L'État de droit, cœur de l'Europe : les « micro-États » se doivent de renforcer cette valeur commune

OPINION. Dans les temps d'âpre compétition, tensions, et même guerre entre grandes zones géopolitiques, l'État de droit représente le cœur et la force de l'Union européenne. Toute atteinte à ce cœur met en danger cette Union. Dans un passé récent, trois « micro-États », Andorre, le Liechtenstein, et Monaco ont mis en danger cet État de droit. Il est impératif de continuer à combler les faiblesses qui pourraient subsister. Par Gérard Vespierre (*), Président de Strategic Conseils.
Gérard Vespierre.
Gérard Vespierre. (Crédits : Valérie Semensatis)

L'État de droit est l'un des « principes qui constituent la base de toute démocratie véritable », selon le Conseil de l'Europe. Il est donc essentiel que les nations européennes et l'Union européenne (UE) protègent cette valeur fondamentale sur l'ensemble du continent. Toutes les failles et oublis, qu'ils soient constitutionnels, financiers ou relatifs aux libertés individuelles, doivent être identifiés et corrigés.

L'aspect financier et fiscal ne constitue donc qu'une des volets du problème, mais il s'est révélé particulièrement visible ces dernières années. Nous pouvons en effet brièvement revenir sur les dossiers financiers et fiscaux qui sont apparus ces dernières années en Andorre, au Liechtenstein et à Monaco.

Les caractéristiques des trois Principautés

Ces affaires ont révélé, à la fois, les insuffisances internes de ces trois Principautés, et les manques réglementaires entre elles et l'Union Européenne. En raison de leurs secteurs bancaires et financiers, elles exercent une influence certaine sur les marchés européens, bien qu'elles ne soient pas membres de l'UE. Leurs marchés faiblement taxés et réglementés ont été le cadre de plusieurs affaires bancaires, avec implications politiques.

Mais elles ne doivent nullement être considérées comme des parias. Elles portent en elles une caractéristique commune, leur taille. Cet aspect structurel est loin d'être banal, car il porte en lui de façon « systémique » une conséquence : la proximité naturelle (voire la juxtaposition des rôles) des responsables des trois piliers politiques, judiciaires et économiques. Si l'on connaît la formule « small is beautiful » il conviendrait d'y ajouter « smaller is closer ». La taille très réduit crée une proximité structurelle et permanente.

Cet effet de taille, intrinsèque à leur existence, diminue à la fois les possibilités de concurrence, et augmente les probabilités de consanguinité, entre les institutions du pouvoir politique, de la justice, et de l'économie. Nous nous approchons ici de la notion de secret, plus facilement cultivé et gardé dans le cadre d'institutions fermées.

 Il y a donc une double nécessité de faire adopter des règles et des pratiques qui constituent des contre-feux systémiques aux situations de proximité et de juxtaposition de fonctions.

Les exemples suivants illustrent les difficultés qui ont été rencontrées, et les failles à combler. Beaucoup a été fait, mais il reste à faire.

Andorre et la Banque BPA

En 2015, le Trésor Américain, via son bras judiciaire (FinCEN), a publié un avis désignant la BPA comme une institution financière étrangère suscitant une préoccupation majeure en matière de blanchiment. Les autorités andorranes ont réagi immédiatement, saisissant les actifs de la Banque, malgré les éléments apportés par les actionnaires. Ces derniers ont donc perdu leur société, et le directeur a été incarcéré. Nulle action judiciaire avait été formellement entreprise.

Quatre années plus tard, le Trésor Américain a retiré sa notification, et les tribunaux espagnols ont blanchi BPA de toute faute...

De cette situation, on peut constater l'incapacité d'Andorre a faire respecter, dès le début, l'État de droit vis-à-vis de ses concitoyens, et, par contre, la capacité d'une institution américaine d'intervenir dans un pays de la zone euro, sans qu'une institution européenne soit, au préalable ou en parallèle, impliquée.

Le Liechtenstein et la Banque LGT

En 2008, les autorités allemandes ont révélé que la Liechtenstein Global Trust Bank avait aidé plus de 1.300 personnes à frauder le fisc en faisant évader d'Allemagne 4 milliards d'euros vers des fondations et des trusts créés par la Banque. Cette affaire a menacé la stabilité de la Principauté et impacté l'image de la famille royale. Ce dossier a été clôturé après le Liechtenstein ait accepté de verser à l'Allemagne un montant record de 50 millions d'euros.

