Souveraineté : le succès de la French Tech profite-t-il vraiment à la France ?

Si l'Etat porte l'écosystème à bout de bras à coup d'argent public et de plans sectoriels, beaucoup de startups qui réussissent finissent par développer une dépendance envers des acteurs étrangers : les Gafam pour 73% d'entre elles, et les fonds étrangers, souvent américains ou asiatiques, pour celles qui ont besoin de lever beaucoup d'argent. Sans compter celles qui déménagent leur siège social aux Etats-Unis ou se font racheter par des entreprises étrangères... Tant que la France n'aura pas réglé le problème des "exits" de ses startups, la French Tech ne sera pas vraiment souveraine.
Sylvain Rolland
(Crédits : iStock)

Cédric O, le secrétaire d'Etat à la Transition numérique, l'affirme haut et fort sur tous les plateaux TV dès que l'occasion se présente : la French Tech serait une pièce maîtresse de la souveraineté nationale et même, européenne. "Développer la tech c'est créer des emplois non-délocalisables sur le territoire. Les technologies garantissent la souveraineté de la France et de l'Europe en créant de futurs champions mondiaux", disait-il encore à La Tribune fin mars lors du Think Tech Summit, tout en promettant que le CAC40 va accueillir sa première entreprise issue de la French Tech d'ici à 2025.

Pour illustrer le propos de cette tech salvatrice et souveraine, Cédric O a pour coutume de prendre quatre exemples il est vrai très emblématiques : Aledia -deeptech développée près de Grenoble, qui va recruter 500 personnes d'ici à 2025 dans son usine pour créer les écrans de demain grâce à sa technologie unique au monde-, Ynsect -des centaines d'emplois dans le Nord pour révolutionner l'alimentation animale à base de protéines d'insectes- ou encore les plateformes ManoMano -le "Amazon du bricolage et jardinage" qui emploie 800 personnes à Paris et Bordeaux et compte en recruter 1000 autres en 2022- et Mirakl, déjà valorisé 3,4 milliards d'eurosqui permet aux enseignes françaises de créer leur propre marketplace face à Amazon.

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Un impact incontestable et grandissant sur l'emploi et la société

Qu'en est-il réellement ?Il est exact que la tech prend une place grandissante dans l'économie et la société française. D'après une étude du cabinet de conseil Roland Berger publiée en juin dernier, plus d'un Français sur deux (53%) utilise au moins une fois par mois une innovation de la French Tech, et 40% en sont même des adeptes quotidiens. Doctolib -prise de rendez-vous médicaux en ligne-, BlaBlaCar -covoiturage-, Lydia -paiement mobile-, les sites de e-commerce Back Market -électronique reconditionnée- et ManoMano -jardinage et bricolage-, l'hébergeur de données OVHCloud pour les entreprises, les tickets resto dématérialisés de Swile, le média en ligne Brut ou encore la télévision sur Internet Molotov, pour ne citer qu'eux, tendent à devenir "des compagnons du quotidien" pour de plus en plus de Français.

Surtout, le poids économique de la French Tech -bien qu'encore marginal sur le PIB-, grossit d'année en année, au point de devenir, d'après Olivier de Panafieu, senior partner et directeur général du bureau de Paris de Roland Berger, "le fer de lance de l'économie française".

Le secteur du numérique est en pénurie de talents et s'impose comme l'un des plus dynamiques du pays en terme de créations nettes d'emplois. D'après le rapport, les pépites du French Tech 120 -indice qui regroupe les 120 plus grosses startups du pays, dont le fameux Next40-, ont créé 163.000 emplois en 2020, essentiellement indirects (136.000). "Les emplois de la tech redynamisent les territoires. Dans l'industrie, les entreprises qui recréent de l'emploi dans des bassins sinistrés, ce sont les startups", revendiquait Cédric O sur BFMTV mercredi 22 septembre.

Même son de cloche chez France Digitale, qui a dévoilé à l'occasion du France Digitale Day, le même jour, le baromètre annuel coréalisé avec le cabinet EY sur la performance économique et sociale des startups. "Les cinq prochaines années seront décisives pour poursuivre le passage à l'échelle et nous permettre de développer une vraie souveraineté technologique nationale et européenne, rivalisant avec les autres grandes puissances mondiales", estime Clara Audry, vice-présidente Investisseurs de France Digitale et partner chez Caphorn Invest.

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Biberonnée à l'argent public, la French Tech se jette dans les bras des Gafam et des investisseurs étrangers

Mais s'il est tentant de corréler l'impact économique et social grandissant de la French Tech à la souveraineté technologique du pays, l'examen attentif du fonctionnement des startups françaises et de leur financement tend à relativiser cette affirmation.

Globalement, la French Tech est victime d'un paradoxe : elle ne serait rien sans l'Etat, mais beaucoup de startups qui réussissent deviennent dépendantes d'acteurs étrangers, qu'il s'agisse des Gafam (au niveau technologique et marketing) et des fonds étrangers notamment américains et asiatiques (pour lever l'argent nécessaire à l'hyper-croissance).

Ainsi, l'Etat structure les écosystèmes d'innovation et injecte des milliards d'euros pour les faire éclore puis combler les lacunes du capital-investissement privé. Bpifrance est son fer de lance depuis 2012 et distribue des tickets à tour de bras, mais l'écosystème peut aussi compter sur les aides publiques (Crédit Impôt Recherche, Jeune Entreprise Innovante...), sectorielles (les plans deeptech, IA, quantique...) ou les incitations financières à l'image du plan Tibi.

