Grand Paris Express : mode d'emploi pour fabriquer un tunnelier

Reportage à Schwanau, en Allemagne, dans l’usine qui produit 19 des 21 tunneliers du Grand Paris Express.
César Armand
Chez Herrenknecht AG, on fabrique ce tunnelier de 100 mètres de long et d’environ 10 mètres de diamètre au cœur d’un site de 24 hectares.
Chez Herrenknecht AG, on fabrique ce tunnelier de 100 mètres de long et d’environ 10 mètres de diamètre au cœur d’un site de 24 hectares. (Crédits : Sipa)

Avant de creuser les sous-sols franciliens pour la Société du Grand Paris (SGP), les tunneliers du Grand Paris Express sont fabriqués en Allemagne. Ce n'est pas bien loin : il faut prendre le TGV jusqu'à Strasbourg, puis la voiture pendant trente minutes, et vous voici à Schwanau chez Herrenknecht AG, la dernière entreprise à fabriquer des tunneliers en Europe. Sur place, impossible de rater la machine.

Au cœur du site de 24 hectares trône un cylindre de 100 mètres de long et d'environ 10 mètres de diamètre. Outre la roue de coupe, équipée de couteaux et de racleurs qui découperont le sol, le tunnelier comporte, pour sa partie visible, un tapis roulant qui évacue les déblais vers l'arrière ainsi que des anneaux en béton - des voussoirs - posés au fur et à mesure pour former la voûte du tunnel. L'ensemble pèse près de 1.500 tonnes et coûte près de 20 millions d'euros.

Le fabricant garantit en effet une disponibilité de la machine supérieure à 95%, voire à 98%, du temps, car un arrêt coûte à l'entreprise de BTP entre 80.000 et 100.000 euros par jour. Soit les équipes de Bouygues, Eiffage, NGE et Vinci sont formées à l'entretien et à la maintenance par le personnel allemand, soit ce dernier leur fournit un soutien en ingénierie dans la soudure et le montage d'éléments.

Fonctionnement rodé

Alors que le président du directoire de la SGP appuie sur un bouton rouge comme l'aurait fait un enfant devant un jouet grandeur nature, la roue commence à se mouvoir. « Comme disait Galilée, "Et pourtant, elle tourne!"  », s'amuse Thierry Dallard.

À la vitesse de deux tours par minute, le tunnelier pose à 10 à 12 anneaux par jour. Autrement dit, il avance de 20 à 24 mètres quotidiennement... « quand tout va bien », précise Guy Lechantre, gérant France de la société allemande. Les 13 moteurs de la roue de coupe, dont la puissance de 4,5 MWh est générée par des vérins hydrauliques, permettent, via un système d'injection embarqué, d'envoyer de la mousse et de l'eau pour malaxer le terrain, d'empêcher tout tassement et de progresser en excavant la terre. Dans un hangar voisin, des ouvriers s'attellent justement à la fabrication de la roue avec de l'acier, des plaques faciles à souder et des matériaux extrêmement résistants à l'usure du fait de leur frottement permanent au terrain. Herrenknecht en réalise seulement la moitié, confiant le reste à des sous-traitants.

Derrière cette roue de coupe se trouve la chambre d'excavation, où s'accumulent les morceaux découpés. En cas de problème, par exemple s'il faut changer une molette, le pilote peut quitter son poste et y accéder. Il faut toutefois qu'il passe par un sas de décompression, qui permet une transition atmosphérique entre les deux pièces sans s'astreindre à revêtir un scaphandre. Dans la cabine de pilotage se trouvent six écrans de contrôle. Au moindre problème - manque d'eau pour refroidir la machine, défaut de lubrification et/ou insuffisance de graisse pour la faire progresser -, le pilote est instantanément informé par une alarme.

Une fois que toutes les pièces ont été assemblées en usine et testées à l'air libre, les tunneliers sont démontés. La limite de poids étant de 100 à 110 tonnes pour rouler jusqu'à Paris, cent camions sont mobilisés, en trente convois exceptionnels. Quatre jours et trois nuits de trajet plus tard, ils arrivent sur site, sont remontés à l'identique et une nouvelle fois testés. Une fois ces essais réussis, ils peuvent entrer en action, à près de 50 mètres de profondeur. Entre le montage de la première pièce et leur introduction dans le sous-sol, il ne se sera écoulé que trois mois.

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ZOOM

Qui est Martin Herrenknecht, le dernier européen à résister aux Chinois ?

Il se définit comme « le dernier cow-boy qui reste en Europe, très attaqué par les Chinois qui veulent avoir le monopole ». Martin Herrenknecht, 76 ans, est le fondateur d'Herrenknecht AG, la dernière entreprise européenne à fabriquer des tunneliers. L'homme est si fier de sa réussite que, dans l'entreprise, trône en bonne place une figurine le représentant en modèle réduit. Quand il prend la parole, c'est pour se féliciter de ses 5.400 salariés et de ses réalisations : tunnel du Saint-Gothard en Suisse, Follo Line à Oslo, métro de Kuala Lumpur, Dubai ou Doha.

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Martin Herrenknecht

[Crédits : DR]

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Évidemment, dans ce panthéon, le Grand Paris Express occupe une place de choix. Sur les 21 tunneliers qui foreront à terme le sous-sol francilien, 19 seront fournis par sa société, et les deux autres par le constructeur chinois Creg. « Merci M. Dallard [le président du directoire de la Société du Grand Paris, ndlr] et merci les sociétés, merci beaucoup de nous donner cette chance, déclare Martin Herrenknecht. C'est le plus grand projet à l'échelle mondiale après le tunnel du Saint-Gothard. »

L'entreprise allemande n'a toutefois pas attendu le super métro pour se lancer en France. Une Sarl hexagonale a été créée en 1998 avec un bureau à Chatou (Yvelines), principalement consacré à la gestion des ressources humaines. « Avant, nous avions en moyenne un ou deux tunneliers en fonctionnement », explique son dirigeant, Frédéric Battistoni. Désormais, il peut apporter, en plus du tunnelier, des outils supplémentaires pour sortir les matériaux extraits de la machine et du tunnel, comme des petits trains sur pneus.

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 29/06/2019 à 12:45
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Voila encore un "savoir faire" francais perdu. Souvenons- nous du chantier du tunnel sous le channel.....

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