Pays de la Loire : l’attrait pour les villes moyennes oblige les promoteurs immobiliers à se réinventer

L’engouement pour les villes moyennes bouscule les habitudes du marché de l’immobilier de la région. Face aux complexités de construction et aux contraintes fiscales des zones tendues, une nouvelle voie s’ouvre pour les promoteurs. Tandis que la montée des loyers amène les investisseurs à se tourner vers ces terres jusque-là délaissées, les promoteurs, avec prudence, cherchent à asseoir un nouveau modèle économique. Avec ou sans le soutien de la puissance publique engagée, elle, dans la redynamisation des territoires.
Le groupe immobilier Lamotte a pour ambition de réaliser cinq à dix projets par an dans les villes moyennes et centre-villes de communes rurales, comme ici à Chateaubriant (44) où il a accompagné la redynamisation du centre-ville.
Le groupe immobilier Lamotte a pour ambition de réaliser cinq à dix projets par an dans les villes moyennes et centre-villes de communes rurales, comme ici à Chateaubriant (44) où il a accompagné la redynamisation du centre-ville. (Crédits : dr)

Y aller ou ne pas y aller ? Face à l'attrait pour les villes moyennes, et par extension les communes périphériques, les états-majors de la promotion immobilière jusque-là plutôt concentrés sur les métropoles ou plus largement sur les secteurs (B1) porteurs de défiscalisation, s'interrogent sur la pertinence d'un saut en terre inconnue.

« Ça phosphore !... », reconnaît Benjamin Haguenauer, président du groupe Arc et de la Fédération de la Promotion Immobilière (FPI) des Pays de la Loire en évoquant un récent séminaire professionnel venu à la rencontre d'élus. Les questions d'autopartage, de réhabilitation, de foncier solidaire...ou d'habitat en solo alimentaient un débat porté par l'évolution des modes de vie et l'émergence du télétravail.

« Nous sommes attendus, mais encore faut-il trouver le bon schéma, estime le président de la FPI territoriale. Doit-on promouvoir un habitat à quarante kilomètres d'une grande ville et encourager les déplacements et la mobilité en diesel ou faire accepter l'élévation des immeubles à dix, douze ou quinze étages ? On peut éventuellement aussi trouver son bonheur dans la densité des villes. A condition d'engager un travail de pédagogie... », dit-il.

Si pour lui, on ne peut pas parler d'exode de Franciliens ou de départ de métropolitains nantais, et qu'il lui semble un peu prématuré de dresser un bilan post-Covid, le mouvement vers les villes moyennes s'est bien accéléré avec la crise sanitaire.

Un nouveau modèle économique à trouver

« On s'interroge aujourd'hui pour aller vers les villes de moins de 50.000 habitants », admet le président du groupe ARC constatant que certaines villes moyennes permettent d'accéder au dispositif de défiscalisation Pinel, hors du secteur B1.

« Mais nous n'y allons pas seulement pour défiscaliser. Il faut être convaincu par le territoire, mener des études sur le marché locatif et surtout répondre aux besoins des habitants, des entreprises et des politiques publiques. Car contrairement aux grandes agglomérations, ce n'est pas là que nous pourrons lancer quatre opérations de cent logements. C'est donc un nouveau modèle économique à trouver, un mixte à équilibrer...», explique-t-il.

Habituellement concentré sur les agglomérations nantaise, angevine ou le littoral entre le Croisic, Guérande et Saint-Nazaire, le promoteur immobilier ADI (Aethica Développement Immobilier), a pris le virage il y a cinq ans avec la construction de lotissements sur la métropole Nantes-Saint-Nazaire.

L'an dernier, le promoteur s'est aventuré sur des territoires « pas forcément fléchés » comme, par exemple, à Avrillé en périphérie angevine, et vient de décrocher la construction de 45 logements pour de jeunes ménages, de 7 logements sociaux et d'une résidence de 40 logements adaptés à des seniors en perte d'autonomie aux portes de Laval, sur la ZAC « Laval Grande Vitesse » dans le quartier de la gare.

