Pourquoi faut-il repenser l’énergie des systèmes d’armes de façon globale

Le général (2S) Charles Beaudouin appelle à une révolution dans la gestion de l'énergie par les armées françaises. Une problématique qui a pris du retard sur la numérisation galopante des systèmes d'armes de plus en plus énergivores et qui doit également accompagner la transition énergétique en Europe.
L'énergie, une grande cause qui justifie de se donner, très vite, de grands moyens, à commencer par un pilotage fort à identifier (le général 2S Charles Beaudouin)
"L'énergie, une grande cause qui justifie de se donner, très vite, de grands moyens, à commencer par un pilotage fort à identifier" (le général 2S Charles Beaudouin) (Crédits : DR)

Là ou encore dans les années 1990 les armées étaient des forces mécaniques, utilisant l'électricité et l'hydraulique elles sont aujourd'hui connectées et dotées d'électronique embarquée, à motorisation de tourelle électrique et de fantassins à "smart jackets". Elles sont de plus en plus énergivores. Pour autant, les batteries pour les véhicules et les groupes électrogènes sont encore la norme. Et si pour le citoyen du XXIème siècle, la nécessité de la charge de son mobile est une obsession, le sujet prend une autre acuité en situation de combat dans un environnement abrasif et hostile. Ainsi donc si le virage numérique des armées est largement engagé, beaucoup, pour ne pas dire tout, reste à faire pour la gestion de l'énergie des forces numérisées. L'énergie dans toutes ses acceptions est donc un sujet capital et transverse, véritable fil à la patte du combattant.

Comment admettre qu'un groupe de combat doit jongler avec de nombreux types de batteries différentes pour ses équipements et qu'un JTAC (Joint Terminal Attack Controller), officier en charge des guidages aériens, aura quant à lui six batteries différentes à porter en permanence (JVN, armement, désignateur, postes de communication, etc.). Un casse-tête qui justifie une logistique dédiée (autonomie limitée, batteries de rechanges, chargeurs, incapacité à se délester des batteries usées,...). Enfin la masse, ennemie du combattant débarqué, est mise à mal lorsqu'un combattant connecté est équipé de deux batteries qui alimentent son équipement, et deux batteries de rechanges dans son sac, soit deux kilos pour ces seules batteries. Le retard du défi de l'énergie doit être rattrapé par rapport à la numérisation galopante des armées.

Défense : pourquoi pas une direction dédiée à l'énergie ?

Pourquoi faut-il repenser l'utilisation de l'énergie dans les armées ? D'abord et avant tout, il convient de situer ce sujet dans les trois tendances majeures qui affectent l'évolution de nos capacités militaires : la transition écologique, les conflits interétatiques (dits symétriques) de haute intensité et le numérique. Or, d'une part, le conflit symétrique génère une dépense d'énergie bien moins maîtrisée que les combats asymétriques, dans la mesure où, contrairement au second cas, il n'est pas loisible de choisir le tempo de ses opérations ; d'autre part le numérique est extrêmement consommateur en énergie. Cette conjugaison de contraintes pose en soit un problème majeur qui ne pourra être résolu de manière responsable, au moins en Europe, qu'en tenant compte de la contrainte de la transition écologique.

Ce défi de l'énergie justifie un grand combat par un pilotage centralisé, une politique rigoureuse d'harmonisation des batteries et le recours à des énergies complémentaires si ce n'est alternatives. Les agences d'acquisition étatiques ont tout intérêt à instaurer une direction dédiée à l'énergie, s'appuyant sur une filière industrielle européenne, compte tenu de l'importance du sujet pour la capacité opérationnelle des armées. Le sujet de la souveraineté énergétique des armées est aussi un enjeu pour le civil.

Bien sûr, argument supplémentaire d'une « grande cause » unifiée, le sujet de l'énergie rencontre celui de la transition énergétique. La combinaison des attentes militaires et environnementales doit être recherchée, sans rien sacrifier de la capacité de nos armées, voire en les augmentant comme il sera présenté plus bas. La consommation d'énergie de nos forces est répartie pour 75% pour les moyens mobiles (véhicules, combattants, systèmes d'armes et d'information) et 25% pour les moyens statiques (camps). Il existe donc matière à repenser celle-ci au regard de la nécessité d'alléger les empreintes logistique et carbone et la facture globale.

Le sujet des camps est le plus aisé à résoudre du fait, c'est un truisme, de leur caractère statique. De fait, les camps en opérations (FOB, forward operational bases) sont devenus les lieux du stockage de distribution d'énergie et de régénération des batteries. Les opportunités offertes par les énergies renouvelables ou nouvelles (hydrogène) sont prometteuses et le projet des « éco-camps » est bien avancé dans les armées françaises.