Nous voyons ici l'illustration de l'addition d'une réglementation financière laxiste et d'une mauvaise gouvernance, également exploitées par des personnes extérieures à la juridiction.

Monaco et le « Monacogate »

Plus récemment, en 2017, des journaux français ont révélé qu'un oligarque russe avait influencé de hauts fonctionnaires monégasques afin qu'ils interviennent dans un différend personnel. Cette opération d'influence a permis de monter, à Monaco, l'arrestation d'un de ses partenaires commerciaux. Cet oligarque et neuf autres personnes ont ensuite été inculpés pour une série d'infractions liées à cette arrestation.

Dans ce cas, on constate comment les juridictions qui manquent de transparence, et d'organismes de contrôle, risquent d'être subverties. Des personnes physiques, riches et influentes sapent ainsi l'État de droit au bénéfice de leurs propres intérêts.

Au-delà des correctifs apportés aux réglementations internes de ces trois Principautés et aux procédures bancaires et judiciaires avec les principaux États de l'UE en relations avec elles, il reste néanmoins un certain nombre d'améliorations à mettre en place.

Les nécessaires améliorations à apporter

Il existe au niveau international une « Convention sur la lutte contre la corruption » mise en place par l'OCDE. Les trois Principautés ne font pas partie des 38 États membres de l'organisation, mais la Russie et l'Argentine qui n'en sont pas non plus membres ont néanmoins signé cette convention.

En dehors de ces dispositions internationales, il est important de considérer un renforcement de la supervision, et de la coopération des Principautés avec l'UE.

Monaco et Andorre mènent des discussions avec l'Union européenne depuis 2015 concernant une intégration plus avancée. Il y a ici une opportunité pour l'Espagne qui assurera la présidence du Conseil de l'UE à partir du mois de juillet prochain, de formaliser des progrès substantiels, voire de nouveaux accords formels de rapprochement ou d'harmonisation avec ces 2 principautés, dans les domaines financiers, fiscaux et judiciaires.

En dehors de ce cadre existant, la France a proposé une « communauté politique européenne » qui peut être également un cadre de réflexion vis-à-vis de ces trois Principautés européennes.

Toujours dans le cadre européen, il est également nécessaire de mentionner le renforcement d'accords croisés entre chaque Principauté et les pays européens les plus voisins, la France et l'Autriche en l'occurrence.

Un autre axe de développement et d'amélioration concerne le statut et la protection des lanceurs d'alerte. Leur rôle revêt un caractère très important, puisque le dossier de la Banque LGT, précédemment évoqué, a été révélé par l'un d'entre eux. Il n'est pas inutile de rappeler le dossier plus récent des Pandora Papers, mis à jour par des équipes de journalistes d'investigation.

Les lanceurs d'alerte remplissent un rôle dissuasif, qui va dans le sens du respect de la loi. Il est donc dans l'intérêt de l'UE de définir un cadre de protection, à l'échelle de l'institution.

Derrière ces dossiers se trouve l'épineuse rivalité entre le secret et la transparence. Les échanges de données, de plus en plus massifs, ne peuvent qu'encourager des démarches de plus en plus transparentes.

Au-delà des frontières européennes

Enfin, et dans l'optique d'un renforcement des institutions européennes, il semble nécessaire de réfléchir au mode d'action du Trésor américain. Il dispose d'une puissance redoutable, puisqu'il est agent émetteur des obligations d'État, gardien de la loi, et organisme de recouvrement de l'impôt. Nous ne disposons d'aucune structure comparable, à l'échelle européenne, puisque l'UE n'est pas fédérale. Mais n'est-il pas temps de proposer aux États-Unis des procédures de coordination avec une institution européenne, dans le cadre des actions que le Trésor américain décide d'entreprendre en Europe ?

L'État de droit fédère les membres de l'Union européenne. Il crée une cohésion politique et constitue une colonne vertébrale pour tous ses membres. Cela constitue une force essentielle au moment où les États autoritaires, Chine, Russie, Iran, s'étiolent. L'État de droit apparaît plus que jamais comme la grande force des démocraties.

Les trois Principautés européennes n'ont peut-être jamais imaginé le rôle qu'elles pouvaient finalement et positivement jouer dans l'importance de la confirmation de l'État de droit en Europe, à l'heure d'affrontements géopolitiques mondiaux, donc majeurs...

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(*) Gérard Vespierre, diplômé de l'ISC Paris, Maîtrise de gestion, DEA de Finances, Dauphine PSL, fondateur du web magazine : www.le-monde-decrypte.com

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