Gare du Nord : les procédures juridiques qui peuvent être engagées par Paris

La Ville de Paris a annoncé ce 8 juillet vouloir "s'opposer politiquement et juridiquement" à la décision de l'État de délivrer le permis de construire portant rénovation de la gare du Nord. Mais de quels leviers dispose la mairie pour ce faire ? Éléments de réponse.
César Armand
(Crédits : Valode & Pistre)

Il n'a rien voulu dire. Le premier adjoint d'Anne Hidalgo a certes annoncé ce 8 juillet que la mairie de Paris allait "s'opposer politiquement et juridiquement avec tous les outils" au permis de construire délivré par l'État quant à la rénovation de la gare du Nord. Mais Emmanuel Grégoire est resté flou sur les procédures qui seront engagées. "La stratégie juridique de la Ville est confidentielle et je ne rentrerai pas dans le détail", a déclaré l'élu local.

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Interrogé par La Tribune, l'avocat à la Cour Arthur de Dieuleveult estime que la municipalité ne s'attendait pas à un tel acte puisque, selon lui, elle espérait a minima que le préfet de Paris-Île-de-France Michel Cadot ne prenne pas de décision dans le court délai d'instruction qui lui était imparti (21 mai 2019-6 juillet 2020)"Ce qui aurait eu l'avantage de faire naître, par le silence, une décision implicite de rejet conformément à l'article R. 424-2 du code de l'urbanisme", dit-il.

Soumis au code de l'urbanisme et au code de commerce

Avec pas moins de 61.515 m² de surface de plancher supplémentaires, le projet est en effet soumis au code de l'urbanisme, et c'est pourquoi il a fait l'objet d'un arrêté de permis de construire, après étude d'impact et enquête publique. Les 16.321 m² de surface de vente sont, elles, soumises au code de commerce, d'où un arrêté de permis de construire valant autorisation d'exploitation d'exploitation commerciale. "Ce caractère bicéphale exigera de la mairie de Paris qu'elle engage deux contentieux parallèles pour multiplier les chances de succès", assure Arthur de Dieuleveult.

La Ville a ainsi, explique-t-il, deux mois à compter du premier jour d'affichage du permis de construire sur le terrain d'assiette - terrain sur lequel sont implantés les bâtiments - du projet pour saisir le juge administratif, tant sur l'annulation de l'arrêté valant autorisation de construire que sur l'annulation du permis de construire permettant l'exploitation commerciale.

Le contentieux de l'urbanisme, "un chausse-trappes"

Dans la première affaire, l'intérêt à agir de la mairie de Paris sera justifié par le fait qu'elle est propriétaire de biens immobiliers voisins, "ne serait-ce que le domaine public communal qui encercle l'emprise du projet", précise l'avocat. Dans la seconde, elle est membre de la Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) de Paris, lui donnant un droit de regard sur les projets autorisés par la Commission nationale d'aménagement commerciale (CNAC).

"Le contentieux de l'urbanisme est devenu un contentieux à chausse-trappes dans lequel le requérant s'engouffre sans savoir ni quand ni comment il en ressortira : souvent très rapidement, et parfois mal en point", prévient toutefois Arthur de Dieuleveult. "Les procès sont rapidement instruits et les degrés de juridiction largement entamés : en l'occurrence, le procès devra être engagé directement devant la Cour administrative d'appel de Paris et non devant le tribunal administratif", ajoute-t-il.

Faire jouer le réseau social et associatif

La voie d'appel étant supprimée de facto, seule la voie du pourvoi devant le Conseil d'État s'offrira à la partie perdante. "Dans ce contexte, la municipalité ne devra pas partir seule au contentieux mais devra faire jouer tout son réseau social et associatif afin que de nombreuses requêtes soient déposées", déclare l'avocat. Invités à la conférence de presse de ce matin, le Comité des habitants Gare du Nord-La Chapelle et l'association Retrouvons le Nord de la Gare du Nord ont déjà annoncé qu'ils suivraient la Ville.

Deux voies s'offrent à l'équipe d'Anne Hidalgo: en matière d'urbanisme, par des voisins et/ou par des associations de protection du patrimoine et du cadre de vie en matière d'urbanisme, et en matière d'urbanisme commercial, par des enseignes concurrentes situées dans la zone de chalandise du projet et/ou par des associations de protection des petits commerçants.

"La mairie de Paris devra également tenter l'usage du référé sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, dont l'objet est d'obtenir la suspension (et donc l'impossibilité d'exécuter) de l'arrêté du préfet de Paris", poursuit Arthur de Dieuleveult. Sans cela, les recours ne sont pas suspensifs et les travaux pourraient aisément commencer.

Le levier contractuel

Dernier moyen: le levier contractuel. Si la commission d'enquête mandaté par l'État a émis un avis favorable, ce dernier était sous réserve de la prise en compte de certaines prescriptions, comme le respect du projet urbain partenarial portant sur les aménagements des abords de la gare du Nord signé en avril 2019 ou le respect du protocole d'engagement paraphé en juillet dernier.

"Compte tenu de l'importance de ces éléments dont la prise en compte a motivé un avis favorable de la commission d'enquête, et qui sont repris également par le préfet de Paris dans son arrêté de permis de construire, la mairie de Paris devrait pouvoir user de sa qualité de cocontractant pour jouer le rôle de trouble-fête", conclut l'avocat.

Lire aussi : Gare du Nord : la Mairie dénonce un "Notre-Dame-des-Landes" en plein Paris

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 17/07/2020 à 18:53
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Bonne nouvelle ! La ville de Paris aurait une « stratégie juridique ». Vu les affaires Velib, Scootlib, Autolib, les panneaux JC Decaux, ... je commençais à en douter. Me voilà rassuré !

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