Gestion énergétique du blindé : une révolution possible

Il en va autrement des véhicules blindés utilisant une vétronique (électronique embarquée), dotés de motorisations électriques de tourelle ou de tourelleau, et embarquant une radio très capacitive, un système d'information terminal, des brouilleurs et senseurs. Leur réserve énergétique est très faible. Leurs moteurs eux-mêmes, moteurs de la gamme camion le plus souvent, sont à gestion électronique. Quand on sait que la vitesse moyenne sur une journée de combat d'un blindé est souvent de... 6 km/h du fait de nombreux arrêts en postes de combat, cet engin est incapable pour une mission de veille un peu prolongée, de fonctionner sur ses seules batteries. Il est condamné à demeurer moteur tournant avec quatre conséquences immédiates néfastes : il est bruyant, présente une forte visibilité par les capteurs thermiques ennemis, réduit son autonomie par surconsommation de carburant et il génère une pollution environnementale.

Dès lors, deux solutions s'imposent, le groupe auxiliaire de puissance et la motorisation hybride. Éliminons la motorisation tout électrique qui ne saurait être adaptée à des engins de 20 à 50 tonnes énergivores qui auraient bien peu d'autonomie et des temps très longs de rechargement, tout le contraire de la disponibilité requise pour des phases de combat, de surcroît toujours longues. Le groupe auxiliaire de puissance est utilisé sur le Leclerc depuis sa conception (et installé en retrofit sur les chars Abrams américains). Son principal défaut réside dans la limitation de la génération électrique au regard de son encombrement

La voie privilégiée aujourd'hui est la motorisation hybride thermique/électrique. Ainsi un plan d'étude amont a été notifié il y a quelques années à la DGA à Arquus pour un démonstrateur blindé hybride ELECTER sur VAB MKIII modifié. Depuis l'ancienne ministre des Armées française a décidé de la réalisation d'un démonstrateur du blindé Griffon hybride pour 2025 et Arquus, toujours lui, a développé son concept de véhicule blindé léger de reconnaissance Scarabée en motorisation hybride. Texelis dispose d'un projet avancé.

L'élan est donné mais force est de constater qu'il n'y a pas ou excessivement peu de programmes de blindés hybrides en développement dans le monde. Pourtant, une motorisation hybride bien pensée peut apporter à un blindé pas moins de quatre facteurs de supériorité nouveaux : l'emploi du mode électrique silencieux à l'approche de l'ennemi ; une vitesse accrue en cas de prise à partie par un ennemi, en cumulant les motorisations électrique et thermique ; une autonomie accrue par gestion du mode électrique, notamment permettant d'économiser le carburant, augmentant la disponibilité au combat. Enfin, en cas de dégât au combat touchant le moteur thermique, il est peut-être envisageable de recourir à la motorisation électrique pour rejoindre un poste à l'abri des coups.

Quel apport à la transition écologique ? D'abord par moindre consommation de carburant. Ensuite, les déploiements en opérations sur des territoires avec moindre qualité de carburant (particules) imposant aux véhicules militaires, par dérogation spéciale, de demeurer en norme Euro 3, l'assistance électrique au moment du démarrage et des accélérations permet une quasi équivalence à la norme Euro 6. L'emploi de remorques de combat dédiées à la génération électrique se chargeant lors des phases de déplacement doit également être envisagé pour apporter une solution aux besoins d'énergie des groupes de combat d'infanterie lors des haltes et bivouacs.

Conclusion

Le problème de l'énergie dans les armées rencontre les bouleversements d'ordres géopolitique, environnemental et technologique, qui établissent un nouvel ordre mondial. Il s'agit d'apporter des réponses à la hauteur de l'importance, de la gravité même, du sujet, alors même que cet ordre s'impose déjà à nos armées qui ont largement franchi le pas du numérique et que les réponses ne sont qu'initiées. L'enjeu n'est rien moins que la capacité même de nos armées à agir et à durer. L'énergie, une grande cause qui justifie de se donner, très vite, de grands moyens, à commencer par un pilotage fort à identifier.

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Commentaires 3
à écrit le 27/06/2022 à 14:06
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La question qui se pose n'est plus comment protéger mais qui protéger? Depuis que le français de base n'est plus formé, le doute s'installe!

à écrit le 27/06/2022 à 13:31
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Bonjour, Ils y a bien longtemps que les systèmes sont trops gourmande en énergie.... Le problème dans les véhicules s'est de recharger les batteries sans utiliser le GMP ( groupes moto propulseur). Pour cela le char Leclerc utiliser une turbine......

le 28/06/2022 à 0:53
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Le pb exposé est lourd, la logistique de ces batteries, moteurs hybride et APU un casse tête. Mais n’oublions pas le pb numéro 1 des russes: les camions citernes sont décimés en territoire hostile. La solution se trouve peut-être dans des carburants...

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