pour les partisans de l'écologisme car le gaz naturel est une énergie fossile, donc par nature mauvaise, et qu'importe si le passage au tout renouvelable n'est pas réalisable en l'état actuel de la technologie.

Selon la Banque Mondiale, 20% des émissions mondiales de dioxyde de carbone feront l'objet d'une taxe carbone en 2020 contre 0% en 2004, une partie des nouvelles taxes venant de Chine. Espérons que l'écologisme ne fera pas manquer ce train-là à l'Union européenne et particulièrement à la France.

Après deux crises successives, sous la pression des intérêts négatifs de la BCE, le secteur bancaire européen est très affaibli. Il pourrait difficilement encaisser une dépréciation d'actifs massive liée au secteur automobile. Si le but des partisans de l'écologisme est de faire tomber le secteur bancaire, et par ricochet le capitalisme, leurs intentions doivent être clairement exposées et Emmanuel Macron doit prendre une position claire sur le type d'écologie qu'il soutient avant les prochaines élections.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 14
à écrit le 26/06/2019 à 18:01
Signaler
cerbot@,je rappellerais que c'est Greta,malgré son jeune âge ,qui a raison.Un rapport américain,qui vient de sortir dit que si l'augmentation de température depuis le début de l'ère industrielle atteint 2 degrés(au lieu du nouveau seuil de 1.5 degrés...

à écrit le 26/06/2019 à 8:55
Signaler
La jeune Greta Thunberg a semble-t-il fait l'école buissonnière pour nous agonir dans la rue et dans les médias de problèmes écologiques au lieu d'être en classe. Il me semble qu'elle ferait mieux d'apprendre à lire, à écrire et à compter sur son ba...

à écrit le 26/06/2019 à 6:11
Signaler
Parmi les "sachants",les experts,les éditorialistes,les commentateurs autorisés,les columnistes, il y a peu de monde qui se rend compte de la réalité du réchauffement climatique.Ils persistent à nous assener leurs certitudes économiques ultralibérale...

à écrit le 25/06/2019 à 13:00
Signaler
Ecologie, interaction entre les êtres vivants et leur biotope Ecologisme, prendre en compte le monde vivant sur Terre et respecter sa "surVIE" Cet article n'est rien d'autre que du greenwashing En 2050 + 3,5°, en 2100 entre + 5 à 10°. Le scénari...

à écrit le 25/06/2019 à 11:27
Signaler
Les véritables écologistes vous les trouverez a la campagne, pour ceux des villes... c'est une mode!

à écrit le 25/06/2019 à 10:38
Signaler
Vu que personne n est pret a reduire son train de vie (mais d accord pour reduire celui du voisin), c est pas gagné. La seule solution serait une decroissance rapide du nombre de terrien mais la encore on en prend pas le chemin (la population augmen...

à écrit le 25/06/2019 à 9:06
Signaler
"La taxe sur le diesel s'apparentait à une taxe carbone et allait dans le bon sens. " Je préfère largement l'analyse bien plus simple, claire et saine du genre "les banques financent la pollution boycottons les banques !" de la jeune suédoise que...

à écrit le 25/06/2019 à 7:54
Signaler
l'ecologie politique, ca sera la guerre civile les gens ne veulent pas se brosser les dents avec de la terre glaise et ne veulent pas aller travailler a 30km de chez eux a pied ( et sans chaussures, ca pollue) au passage hollande a ete elu avec les...

à écrit le 25/06/2019 à 2:34
Signaler
Ces 2 personnes persistent à croire ou feignent de croire que la taxe carbone et la croissance verte,seraient la solution pour diminuer le réchauffement climatique.Si on suit cette recette on est morts.La température terrestre augmentera de 4-5 degré...

à écrit le 25/06/2019 à 0:20
Signaler
L'écologie raisonnable, sous le vocable d'ecologisme matérialisé par la taxe carbone est une arnaque. Avec de telles idées, le réchauffement climatique, c'est l'opportunité de belles catastrophes écologiques. C'est aussi la garantie du bon fonctionne...

à écrit le 24/06/2019 à 22:33
Signaler
Il ne s’agit pas d’ecologisme Contre l’ecologie.il s’agit de capitalisme contre l’humanité. Ces messieurs se prétendent économistes? Mais alors ils devraient savoir qu’une croissance sans émissions de CO2 est impossible. C’est l’ écologie saine, somp...

à écrit le 24/06/2019 à 22:30
Signaler
Il ne s’agit pas d’ecologisme Contre l’ecologie.il s’agit de capitalisme contre l’humanité. Ces messieurs se prétendent économistes? Mais alors ils devraient savoir qu’une croissance sans émissions de CO2 est impossible. C’est la vraie écologie, comm...

à écrit le 24/06/2019 à 22:24
Signaler
La seule véritable écologie, c'est le malthusianisme. Tout le reste n'a aucun sens.

à écrit le 24/06/2019 à 22:07
Signaler
"Macron président des pollueurs", ça montre à quel point l'opposition est à cours d'arguments. C'est du n'importe quoi.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.