Concurrence : Facebook va-t-il devoir vendre WhatsApp et Instagram ?

Sans précédent. La Commission fédérale du commerce (FTC) américaine - principale autorité en matière de concurrence aux Etats-Unis - et 48 Etats et territoires américains ont déposé deux plaintes distinctes mercredi contre Facebook. Ils accusent le plus grand réseau social au monde d'abuser de se position dominante pour étouffer la concurrence en rachetant des startups en pleine croissance, comme Instagram et WhatsApp à l'époque.
Anaïs Cherif
(Crédits : JOHANNA GERON)

L'empire Facebook est-il menacé ? La Commission fédérale du commerce (FTC) américaine - principale autorité en matière de concurrence aux Etats-Unis - ainsi que les procureurs représentant 48 Etats et territoires du pays ont annoncé mercredi avoir déposé deux plaintes distinctes contre le plus grand réseau social au monde. Cette coalition d'envergure accuse le groupe de Mark Zuckerberg d'abuser de sa position dominante pour étouffer la concurrence en rachetant les pépites prometteuses.

"Les actions de Facebook pour asseoir et maintenir son monopole privent les consommateurs des avantages de la concurrence, estime dans un communiqué de presse Ian Conner, directeur du Bureau de la concurrence de la FTC. Notre objectif est de faire reculer le comportement anticoncurrentiel de Facebook (...) afin que l'innovation et la libre concurrence puissent prospérer."

Les acquisitions d'Instagram et WhatsApp passées au crible

Dans le détail, il est reproché au groupe américain créé en 2004 de s'être "engagé dans une stratégie systématique" pour "éliminer les menaces pesant sur son monopole". Sa stratégie : acquérir à tour de bras des pépites prometteuses avant qu'elles ne viennent lui faire de l'ombre. Les deux exemples emblématiques sont les acquisitions du réseau social de partage de photos Instagram en 2012 pour 1 milliard de dollars, et de la messagerie instantanée WhatsApp en 2014, pour 19 milliards de dollars.

"Instagram, une startup en pleine croissance, a vu le jour à un moment critique pour la concurrence dans le domaine des réseaux sociaux, lorsque les utilisateurs passaient des ordinateurs aux smartphones et qu'ils adoptaient de plus en plus le partage de photos", explique la FTC. Et de poursuivre :

"Facebook a d'abord essayé de concurrencer Instagram sur le fond en améliorant ses propres offres, mais [il] a finalement choisi d'acheter Instagram plutôt que de lui faire concurrence", estime l'agence.

Conclusion : cette acquisition aurait permise de "neutraliser la menace directe posée par Instagram et rendu plus difficile la montée en puissance d'un autre concurrent", estime la plainte. Véritable aimant à annonceurs, il est aujourd'hui devenu la vache à lait de Facebook.

Conditions anti-concurrentielles imposées aux développeurs

La coalition reproche également à l'ogre d'Internet d'imposer des conditions anti-concurrentielles aux développeurs de logiciels. En cause : Facebook aurait conditionné l'accès à ses API (interface de programmation) au fait que les développeurs ne créent pas de fonctionnalités concurrentes à celles proposées par le géant américain ; et en se connectent pas à d'autres plateformes sociales. "Par exemple, en 2013, Twitter a lancé l'application Vine, qui permettait aux utilisateurs de tourner et de partager de courts segments vidéo. En réponse, selon la plainte, Facebook a fermé l'API qui aurait permis à Vine d'accéder à ses amis via Facebook", illustre la FTC.

"Cette position inégalée a permis à Facebook de réaliser des profits faramineux. Rien que l'année dernière, (la firme) a généré des revenus de plus de 70 milliards de dollars et des bénéfices de plus de 18,5 milliards de dollars", souligne l'autorité de la concurrence.

C'est pourquoi la FTC demande à la justice d'éventuellement "exiger la cession d'actifs - y compris Instagram et WhatsApp". Afin de prévenir tout risque de concentration à l'avenir, l'autorité de la concurrence demande également que le groupe requiert le feu vert des régulateurs avant tout opération d'achat. Enfin, elle souhaite "interdire à Facebook d'imposer des conditions anticoncurrentiels aux développeurs", selon le communiqué de presse.

"Une histoire révisionniste", dénonce Facebook

Le premier réseau social mondial rejette constamment les accusations de monopole, expliquant que les consommateurs ont le choix sur la façon dont ils souhaitent interagir en ligne. Alors que le groupe opte traditionnellement pour un ton extrêmement feutré dans ses communications officielles, il s'est fendu d'un communiqué de presse assassin via la plume de Jennifer Newstead, vice-présidente et avocate de Facebook.

Affirmant que les acquisitions d'Instagram et de WhatsApp avaient été auditionnées à l'époque par les autorités compétentes, le groupe se défend : "Des années plus tard, sans se soucier apparemment du droit établi ou des conséquences sur l'innovation, l'agence dit qu'elle s'est trompée et veut recommencer", dans un communiqué de presse publié mercredi. Et de poursuivre :

"En plus d'être une histoire révisionniste, ce n'est tout simplement pas comme cela que les lois antitrust sont censées fonctionner."

Le groupe regrette que la "FTC et les États (soient) restés inactifs pendant des années alors que Facebook investissait des milliards de dollars et des millions d'heures pour faire d'Instagram et de WhatsApp les applications dont les utilisateurs profitent aujourd'hui."

Une issue très incertaine

Il est encore trop tôt pour déterminer l'issue de cette plainte. Dans une note d'analyse, le cabinet Baird estime "très peu probable" que les plaignants arrivent à leurs fins. Car au moment des rachats critiqués, Facebook est loin d'être dans une position de monopole et fait encore face aujourd'hui à une concurrence notable, soulignent-ils.

Pour autant, cette action marque un nouveau tournant pour le secteur de la tech, resté longtemps à l'abri des radars des régulateurs. Sous l'administration Obama, la FTC avait enquêté sur les résultats de recherches proposés par Google, mais l'affaire s'était clôturée sans aucune mesure contraignante. Une décision alors vivement critiquée par l'opinion public.

Depuis 2018, année largement marquée par les polémiques à répétition pour les géants de la tech, les prises de position des autorités de régulation aux Etats-Unis se multiplient. En octobre, le ministère de la Justice et onze Etats ont ainsi lancé une procédure contre Google, accusant le groupe d'abuser d'une quasi-hégémonie avec son moteur de recherche. Du jamais vu depuis 20 ans.

Le dernier cas d'école majeur en tech remonte aux années 1990, lorsque Microsoft a été accusé de position dominante dans les systèmes d'exploitation des PC via son navigateur Explorer. Vingt Etats avait alors appuyé et accéléré l'enquête fédérale, poussant ainsi Microsoft à faire quelques concessions... tout en échappant au démantèlement.

Anaïs Cherif

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Commentaire 1
à écrit le 10/12/2020 à 10:56
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Encore une bonne grosse hypocrisie seulement pour essayer de mettre des batons dans les roues des futurs maitres du monde, puisque quand ce sont, exemple tout récent, toutes ces grosses multinationales pétrolières qui rachètent en masse aux états uni...

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