« L'évolution réglementaire des lois Duflot puis Pinel ont provoqué un recentrage de l'investissement locatif sur les zones en tension. Or, pour des questions environnementales, sociétales, économiques, de surcoût ou de pénuries de matériaux et de main d'œuvre, il est devenu de plus en plus difficile de construire dans les grandes métropoles. Au point que les investisseurs se tournent vers d'autres territoires », note Bertrand Mours, directeur général adjoint chez ADI et président de l'observatoire des marchés de l'immobilier Oloma.

Vers la mixité des opérations

« Si avant l'épisode Covid, les promoteurs n'étaient pas en mesure de répondre, l'évolution des villes de taille moyenne ont fait émerger des besoins de renouvellement urbain qui permettent de mettre à profit des opérations mixtes », ajoute-t-il. Les troisièmes couronnes d'agglomération que certains opérateurs n'auraient pas forcément regardées ont trouvé leur intérêt depuis le Covid. A l'instar d'ADI qui vient de livrer un programme mixte comprenant 27 logements du T1 au T3, dont seize logements sociaux, des bureaux pour les services municipaux, une crèche, des parkings à Divatte-sur-Loire une commune de 7000 habitants située à une quinzaine de kilomètres à l'Est de Nantes. Anecdotique ? «Emblématique ! C'est en regardant cette opération voulue par la collectivité que l'on s'est dit que l'on avait d'autres opportunités de cette taille à mener sur le territoire », observe le directeur général d'ADI. Des besoins émergent à Cholet, La Roche-sur-Yon, les Sables d'Olonne, Saumur... D'autant que l'immobilier ancien, pris d'assaut ou ignoré en raison sa vétusté, peine aujourd'hui à répondre à la demande. « C'est la théorie du ruissellement. Les Parisiens poussent les Angevins. Les Nantais poussent les Choletais et le Saumurois, mais on reste sur une typologie d'acquéreurs qui veut des services, de la fibre, des transports, un environnement facile pour circuler, et bien positionné sur les axes ferroviaires. Il ne faut pas imaginer que les Parisiens viennent à Saumur et Cholet, ce sont les Nantais ou les Angevins qui vont dans les villes plus petites. Et à aujourd'hui, les communes rurales n'en profitent pas toujours. Certains secteurs comme Ombrée d'Anjou, Baugé en Anjou ou Orée d'Anjou affichant même des prix de vente médians négatifs pour des maisons anciennes qui demandent à être rénovées, éloignées des réseaux de transport ou dépourvues de services. Mais ce qui est sûr, c'est que les promoteurs commencent à cibler des territoires dans lesquels  ils n'étaient pas présents jusque-là », confirme Bernard Delorme.

Une vraie stratégie d'entreprise

Les villes moyennes et les communes sont devenues un véritable axe de développement pour le groupe immobilier Lamotte qui réalise, chaque année, trois à quatre opérations de ce type sur ces territoires. « L'ambition est d'en faire cinq à dix par an et de réaliser un tiers de notre activité sur les villes moyennes. C'est devenu une vraie stratégie d'entreprise depuis 2019-2020 », affirme François Legros, directeur régional Pays de la Loire du groupe Lamotte. A Savenay, Châteaubriant (44) ou à la Flèche (72), il s'est engagé pour des programmes de 12 à 15 millions d'euros souvent pensés dans le cadre de projets de requalification de l'espace collectif par les collectivités. Ce fut le cas à Savenay pour la transformation de l'ancien hôpital en une résidence pour seniors de quatre-vingts logements, dont 30 en accession à la propriété et 20 logements sociaux. Mais aussi à la Flèche, avec 85 logements dont une vingtaine de T3-T4 en accession à la propriété, et des T1 et T2 pour les jeunes. Souvent, les programmes s'inscrivent dans le dispositif national Action Cœur de Ville, pensé pour, non seulement réaménager, mais aussi réhabiliter et redynamiser les territoires ruraux. « C'est ce qui donne l'impulsion. Le prix des terrains est moins élevé que dans les grandes agglomérations, et souvent ces villes disposent de disponibilités foncières et cherchent à se transformer avec des logements, des commerces, des résidences pour les seniors, des crèches, des parkings... On fait du hors investissement locatif, ça fonctionne bien, et les investisseurs suivent», observe François LegrosEt quand ils font défaut, la Banque des Territoires, partenaire des collectivités, s'implique. Soit sous la forme de crédit d'études d'ingénierie, de prêts et de financements spécifiques bonifiés et jusqu'à devenir co-porteur de projets publics, soit en fonds propres sur certains projets privés comme des maisons de santé, des résidences seniors, etc.

