"En matière de 5G, nos concurrents sont mauvais joueurs" (Thomas Reynaud, DG d'Iliad/Free)

ENTRETIEN. Directeur général d'Iliad, la maison-mère de Free, Thomas Reynaud revient sur les ambitions du groupe qui vient de se lancer sur le marché des télécoms pour les entreprises. Le dirigeant fait également le point sur les déploiements de la 5G et de la fibre, qui font l'objet d'une compétition féroce.
Pierre Manière
Thomas Reynaud, le bras droit de Xavier Niel à la tête d'Iliad/Free.
Thomas Reynaud, le bras droit de Xavier Niel à la tête d'Iliad/Free. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Malgré le coronavirus, vos résultats 2020 restent honorables. Vous considérez-vous épargné par la crise ?

THOMAS REYNAUD - Il y a des années qui marquent plus que d'autres, et 2020 en fait partie. Elle a été synonyme d'adaptations qui devaient être temporaires et qui sont en train de devenir la norme, comme le télétravail, la façon de communiquer avec nos collaborateurs et nos abonnés. Il a fallu réinventer la manière de travailler, nous ne faisons pas exception. Nous avons présenté des résultats économiques très solides, avec un retour de la croissance et de bonnes performances en termes de déploiement des réseaux. Iliad n'a toutefois pas été immunisé par rapport à la situation sanitaire. La crise a eu un coût de 50 millions d'euros.

Certains concurrents ont lancé d'importants plans d'économies. SFR compte notamment se séparer de 1.700 employés. Comptez-vous prendre des mesures similaires ?

Non. Nous avons une politique d'emploi très dynamique. Malgré les difficultés de la crise, nous avons créé plus de 530 emplois nets en France en 2020. Nous comptons en faire autant en 2021 sur des postes de techniciens en fibre optique, sur le déploiement de notre activité aux entreprises, et sur l'expansion de notre réseau de boutiques. Nous allons franchir le seuil des 10.000 collaborateurs en France dans le courant de l'année.

Malgré plusieurs reports, Free se lance officiellement sur le marché des télécoms pour les entreprises. En interne, certains y étaient opposés, jugeant que cela ne correspondait pas à l'ADN du groupe. Qu'est-ce qui vous a convaincu d'y aller ?

Les télécoms sont une industrie du temps long. Vingt ans après la première Freebox et dix ans après le lancement de Free Mobile, nous souhaitons désormais nous adresser aux entreprises. Nous faisons le constat - et c'est tout le paradoxe du secteur français des télécoms - que le marché des entreprises est totalement verrouillé. Nous avons d'un côté un marché grand public très performant. Nous sommes probablement un des pays les plus connectés au monde, et le premier pays en Europe pour le déploiement de la fibre optique. Mais en parallèle, nous avons un marché professionnel peu concurrentiel avec des entreprises françaises peu digitalisées. Sur ce front, la France ne pointe qu'au onzième rang européen, et nous avons deux fois moins de TPE et de PME digitalisées que l'Allemagne. Nous souhaitons apporter un choc de simplicité, d'innovation. A partir du moment où vous avez un réseau de grande qualité, où vous êtes le premier opérateur alternatif sur l'Internet fixe, où vous avez le plus grand réseau 5G de France en nombre de sites, vous disposez d'une légitimité forte pour adresser ce segment.

Certains critiquent déjà votre offre à 50 euros pour les TPE et les PME. Celle-ci a certes l'avantage d'être sans engagement. Mais vous promettez un choc de prix alors que Bouygues Telecom propose déjà des offres moins chères... Il faut, en outre, rajouter 20 euros par mois pour bénéficier d'une assistance téléphonique. Estimez-vous que cela sera suffisant pour bousculer le marché ?

Notre offre permet aux entreprises de se digitaliser mais aussi de faire des économies. Elle est près de deux fois moins chère que celles de la concurrence. Elle permet de faire 1.500 euros d'économies par an pour une PME de dix salariés. Elle est très innovante d'un point de vue technologique, et très complète. C'est une offre 100% fibre, avec un forfait mobile 4G/5G intégré. Nous avons souhaité être au plus près des préoccupations des entreprises en termes de cybersécurité, en intégrant la possibilité, de manière très simple, de sécuriser les données, à la fois via la synchronisation des données sur le disque dur de la Freebox, mais aussi dans le cloud, avec une redondance dans trois data centers français. Nous avons également intégré systématiquement un firewall, ainsi qu'un backup 4G. Celui-ci se met automatiquement en route en cas de rupture de la fibre optique. En outre, notre offre est sans engagement, ce qui est important en temps de crise. Il n'existe aucune offre comparable, aussi riche, à ce prix.

Aujourd'hui, Orange et SFR dominent largement le marché. L'Arcep, le régulateur des télécoms, souhaite l'ouvrir à la concurrence. Qu'attendez-vous de l'institution ?

