Retraites à 64 ans : la moins mauvaise des solutions ?

ANALYSE. La hausse des cotisations patronales serait plus coûteuse économiquement, celle des cotisations salariales socialement et une contribution des retraités politiquement. Par Éric Pichet, Kedge Business School.
Des manifestants protestent contre le plan de réforme des retraites du gouvernement.
Des manifestants protestent contre le plan de réforme des retraites du gouvernement. (Crédits : ERIC GAILLARD)

Aujourd'hui, environ 30 millions d'actifs et de chômeurs cotisent au titre de l'assurance retraite pour 16 millions de retraités. Pourtant, ces cotisations ne suffisent plus à garantir les 345 milliards d'euros de pensions versées 2021. Elles ne financent « que » 79 % des retraites, le solde provenant de recettes fiscales pour 13 % (impôts affectés CSG payés par les actifs et les retraités), de transferts pour 7 % (de l'assurance-chômage et des prestations familiales, etc.) et de diverses subventions.

Dans les prochaines années, les évolutions démographiques et l'allongement de l'espérance de vie, passée de 81,9 ans en 1995 à 85,2 ans aujourd'hui pour les femmes et de 73,9 ans à 79,3 ans pour les hommes, menacent encore plus ce fragile équilibre. En conséquence, en 1960, on comptait quatre cotisants pour un retraité en 1960, deux pour un en 2004 et seulement 1,7 pour un en 2019. Sans réforme, on passerait mécaniquement à 1,5 pour un en 2040.

Dans son rapport annuel publié en septembre 2022, le Conseil d'orientation des retraites (COR) avait calculé que le déficit du système des retraites atteindrait 13,5 milliards en 2030, soit 0,5 % du PIB sur la base d'un scénario de croissance de 1,3 % conforme à nos analyses, d'un accroissement de la productivité de 1 % par an comme la dernière décennie et d'un taux de chômage très optimiste estimé par le gouvernement du fait des réformes structurelles en cours à seulement 4,5 %.

Si ce taux de chômage devait rester au niveau actuel de 7 %, le déficit s'élèverait à 20 milliards en 2030 ou 0,8 % du PIB. Cette dernière hypothèse nous semble plus réaliste car les dernières années ont montré que les crises économiques pouvaient être extrêmement violentes d'autant que l'endettement mondial et le risque climatique n'ont jamais été aussi élevés. La nécessité d'une réforme destinée à assurer l'équilibre et la soutenabilité du système des retraites ne fait donc comptablement guère de doute, même avec les hypothèses optimistes du gouvernement.

17,7 milliards de recettes en plus en 2030

Le projet de loi présenté en conseil des ministres le 23 janvier renoue avec la tradition des réformes dites « paramétriques », qui jouent sur la durée de cotisation et l'âge légal de départ, dans la lignée des précédentes de 1993, 2003, 2010 et 2014.

Dans ce cadre, les seules solutions pérennes impliquent soit une baisse des pensions rejetée par l'opinion et écartée par le gouvernement ; soit une hausse des cotisations patronales exclue au nom de la compétitivité des entreprises, le coût du travail étant déjà parmi les plus élevés en Europe ; soit enfin une hausse des cotisations salariales refusée au nom de la sauvegarde d'un pouvoir d'achat déjà sous tension.

L'augmentation globale du temps de travail des actifs qui passe principalement par l'allongement de la durée du travail moyen apparaît donc comme la moins mauvaise des solutions paramétriques.

La réforme proposée prévoit ainsi de jouer simultanément sur les deux paramètres clés. Le premier est l'allongement de l'âge légal, de 62 ans à 64 ans en 2030 (en 1945 à la création de notre système de retraite par répartition il était de 65 ans... soit l'espérance de vie moyenne des hommes). Le second est l'accélération d'ici 2027 (au lieu de 2034) de la réforme précédente de 2014 qui portait sur le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein à 172 trimestres, soit 43 ans contre 167 trimestres. Cet allongement de la vie active procurerait un surcroît de recettes de 17,7 milliards en 2030, permettant de financer pour 4,8 milliards de mesures sociales prévues dans la réforme (pour la pénibilité, les carrières longues, le minimum de 1200 euros brut pour une carrière complète, etc.).

