Le droit à l'oubli n'est pas l'oubli du droit...

OPINION. Le contentieux opposant la CNIL à Google sur le droit à l'oubli a fait l'objet d'observations de la part de l'Avocat général de la Cour de justice européenne. Analyse. Par Yann Padova, avocat, ancien secrétaire général de la CNIL (2006-2012), partner chez Baker McKenzie.
La grande salle de la Cour de justice européenne.
La grande salle de la Cour de justice européenne. (Crédits : Court of Justice of the European Union)

Le droit à l'oubli n'est pas l'oubli du droit... C'est ce que semble vouloir rappeler l'Avocat général de la Cour de justice européenne qui vient de publier ses observations sur le contentieux opposant la CNIL à Google. Rappelons ici que le droit à l'oubli a été créé par cette même Cour il y a 5 ans. Sur le fond, il s'agit d'accorder à toute personne le droit d'obtenir d'un moteur de recherche le déréférencement de la liste des liens web qui s'affichent lorsqu'une recherche est faite à partir de son nom. Mais si le droit à l'oubli s'en retourne ainsi devant son créateur, c'est qu'un certain nombre de questions qu'il soulève n'avaient pas été réglées par la Cour en 2014.

Trois options

Il en est ainsi de son champ d'application territorial : c'est-à-dire de la portée « géographique » de ce droit qui opère dans le cyberespace. Trois options s'offrent à la Cour : soit le droit à l'oubli doit intervenir sur tous les noms de domaines du moteur de recherche (.com, .fr, .ca etc...) quel que soit le lieu à partir duquel la requête sur le nom de la personne est effectuée, y compris hors du champ d'application territorial européen. Cette option confère une portée extraterritoriale et universelle juridiquement assez unique au droit à l'oubli.

La deuxième option consisterait à appliquer le droit à l'oubli seulement sur les résultats affichés à partir d'une recherche sur le nom de domaine correspondant à l'Etat où la demande est réputée avoir été effectuée (.fr pour un Français) ou, plus largement, sur les noms de domaine du moteur de recherche qui correspondent à l'ensemble des Etats membres de l'Union.

La dernière option serait de supprimer, depuis une adresse IP réputée localisée dans l'Etat de la personne concernée (via la géolocalisation), l'ensemble des liens litigieux sur l'ensemble des noms de domaines concernés, y compris ceux en dehors de l'Union à l'instar du « .com » (US). Cette solution, dite de « géoblocage », est mixte dans ses attributs puisqu'elle emprunte à la solution universelle le fait de porter sur l'ensemble des noms de domaines existants tout en limitant son effet territorial en le délimitant via la localisation de l'adresse IP.

Positions tranchées

Les positions des acteurs face à ces options sont particulièrement tranchées. Développant une interprétation singulièrement extensive du droit à l'oubli, la CNIL est résolument en faveur de l'option universelle. Mais tel n'est pas le cas d'un certain nombre de ses homologues européens, ni de la Commission européenne, ni encore de plusieurs ONG défendant le libre accès à l'information et la liberté d'expression à l'instar de l'Internet Freedom Fondation, Wikimédia ou la Fondation pour la liberté de la presse.

Car à travers la détermination de la portée du droit à l'oubli se joue, en miroir, celle du droit d'accéder à l'information. Plus l'un est étendu, plus l'autre est réduit. C'est ce qu'a clairement souligné l'Avocat général pour qui la version universelle du droit à l'oubli emporterait « le danger que l'Union empêche des personnes dans des pays tiers d'accéder à l'information ». Or, on voit difficilement pourquoi le droit européen régirait celui d'un Néo-Zélandais ou d'un Sud-Africain d'accéder à l'information. Et ce d'autant moins que l'intérêt du public à accéder à une information va nécessairement varier d'une région à l'autre. C'est un principe traditionnel de droit public international. L'autre risque identifié à juste titre par l'avocat général est celui de la réciprocité. Imaginons, indique-t-il, que des pays tiers interprètent leur droit de manière à empêcher les Européens d'accéder à une information, il en résulterait « un risque réel d'un nivellement par le bas au détriment de la liberté d'expression ».

Défavorable à l'option universelle, l'avis de l'avocat général ne lie cependant pas la Cour. Mais il esquisse une solution robuste et équilibrée, heureusement dépourvue d'effet extraterritorial que les Européens sont si souvent prompts à dénoncer eux-mêmes lorsqu'il en sont l'objet.

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Commentaires 3
à écrit le 29/01/2019 à 18:54
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Pourquoi les informations x y ou z ne s’effaceraient pas automatiquement au fur et à mesure que l’information n’est plus d’actualité ? ( comme une date de limite) Des que la date limite arrive , la page est effacée définitivement. Garder tout , stock...

à écrit le 29/01/2019 à 13:41
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Le droit n'existe pas ! Comme les nobles achetaient leur charge , les nobliaux d'aujourd'hui achètent leurs droits!

à écrit le 29/01/2019 à 11:16
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OK les gars mais qu'est-ce qui va empêcher alibaba par exemple de piquer nos données d'une part, très facile au sein d'un système qui laisse toute liberté au secteur marchand, vendre nos données à un consortium obscur thailandais par exemple ? ET...

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