"Notre grand problème est de réussir à garder en France nos startups, on a du mal à éviter la fuite des cerveaux et des technologies", regrette auprès de La Tribune Franck Sebag, associé chez EY. Quand une grosse startup française fait une méga-levée de fonds, c'est quasiment toujours les fonds américains et asiatiques qui raflent la mise, car ils sont plus attractifs, mieux connectés au marché et à la Bourse si besoin, et ont davantage de moyens financiers que les fonds français et européens".

Effectivement, sur les 16 méga-levées -tours de table supérieurs à 100 millions d'euros- réalisées depuis le début de l'année 2021, seulement deux ont été menées par des investisseurs français, et à chaque fois par des grands groupes : Kering pour Vestiaire Collective en mars, Renault pour la greentech Vektor en juillet. Les 14 autres méga-levées de l'année ont toutes été menées par des fonds étrangers : deux en Europe -un fonds belge pour le champion du jeu vidéo Voodoo et un fonds britannique pour la proptech Edgar Suites-, et 12 hors de l'Europe, dont 9 aux Etats-Unis et les trois dernières par le géant japonais Softbank (ContentSquare, Sorare et Vestiaire Collective).

L'autre dépendance des startups françaises est vis-à-vis des géants du numérique américains, les Gafam. Dans le baromètre annuel de France Digitale, 73% des 800 startups interrogées, représentatives de l'écosystème, ressentent une dépendance à leur égard. 43% d'entre elles estiment même qu'elle "ne pourraient pas se développer sans eux". La dépendance est à la fois technologique et commerciale : les outils marketing et web de Google et de Facebook, l'hébergement cloud chez Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud, les suites logicielles de Microsoft, les "app store" d'Apple et de Google qui contrôlent l'accès au marché mobile, sont des briques de développement cruciales pour la plupart des entreprises, startups comprises.

Le manque de débouchés au moment de l'exit, un vrai problème

La France est aussi confrontée à un problème de sorties (exit) qui sape sa souveraineté technologique. Non seulement la Bourse européenne n'est pas encore assez attractive -les choses changent doucement, en témoignent l'entrée de Believe sur Euronext et bientôt celle d'OVHCloud-, mais les Américains sont beaucoup plus agressifs au moment de racheter des startups françaises, ce qui leur permet de mettre également la main sur leur technologie. "Se faire racheter est très sain, mais il faut faire attention à la fuite des technologies, ce qui pose un problème de souveraineté", indique Franck Sebag.

Enfin, "trop d'entreprises françaises sont tentées de déménager leur siège social aux Etats-Unis après un investissement", déplore l'analyste. La faiblesse de la Bourse européenne fait notamment perdre à la France des startups qui auraient pu devenir des champions tricolores, mais qui décident de passer sous pavillon étranger, souvent américain, pour grossir et éventuellement s'introduire sur le Nasdaq. Ces dernières années, la French Tech a ainsi laissé filer la fintech Kyriba, le champion de l'intelligence artificielle Dataiku (avec l'entrée au capital de Google en 2019), ou encore le trublion des télécoms professionnelles Aircall, qui vise le Nasdaq dans les prochaines années.

Et encore ces derniers mois, les Français derrière la chaîne de restaurants Big Mamma ont créé leur nouvelle startup, Sunday, directement aux Etats-Unis. Avec succès : ils ont levé 120 millions de dollars (105 millions d'euros) en cinq mois pour déployer leur solution de paiement par QR Code. Un "réalisme économique" qui est aujourd'hui la principale épine dans le pied de la French Tech pour en faire le levier de souveraineté technologique tant espéré par l'Etat.

Sylvain Rolland

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Commentaires 9
à écrit le 26/09/2021 à 9:45
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vous posez tres mal le pb, car vous oubliez que la france dispose deja de lois, qui precisemment decourangent tout le monde; grace a hollande y a une loi dailymotion, qui a amene cette derniere au tas par faute de rapprochement; desormais vous voulez...

à écrit le 24/09/2021 à 8:57
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30 ans que l'on attend des fonds de pension français pour enfin pouvoir disposer de capitaux suffisants pour développer nos entreprises et pour financer les retraites. Hélas, nous avons le personnel politique que nous connaissons ,c'est à dire très ...

le 24/09/2021 à 9:52
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les francais n en veulent pas de vos fonds de pensions blackrocks et consorts...le personnel politique le sait..et c est pas a une minorite d imposer son point de vue a la majorite sinon autant vivre en chine!! il existe d autres outils pour remedier...

le 24/09/2021 à 20:40
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@Bréhat : Ah oui, lesquels? Quant à la minorité qui impose son point de vue, on en a vue plein avec les gilets jaunes

à écrit le 24/09/2021 à 6:33
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He oui, les licornes sont des chimères ! Les start up françaises de la French Tech of the start up nation ne rêvent que d'une chose : se faire rachetées très chers par un américain ou un chinois. Aucune once de notion de souveraineté ou d'intérêt nat...

le 24/09/2021 à 9:55
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c ets la mentalite de la jeunesse francaise devenir rentier tres vite en creant sa start up et le revendre dsans la developper...mais les generations precedentes revaient d etre footballeur ou chanteur....

à écrit le 23/09/2021 à 21:07
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Comment cela marche en deux mots : On crée une structure avec une idée dans l'air du temps ,on s'appuie sur des parents aux bras long ou dans un réseau d'influence style grande école ,on sollicite de l'argent public ,puis on revend au GAFAM si le con...

à écrit le 23/09/2021 à 20:12
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Start-up ou pas, les Français n'investissent pas dans leurs entreprises. Ils rendent responsable le gouvernement à chaque fois qu'une entreprise Française passe sous pavillon étranger sans se rendre compte que la majorité des grandes entreprises est ...

le 24/09/2021 à 8:26
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@Tototiti. A leur decharge faut dire aussi que les canards a trois pattes sont nombreux et ne valent pas tripette. Allez risquer ses ecos sur un truc bancale.....

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