Le report de l'âge légal vise en outre à accroître le taux d'activité des seniors. Ce dernier reste en effet relativement faible en France avec seulement 56 % des 55-64 ans en emploi contre 61 % en zone euro, 72 % en Allemagne et 77 % en Suède. Avec le même taux d'emploi des seniors qu'en Suède, nous aurions 1,6 million de seniors supplémentaires en activité, soit autant de cotisants supplémentaires et une hausse de 10 points de ce taux de 56 % à 66 % suffirait à combler la totalité du déficit attendu en 2030.

ooo

Comme on l'a constaté avec les réformes de 2010 (de 60 ans à 62 ans) et de 2014, l'allongement de l'âge légal et de la durée de cotisation a un impact significatif sur le taux d'emploi des 55-64 ans, qui est passé de 40 % en 2009 à 56 % aujourd'hui. Enfin, l'instauration dès 2024 d'un « index seniors », qui obligera toutes les entreprises de plus de 300 salariés à publier leur taux d'emploi de salariés de plus de 55 ans, devrait encourager cette tendance.

Faire contribuer les retraités, le coup d'après ?

L'enjeu de l'équilibre de notre système de retraites ne se limite plus au dialogue social entre syndicats et patronats : il constitue une véritable question de finances publiques car si les régimes de retraités des salariés et des indépendants sont à l'équilibre, ceux de la fonction publique, des régimes spéciaux et des exploitants agricoles n'y parviennent que grâce à une contribution de l'État d'environ 30 milliards euros par an, soit 1 % du PIB. La réduction du déficit public, l'un des plus élevés de la zone euro à 5 % du PIB, devenant une priorité absolue elle nécessitera à moyen terme de nouvelles réformes des retraites (d'autant plus que la réforme actuelle prévoit des dispositifs pour les métiers pénibles, mal définis à ce stade, qu'il faudra financer).

Comme il sera difficile de reporter à nouveau l'âge légal, une mesure contre laquelle les Français se sont mobilisés en masse le jeudi 19 janvier, la question de la contribution des retraités à l'équilibre du système pourrait bien se reposer dans les prochaines années, d'autant que leur niveau de vie est désormais supérieur à celui des actifs.

La manière la plus efficace et la moins brutale serait sans doute de limiter la valorisation des pensions, comme cela fut le cas au cours de deux dernières décennies. Le relèvement de la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus de remplacement, instaurée en 1994 et qui représente aujourd'hui 2 % des ressources du système de retraite, constitue également une voie.

Si la complexité des quatre taux de CSG défie le bon sens (de l'exonération totale à un taux réduit de 3,8 % entre 11 432 et 14 944, puis un taux médian de 6,6 % entre 14 945 et 23 193 et enfin un taux de 8,3 % au-delà ce dernier seuil), rien ne peut justifier qu'un retraité gagnant 5 000 ou 10 000 euros par mois paie moins de CSG sur ses revenus qu'un smicard imposé à 9,2 %...

Les futurs gouvernements pourront également être amenés à remettre en cause certaines niches fiscales, comme l'abattement « pour frais professionnels » (sic) de 10 % sur les pensions (plafonné à 3 912 euros en 2021) qui coûte 4,2 milliards d'euros par an et qui n'a aucune légitimité. Mais ce chantier électoralement très sensible n'est bien entendu pas pour tout de suite.

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Par Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 22
à écrit le 01/02/2023 à 20:22
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La retraite par répartition est fondée sur la solidarité entre les générations. Pour la maintenir, le contrat doit être équilibré raison pour laquelle les retraités doivent aussi faire des efforts. Voir l'article : La retraite à 64 ans, une arnaque i...

à écrit le 01/02/2023 à 17:35
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Je vous remercie votre analyse est totalement limpide et claire pourquoi ne peut on pas détailler cela à l ensemble des Français. Les français dans la rue ne sont pas représentatifs ce sont en majorité des fonctionnaires et des nantis du système sn...

à écrit le 01/02/2023 à 8:29
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Non les Français ne sont pas bêtes, ils sont juste un peu « limités ». La réforme des retraites va peut-être passer ou être rejetée et ils n’auront pas compris que quand on leur a dit que nos voisins européens partaient beaucoup plus tard à la retrai...

à écrit le 31/01/2023 à 16:42
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On notera qu’en plus des deux années de travail supplémentaires imposées, l’âge de départ retenu– 64 ans–correspond malheureusement à la fin de «l’espérance de vie en bonne santé»… C’est un choix inattendu qui est proposé aux français; le choix de la...

le 31/01/2023 à 17:38
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"correspond ... à la fin de «l’espérance de vie en bonne santé»" la fin ? Non, l'âge moyen donc certains usés avant, d'autres en pleine forme après (les femmes ont une durée de bonne santé plus longue, 2 ans je crois, les japonais j'avais lu 10 ans d...