Cinq foncières co-créée par la Banque des Territoires

« Il ne s'agit pas de permettre aux promoteurs de faire la culbute mais d'accompagner les collectivités dans leur projet, et souvent, dans les villes moyennes la problématique est de trouver des investisseurs», justifie Philippe Jusserand directeur régional de la Banque des Territoires en Pays de la Loire, qui finalise la création cinq foncières multi-activités, une par département, pour co-investir sur des projets menés dans le cadre des programmes Action Cœur de Ville (ACV) pour les municipalités de 10.000 à 100.000 habitants et du plus récent programme Petites villes de demain pour les moins de 10.000 habitants. «Ce que nous cherchons, ce sont des projets viables économiquement, qu'ils aient un sens territorial, et qu'ils s'inscrivent dans le cadre de la transition écologique. Cela peut être une redynamisation des commerces, la mise aux normes ou la création de logements, de services, d'actifs économiques... », dit-il. La première foncière Metropolis, pilotée par la Sem vendéenne Orion, est née en 2019 à la Roche-sur-Yon pour dynamiser le commerce. Ont suivi des logements, des services... La deuxième en Loire-Atlantique, Centralité44 a été fondée avec le concours de la SELA (société économie Mixte de Loire-Atlantique) et de la Chambre de Commerce et d'Industrie. Deux autres sont en cours de finalisation dans le Maine-et-Loire et dans la Sarthe, notamment pour intervenir sur des problématiques de vacances commerciales dans les cœurs de ville. Une cinquième est prévue en Mayenne.

Les investisseurs suivent

A ce jour, la Banque des Territoires intervient auprès de neuf collectivités (8 projets) dans le cadre du dispositif ACD qui est prolongé jusqu'en 2026 et est partenaire de 105 collectivités au titre du programme PVD. Elle est intervenue à hauteur de 30 millions d'euros. Hors interventions des foncières, six millions d'euros sont fléchés vers les études de projets du programme PVD. « On accompagne et on apporte notre expertise aux collectivités, on fiabilise les projets, du coup les banquiers viennent plus sur nos projets.», atteste Philippe Jusserand. Avec des niveaux de loyer (+2% à Nantes, +9% à Angers, +11% à Saint-Nazaire) finalement assez peu différents de ce qui est pratiqué dans les grandes métropoles, investir dans une ville moyenne devient attractif. « Depuis trois ans, dans la région nantaise, on assiste à une inversion de la hiérarchie. Le secteur B1, qui captait 87% des ventes en 2019, est tombé à 75%, au profit des secteurs B2 et C qui attirent respectivement 22,6 et 3,8% des mises en vente.  Et la baisse des taux de crédit immobilier a contribué à compenser les effets de prix. Du coup, la proportion de propriétaires occupant progresse au détriment des investisseurs tombés de 64% en 2017 à 57% en 2021 dans les Pays de la Loire, et 58% à Nantes contre 70% il y a quelques années », indique Bertrand Mours. « Si les volumes n'ont rien à voir, précise-t-il, les programmes récemment lancés à Laval ont par exemple attiré 74% d'investisseurs. Et la tendance est la même à la Roche-sur-Yon et Cholet...»

