La mesure fait grincer des dents. L'annonce, il y a deux semaines, du gouvernement d'enterrer la redevance audiovisuelle ne passe pas au sein de l'audiovisuel public. Deux semaines après cette décision, qui constituait une promesse de campagne d'Emmanuel Macron, plusieurs syndicats de France Télévisions appellent à faire grève à Paris, le 28 juin prochain, pour s'y opposer. Ils craignent pour l'avenir du service public, dont ils redoutent, in fine, des baisses de budgets. « Supprimer la redevance au nom du pouvoir d'achat menace l'existence de l'audiovisuel public », alertent les syndicats. « C'est précariser et paupériser l'audiovisuel public en le basculant sur le budget général de l'Etat, donc aux arbitrages et aux pressions politiques incessantes », renchérissent-ils.
Bruno Patino, le président d'Arte, ne cache pas, non plus, son inquiétude. Dans un entretien à l'AFP, le chef de file de la chaîne franco-allemande redoute clairement « une baisse de dotation ». Ce qui mettrait la chaîne, sans publicité et financée à 95% par la redevance, en difficulté. Bruno Patino craint qu'une baisse des financements français d'Arte ne pousse, en conséquence, l'Allemagne à faire de même. Et ce alors que Berlin a pourtant décidé, l'an dernier, de renforcer les ressources de l'audiovisuel public. « Mon souci est de sensibiliser nos interlocuteurs à ce potentiel déséquilibre de financement », insiste Bruno Patino. Sa crainte est fondée : « il est certain que toute baisse de la dotation d'Arte France aurait des conséquences sur le financement allemand », précise Peter Weber, le vice-président allemand d'Arte, à l'AFP.
Les SDJ fustigent des « injonctions contradictoires »
La redevance audiovisuelle, une vieille taxe datant de 1933, s'élève aujourd'hui à 138 euros. Elle est payée par tous les foyers disposant d'un téléviseur. Elle rapporte chaque année plus de 3 milliards d'euros, lesquels financent l'essentiel du budget de France Télévisions, de Radio France, de l'INA, d'Arte France, de TV5 Monde et de France Médias Monde. Le gouvernement souhaite la supprimer via le projet de loi de finances rectificative (PLFR), qui sera présenté dans le courant du mois prochain, après les législatives. Pendant la campagne présidentielle Gabriel Attal, alors porte-parole du gouvernement, a promis que l'objectif n'était pas de réduire cette enveloppe.
Mais du côté de l'audiovisuel public, on n'y croît guère... Le 15 mai dernier, les sociétés des journalistes (SDJ) de France 2, de France 3 et de Franceinfo.fr ont dénoncé « un jeu de dupe ». Comment, fustigent-elles dans un communiqué commun, l'exécutif peut-il justifier cette manœuvre pour rendre du pouvoir d'achat au Français, tout en « garantissant les moyens » de l'audiovisuel public ? Il s'agit là, selon les SDJ, d'« injonctions contradictoire » : « Soit l'Etat continue de financier l'audiovisuel public et mobilise de l'argent public, donc celui du contribuable, expliquent les SDJ. Soit il ne compense pas la fin de la redevance, et réduit donc les moyens de l'audiovisuel public. »
Quand Macron taclait l'audiovisuel public
En parallèle, l'audiovisuel public redoute une perte d'indépendance vis-à-vis de l'Etat et de la sphère politique. Personne n'a oublié les propos d'Emmanuel Macron qui, en 2017, aurait déclaré que les télévisions et radios publiques étaient « la honte de la république ». Quand bien même l'Élysée a ensuite formellement démenti ces propos. Spécialiste des médias, l'économiste Julia Cagé estime, notamment, que la disparition de la redevance relève « d'une attaque contre le service public de l'information ». Elle y voit « une atteinte directe à l'indépendance des médias, alors même que l'audiovisuel privé devient plus concentré que jamais avec la fusion TF1/M6 soutenue par l'Élysée ».
Le gouvernement, lui, se défend en expliquant que des garde-fous seront mis en place concernant le dispositif qui remplacera la redevance. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a notamment évoqué la possibilité d'« un budget avec de la visibilité pluriannuelle », lequel « ne donne pas lieu à la régulation budgétaire dans l'année par le gouvernement ».
Une manœuvre politique ?
Il n'empêche que pour beaucoup, la volonté et l'empressement du gouvernement d'en finir avec la redevance relève d'une manœuvre politique. Cette mesure viserait, dans ce scénario, à cajoler les électeurs de droite et d'extrême droite, dont les leaders ont multiplié les piques contre l'audiovisuel public, jugé trop à gauche, et son financement. Marine le Pen, la cheffe de file du Rassemblement national, comme Eric Zemmour, à la tête de Reconquête, ont tous deux tiré à boulet contre la redevance, tout en appelant à privatiser les principales chaînes publiques. L'an dernier, Valérie Pécresse, la candidate des Républicains à la présidentielle, a, elle, estimé que la fin de la redevance n'était « pas un tabou ». La fin de cette taxe va, sans nul doute, constituer le premier dossier explosif de Rima Abdul Malak, la nouvelle ministre de la Culture.
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