à écrit le 30/01/2023 à 9:32
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En France c'est la double peine, une durée de cotisation délirante, 44 ans à terme et un âge mini à 64 ans. Pourquoi ne pas laisser le choix à chacun, quitte à appliquer une décote pour ceux qui partent à 62 ans.

à écrit le 29/01/2023 à 0:50
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C est marrant eta Ne communique pas sur l espérance de vie par catégorie socio professionnelle : employés - ouvriets- technicien- maitrise 10 a 15 ans de moins que cadre sup/ dirigeant qui donc nous coûtent cher des économies sont à faire la .. de m...

le 29/01/2023 à 9:12
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la reforme des retraite est la preuve de la lachete de m macron qui prefere appliquer les directives de bruxelles a celle revendiquer des francais a savoir l'education national la sante et une reforme profonde de l'etat mais se gardand bien de re...

le 30/01/2023 à 9:25
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Et allons jusqu'au bout pourquoi ne pas regarder l'espérance de vie hommes femmes ? ça fait désordre de dire ceci pourtant c'est une réalité !

à écrit le 28/01/2023 à 12:13
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enfin des explications claire pour ceux qui ne veulent pas comprendre c'est simple en etant claire si rien n'est fait en 2030 les nouveaux retraites pour avoir leur retraite demanderont l'aide de l'etat et verrons les impots augmentés pour combler le...

le 29/01/2023 à 9:56
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Si c'est pour que d'autres caisses prennent le relais pour régler le problème, cela n'est qu'une "réforme" d'apparence ! :-)

à écrit le 28/01/2023 à 11:27
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Fixer l’âge légal de la retraite Secusoc à 64 ans ne peut-être qu’une mesure transitoire. Si l’on persévère dans ce système, il y aura un jour, sans doute pas très éloigné, où cet âge aura besoin d’être réévalué, notamment lorsque l’on tendra vers 1...

à écrit le 28/01/2023 à 10:47
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Oui, la réforme de la retraite à 64 ans est une bonne réforme, je n'ai rien à redire là dessus

le 29/01/2023 à 0:45
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C est pas le cas des 77% de français selon les sondages d’ opinion.. et on ne fait pas des lois contre son peuple …donc allez bosser au delà si ça vous chante … mais commençons par retirer le frais professionnel des retraites .. et augmenter la csg ...

le 29/01/2023 à 0:45
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C est pas le cas des 77% de français selon les sondages d’ opinion.. et on ne fait pas des lois contre son peuple …donc allez bosser au delà si ça vous chante … mais commençons par retirer les frais professionnels des retraites .. et augmenter la c...

le 29/01/2023 à 0:48
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C est pas le cas des 77% de français selon les sondages d’ opinion.. et on ne fait pas des lois contre son peuple …donc allez bosser au delà si ça vous chante … mais commençons par retirer les frais professionnels des retraites .. et augmenter la c...

le 29/01/2023 à 11:43
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Laissez moi deviner... Vous êtes retraité ? :-)

le 29/01/2023 à 13:11
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C'est encore insuffisant, il faudrait augmenter le nombre d'années de cotisation à 45 pour favorises les carrièeres longues. Après avec la decote tout le monde pourra partir avant avec une retraite plus legèere, mais en faisant des économies durant l...

à écrit le 28/01/2023 à 10:26
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Donner le choix... ; en versant une pension forfaitaire égale pour tous, à 60 ans sans cessation d'activité si le salarié est en capacité et le désire ! Cela ouvre bien des portes pour régler le problème !

à écrit le 28/01/2023 à 9:47
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propagande d'etat qui ne prend en compte qu un seul point de vue , le point de vue economique. en oubliant que les actifs d'aujourd'hui auront connus pollution, surstress.. et ne vivront pas si vieux. et que le besoin de reformer est un mensonge d et...

le 29/01/2023 à 0:48
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l espérance de vie stagne et baissera peut être . Il y a une explosion des maladies auto immunes et chroniques 10 millions de français sont concernés ..pollution ? Malbouffe?

à écrit le 28/01/2023 à 8:01
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L’expert de la business school discipleepte de saint excel, planqué derrière son écran qui veut convaincre le manoeuvre de manier la pioche 2 ans de plus. Aucune chance!

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