L'Autorité de la concurrence britannique, pire ennemie des Gafam ?

Le gendarme britannique de la concurrence a retrouvé toute sa marge de manœuvre et sa force de frappe depuis le Brexit. Il en profite pour mener une charge tous azimuts contre le monopole des géants technologiques américains, empêchant une fusion après l’autre.
Sarah Cardell, présidente de la CMA.
Sarah Cardell, présidente de la CMA. (Crédits : British Governement)

L'annonce a sonné comme un coup de tonnerre fin mai : la Competition and Market Authority (CMA) a opposé son veto au rachat d'Activision Blizzard par Microsoft, un super-deal à 69 milliards de dollars qui aurait constitué l'acquisition la plus importante de toute l'histoire de Microsoft, largement devant celle de LinkedIn, racheté en 2016 pour 26 milliards d'euros. Elle aurait fait du géant de l'informatique un mastodonte sur le marché naissant du cloud gaming, où Microsoft est déjà avantageusement positionné grâce à sa Xbox et où Activision Blizzard peut se targuer de licences très populaires comme Call of Duty.

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La principale menace pour les géants technologiques américains n'émane aujourd'hui pas des couloirs de la Maison-Blanche, ni même des bureaux de la Commission européenne à Bruxelles, mais de Londres, où la CMA, le gendarme britannique de la concurrence, semble bien décidé à s'en prendre aux velléités expansionnistes des Gafam et à la menace que celles-ci font peser sur la concurrence.

Game over pour Microsoft

« Nous avons établi que Microsoft aurait intérêt à restreindre l'accès de ses concurrents aux principales licences du portfolio d'Activision Blizzard après la fusion, ce qui aurait substantiellement affaibli la compétition dans le cloud gaming », a déclaré Sarah Cardell, la directrice de la CMA, pour justifier la décision de son agence.

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Si la Commission européenne a, elle, donné son feu vert à l'acquisition, le veto de l'autorité britannique semble condamner celle-ci. Microsoft a d'ores et déjà annoncé faire appel de la décision, mais puisque le dossier sera de nouveau examiné par la CMA, ses chances d'obtenir un verdict différent sont faibles. L'an passé, l'autorité britannique a déjà invalidé le rachat de Giphy par Meta, forçant l'entreprise de Mark Zuckerberg à brader la société de création et d'échange de gifs à Shutterstock pour 53 millions de dollars, une fraction des 400 millions qu'elle avait payés pour l'acquisition. C'est elle, également, qui s'est opposée au rachat d'ARM par Nvidia, faisant tomber à l'eau cette acquisition géante sur le marché des semiconducteurs.

C'est désormais sur la fusion à 61 milliards de dollars annoncée l'an passé entre Broadcom, géant américain des semi-conducteurs, et VMWare, spécialiste des infrastructures cloud, que la CMA concentre son attention. Le gendarme britannique de la concurrence a ainsi affirmé que ce rachat risquerait d'affaiblir la compétition, l'innovation et de renchérir le coût des serveurs informatiques sur le marché britannique. La CMA a également prévu d'étudier le rachat de Figma par Adobe, celui d'iRobot par Amazon, ainsi que les principaux modèles algorithmiques qui se trouvent derrière l'actuelle vague de l'intelligence artificielle générative.

Comment la CMA est devenue le némésis des Gafam

La puissance de frappe de la CMA s'est considérablement accrue depuis le Brexit. Auparavant, l'autorité britannique avait les mains partiellement liées par la Commission européenne, puisqu'elle ne pouvait pas se prononcer sur les dossiers qui étaient examinés par Bruxelles.

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Elle se montre depuis plus offensive et intransigeante que son homologue européenne.

