Le plaidoyer du Shift Project pour une « 5G raisonnée »

Le think tank appelle à un encadrement du déploiement de la 5G et de ses usages pour éviter une explosion de l’empreinte carbone du numérique.
Pierre Manière
« D’après le Haut conseil pour le climat, le déploiement de la 5G devrait engendrer une augmentation de 18 à 44% de l’empreinte carbone du numérique ) l’horizon 2030 », rappelle The Shift Project.
« D’après le Haut conseil pour le climat, le déploiement de la 5G devrait engendrer une augmentation de 18 à 44% de l’empreinte carbone du numérique ) l’horizon 2030 », rappelle The Shift Project. (Crédits : JOHN SIBLEY)

The Shift Project tire la sonnette d'alarme. Le think tank vient de publier un rapport prospectif sur l'impact environnemental du numérique, et, en particulier, sur celui de la 5G. Premier constat : le secteur du numérique ne représente « que » 3,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en 2019. Mais ce chiffre est attendu en forte hausse avec l'essor de nombreux usages nouveaux et datavores. Cette « croissance préoccupante » de la part du numérique dans les émissions de gaz à effet serre, qui était d'environ 6% par an ces dernières années, s'avère incompatible avec l'objectif de l'accord de Paris sur le climat, souligne The Shift Project. Signé en 2015, celui-ci prévoit de limiter le réchauffement climatique dans une fourchette comprise entre 1,5 et 2 degrés.

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(Crédits: The Shift Project)

Le think tank se montre catégorique. « Les progrès technologiques sur l'efficacité énergétique n'ont jamais conduit à compenser l'augmentation des usages », affirme son rapport. A l'en croire, cette croissance des usages et services numériques personnels et professionnels couplée aux déploiements des réseaux télécoms, à la multiplication des data centers, à l'essor de l'Internet des objets et à la production continue de terminaux (ordinateurs, tablettes, smartphones, consoles de jeu, caméras...) va alourdir la consommation d'énergie. « La part du numérique dans la consommation d'énergie primaire (elle-même en croissance de 1,5% par an) pourrait doubler en l'espace de dix ans, et dépasser 9%, contre plus de 5% en 2020 », soulignent les auteurs.

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(Crédits: The Shift Project)

Pour éviter que l'empreinte carbone du numérique n'explose, le think tank privilégie un scénario, baptisé « New Sobriety ». « Il suppose une moindre croissance de la production des nouveaux types d'équipements (modules IoT, accessoires vidéo, etc...) ainsi que du trafic (maîtrise des usages vidéo et des applications d'intelligence artificielle) », précise le rapport. « Si ce scénario dénote une rupture significative dans les modes de consommation numérique et permet de stabiliser les émissions de GES, il ne permet toutefois pas, à lui seul, d'aligner le numérique sur une trajectoire de 2°C », souligne-t-il. D'où la nécessité, poursuit The Shift Project, de procéder, en parallèle, à « une priorisation des projets de numérisation permettant de réduire les émissions issues d'autres secteurs (dont la mobilité notamment) ».

Le cloud gaming et le streaming vidéo critiqués

Le think tank focalise son attention sur la 5G. La nouvelle génération de communication mobile est présentée comme une révolution. Ses débits encore plus grands, sa faible latence permettant une quasi-immédiateté des communications et sa capacité à gérer des myriades d'objets connectés permettront, arguent les analystes, d'accoucher d'usages nouveaux. Ses caractéristiques sont perçues comme le catalyseur de la numérisation de nombreux secteurs économiques. Dans les années à venir, la 5G couplée au cloud et à l'intelligence artificielle doit favoriser l'arrivée des robots dans les usines, de la voiture autonome ou encore le développement des villes intelligentes et de la télémédecine. L'ennui, c'est que toutes ces applications risquent aussi de plomber l'empreinte carbone.

Citant plusieurs études, The Shift Projet affirme que « le déploiement de la 5G, s'il est fait de manière large et dense et sans maîtrise de certains usages, va s'accompagner d'une augmentation considérable de la consommation d'énergie et des émissions associées à nos usages numériques »« D'après le Haut conseil pour le climat, le déploiement de la 5G devrait engendrer une augmentation de 18 à 44% de l'empreinte carbone du numérique à l'horizon 2030 », insiste-t-il.

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(Crédits: The Shift Project)

Le think tank n'appelle pas à boycotter la 5G. Mais plutôt à « encadrer » et à « piloter » finement le déploiement de cette technologie. Comment ? En privilégiant une « '5G raisonnée', par opposition à une 5G de masse ». Selon le think tank, les différents usages de la 5G doivent faire l'objet, séparément, d'une vraie réflexion. Et surtout d'une sélection. La « nouvelle offre de divertissement » promise par la 5G, comme le cloud gaming ou le streaming vidéo en ultra-haute définition, n'ont guère les faveurs du Shift Project. Ils « prolongent les tendances insoutenables », déplore le rapport. Avec ces usages, « le renouvellement des smartphones va de nouveau s'accélérer », insiste-t-il. « Du coté des fournisseurs de cloud gaming, la construction d'un service à la hauteur de la demande nécessite une intensification des capacités de calcul et du nombre de serveurs », renchérissent les auteurs.

Des déploiements plus ciblés

En matière d'usages professionnels, The Shift Project soutient que tous ne nécessitent pas la 5G. Et lorsque c'est le cas, des déploiements ciblés doivent être privilégiés. « Dans le cas de la téléchirurgie comme de l'industrie 4.0, la démarche doit être de déterminer les modalités de déploiement qui permettent les cas d'usage véritablement pertinents, défend le think tank. La téléchirurgie, même si elle sollicite l'imaginaire et un futur désirable, est une réalité hospitalière et non nomade, tout comme les usages industriels qui concernent uniquement les sites de production. »

Pour mener ces arbitrages, et « produire des choix technologiques concertés » et « soutenables », The Shift Project appelle le gouvernement à mettre en place une nouvelle « gouvernance du numérique ». L'exécutif pourrait s'appuyer, suggère-t-il, sur les régulateurs, la société civile et les industriels. « Ne pas se saisir de la 5G pour bâtir une gouvernance à la hauteur, ce serait assurer de nouvelles cristallisations des débats technologiques dans les trois, cinq et dix prochaines années », concluent les auteurs. Un avertissement, alors que la 5G continue de susciter de vives critiques à gauche et chez les écologistes.

Pierre Manière

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Commentaires 3
à écrit le 04/04/2021 à 11:28
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Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Edition (sortie 10 mars 2021). L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile les desseins secrets de la Chine avec l'installation de la 5G en France. Un néo-pola...

à écrit le 02/04/2021 à 13:12
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Enfin une proposition réaliste et simplement logique mais qui ne conviendra sans doute pas à la rapacité des opérateurs télécom !

à écrit le 02/04/2021 à 11:04
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"Nos financiers" veulent a tout prix faire confondre innovation et progrès, ce qui est loin d'être le cas puisque le sentiment de progrès diminue au fur et a mesure que l'on innove!

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