Des micros marchés, aux réalités économiques complexes

Le promoteur nantais Réalités, aujourd'hui présent à l'Ouest de la diagonale Lille-Biarritz, a fait de cette tendance le cœur de sa stratégie de repositionnement il y a quatre ans. « Nous sommes devenus des développeurs territoriaux renforcés par la promotion de pôles d'usages que l'on exploite nous même pour aller au bout de la mise en place », explique Jean-François Vigneron, directeur général délégué à la commercialisation chez Réalités. Autrement dit, en montant des concepts de maisons médicales sous l'enseigne « Medcornercity », de logements étudiants « Capétudes », de résidences seniors avec le réseau Heurus, de salles de sport « Vista santé », d'espaces de loisirs « Uptoplay » ou encore de restaurants avec le rachat récent de l'enseigne « Midi et demi » qui sera accolée à des espaces de co-working. Au besoin, le groupe crée des logements autour pour répondre aux attentes des territoires et des habitants. Sur des secteurs où la concurrence est vive entre promoteurs, les rendements de loyers dans des zones tendues sont devenus moins intéressants qu'ils ont pu l'être. « Alors sortir du dispositif Pinel pour aller vers le régime général peut permettre d'aller chercher 30% à 40% de loyers supplémentaires », observe Jean-François Vigneron. « Ce sont des micromarchés et un nouveau modèle économique à mettre en place. L'emprise foncière est moins coûteuse, la concurrence est moindre mais il faut avoir une offre adaptée au marché et au besoin des habitants. Les investisseurs s'y retrouvent. A condition d'investir en centres-villes.» Depuis le début de cette démarche en janvier 2020, Réalités a commercialisé cent-cinquante logements neufs, avec services et prestations, dont 50% pour de l'investissement locatif sur des territoires non tendus comme à Bouguenais, Saint-Etienne de Montluc, proche de Nantes ou à Saint-Jean-de-Mont en Vendée. « Comparé aux 60% d'investisseurs à Nantes, le « sponsoring fiscal » ne concerne plus que 10% des investisseurs», mesure le directeur général adjoint de Réalités, dont le modèle économique repose aujourd'hui sur les programmes immobiliers et la vente de prestations services. Une dualité qui impose un subtil équilibre pour conserver ses marges. « Et si besoin , on conserve les actifs. Comme à Trélazé, où les institutionnels refusaient de s'engager pour la construction d'une résidence Senior. Nous avons investi 51% aux côtés de la Caisse des dépôts et consignation dont nous avons finalement racheté les parts. Un an et demi plus tard, les institutionnels voyant l'affaire lancée ont souhaité acquérir la SCI, qui entre-temps a été valorisée... Comme quoi , on était dans le vrai ! », dit-il.

_______________

Les biens deviennent rares et chers dans l'ancien

Selon la chambre interdépartementale des notaires Maine-et-Loire, Mayenne et Sarthe à fin juin 2021, tous types de biens confondus, les volumes de vente affichaient une croissance de +16% dans le Maine-et-Loire, de +18% dans la Sarthe et de +19% en Mayenne. Du coup, les prix s'envolent. « Si l'augmentation des volumes tend à se tasser du fait de la rareté des biens, les prix se maintiennent à des niveaux élevés », observe Bernard Delorme, président de la chambre. Comme à Angers, où selon une étude Empruntis/Seloger consacrée aux villes moyennes de +100.000 habitants, la ville arrive en tête des classements avec une hausse du prix de l'immobilier de +56% en six ans. Selon la chambre interdépartementale des notaires, dans le Maine-et-Loire, le prix médian des appartements anciens a progressé de +48% au cours des cinq dernières années (2330€/m²), des maisons anciennes de +17,6% et les terrains à bâtir +27%. Si les départements voisins profitent eux aussi de ce mouvement, la progression est moindre en Mayenne et en Sarthe où sur cinq ans, selon les biens, les prix peuvent être très variables.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.