« Lorsqu'elle constate un danger pour la concurrence, la Commission laisse en général la porte ouverte à la fusion, en permettant aux entreprises impliquées de donner des garanties qui permettront d'assurer que la compétition sera respectée malgré le rachat. La CMA, de son côté, ne donne généralement pas cette possibilité, à moins qu'il s'agisse par exemple d'un département particulier de l'entreprise rachetée qui pose problème et qu'il soit possible de se séparer de celui-ci, ce qui n'est pas toujours le cas. Cela donne des verdicts plus binaires : c'est oui ou c'est non », explique Verity Egerton-Doyle, codirectrice de la technologie au sein du cabinet d'avocat Linklaters.

Et c'est de plus en plus souvent le non qui l'emporte. Depuis sa création en 2013 jusqu'en 2017, la CMA bloquait 30% des dossiers qu'elle étudiait. Depuis 2018, cette part est montée à 57%. La CMA peut également frapper plus fort que ses homologues d'outre-Atlantique. « Pour bloquer une fusion, la FTC ou le département de la Justice américain doivent intenter un procès. Au Royaume-Uni, c'est l'inverse : la décision de la CMA suffit à bloquer la fusion, et c'est aux parties concernées de faire appel de la décision », note Verity Egerton-Doyle.

L'intransigeance de l'autorité britannique ne fait pas l'unanimité outre-Manche. Certains s'inquiètent de l'impact qu'elle pourrait avoir sur l'attractivité du pays. « Si les entrepreneurs pensent qu'ils auront du mal à revendre leur entreprise à des sociétés existantes, ils risquent d'être moins enclins à démarrer leur activité au Royaume-Uni. Voilà qui ne colle pas très bien avec la volonté du gouvernement de faire du pays une pépinière de jeunes pousses. En outre, les grandes entreprises risquent d'être dissuadées de racheter des sociétés britanniques par crainte de la CMA », écrit ainsi David Parker, chargé de la compétition chez Frontier Economics, un consultant britannique, dans les colonnes du Financial Times.

Trois femmes puissantes

Tout comme Lina Khan qui dirige la FTC et Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, c'est une femme qui dirige la CMA, Sarah Cardell, nommée en décembre 2022. Avocate diplômée d'Oxford et Cambridge, les deux universités d'élite du pays, elle a rejoint la CMA dès sa création, où elle s'est faite de longue date la promotrice d'une ligne dure contre les fusions dans le secteur des nouvelles technologies, y voyant le meilleur moyen de protéger les consommateurs.

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En compagnie de l'ancien directeur de l'agence, Andrea Coscelli, elle a également planché sur des solutions visant à renforcer la capacité du régulateur britannique à lutter contre les distorsions de la concurrence créée par les Gafa, travaux qui ont abouti à une proposition de loi, la Digital Markets, Competition and Consumers Bill, actuellement soumise au Parlement et qui a toutes les chances d'être votée. Elle permettra à la CMA de dicter des règles spécifiques et plus contraignantes aux entreprises technologiques jouissant d'un « statut de marché stratégique ». Voilà qui ne s'annonce guère de tout repos pour les Gafam.

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Commentaires 3
à écrit le 13/06/2023 à 7:38
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"a retrouvé toute sa marge de manœuvre et sa force de frappe depuis le Brexit." Ben oui la liberté rend plus fort avec des dirigeants compétents et no corrompus bien évidemment ce qui est difficile a trouver en UERSS empire prévu pour durer mille ans...

à écrit le 12/06/2023 à 20:11
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Le truc c'est que l'on soit ou non pour le libéralisme, si on est pour, il faut au moins en appliquer les principes de façon équitable. C'est le cas en GB, mais pas en FRANCE, où le copinage - formation de rentes et l'électoralisme sont les 3 mamelle...

à écrit le 12/06/2023 à 20:10
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Le truc c'est que l'on soit ou non pour le libéralisme, si on est pour, il faut au moins en appliquer les principes de façon équitable. C'est le cas en GB, mais pas en FRANCE, où le copinage et l'électoralisme sont les 2 mamelles d'un pseudo-libérali...

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