Nous faisons avant tout confiance à la qualité de notre réseau et de nos offres. Mais, nous demeurons particulièrement vigilant concernant d'éventuelles dispositions de nos concurrents pour limiter la fluidité du marché. Nos rivaux pratiquent souvent des périodes d'engagement de 24, 36 ou 48 mois. Notre rôle est de faire de la pédagogie pour nous imposer comme un nouvel acteur. L'enjeu, c'est la numérisation des entreprises, et cela passe par la fibre optique. Une mesure de bon sens, que l'on exprime régulièrement, est d'arrêter, à brève échéance, la commercialisation de nouveaux accès cuivre [ADSL, Ndlr] sur les zones déjà fibrées. Cela viendrait accélérer le développement de la fibre optique, et donc la digitalisation des entreprises.

En matière de 5G, Orange et SFR ont des mots très durs vis-à-vis d'Iliad. Ils vous accusent d'entretenir la guerre des prix en proposant cette technologie au prix de la 4G. Ils jugent, d'autre part et sans le dire de manière explicite, que votre 5G serait de moins bonne qualité, puisque vous recourez largement à des fréquences basses (700 MHz) pour la déployer. Or ces fréquences sont moins efficaces que les fréquences hautes (3,5 GHz) en termes de débit... Que leur répondez-vous ?

Nous investissons depuis 18 mois dans le déploiement de notre réseau 5G, et il est aujourd'hui de manière incontestable le plus grand de France en nombre de sites. Cela agace probablement nos concurrents que nous ayons lancé nos offres 5G sans surcoût quand certains ont fait exactement l'inverse... Cela dit, nous déployons notre réseau 5G sur toutes les bandes de fréquences, comme n'importe quel opérateur en Europe. Je constate qu'à la fois sur les fréquences 700 MHz , mais aussi sur les fréquences 3,5 GHz, nous sommes très loin devant Bouygues et SFR... Nous avons deux fois plus de sites en 3,5 GHz que SFR et 50% de plus que Bouygues. J'ai le sentiment que nos concurrents sont mauvais joueurs.

Votre stratégie en matière de 5G a-t-elle fait capoter les négociations concernant une mutualisation de réseau mobile avec Orange ? Ce projet était attendu depuis longtemps. Il vous aurait permis de réaliser des économies...

Il y a eu une tentative de travailler ensemble. Au regard des enjeux de déploiement de la 5G, nous souhaitions, chez Free, une prise de décision rapide sur la mise en œuvre ou non d'un partage de réseau. Orange n'a pas été suffisamment réactif, et nous ne souhaitions pas nous enfermer dans des discussions sans fin. A défaut de partage de réseau, j'ai la conviction que les quatre opérateurs doivent tout de même partager au maximum leurs infrastructures passives (*). Il y a à la fois un enjeu environnemental mais aussi de défense de la beauté des paysages français. Cela fait sens, car les quatre opérateurs vont collectivement déployer 30.000 sites sur les six ou sept prochaines années.

Vous n'utilisez pas, en France, d'antennes Huawei, lesquelles sont progressivement interdites. A la différence de SFR et de Bouygues Telecom, vous n'aurez pas à débourser d'argent pour remplacer ces infrastructures. Vous estimez pourtant être victime d'une distorsion de concurrence au regard des délais obtenus par vos rivaux pour démanteler leurs antennes chinoises... Si vous en aviez eu la possibilité, auriez-vous troqué une partie de vos antennes Nokia pour des Huawei ?

Nous n'avons pas obtenu d'autorisation de déployer des équipements Huawei à la différence de deux de nos concurrents. Cela pose question car nous sommes dans une industrie ultra-concurrentielle, et la réglementation doit faire preuve d'équité et de transparence entre les différents acteurs. Soit les équipementiers asiatiques sont autorisés pour les quatre opérateurs, soit ils sont interdits pour tous. Il ne peut pas y avoir, comme aujourd'hui, deux poids deux mesures.

Sur le marché de l'Internet fixe, Iliad estime qu'il reste un frein à l'adoption de la fibre : le prix du dégroupage, payé par les opérateurs alternatifs pour accéder au réseau cuivre d'Orange. A l'instar de SFR et Bouygues Telecom, vous militez pour une baisse de ce prix régulé par l'Arcep. Cela inciterait, dites-vous, Orange à fermer plus vite son réseau cuivre et favoriserait le passage à la fibre. L'opérateur historique défend une position inverse, jugeant qu'une hausse de ce tarif incitera le secteur à privilégier les offres de fibre. Chacun tire la couverture vers soi. Qui faut-il croire ?

Notre position est constante depuis longtemps : l'opérateur historique profite d'ores et déjà depuis de nombreuses années d'une rente considérable avec le dégroupage. Il est clair de notre point de vue que le tarif du dégroupage ne doit en aucun cas augmenter. Ce serait affaiblir les capacités d'investissement des opérateurs alternatifs dans la fibre optique. Nous ne pouvons pas avoir en France deux réseaux parallèles, un en cuivre et  un en fibre optique, qui risque à terme d'être insuffisamment remplis. L'enjeu essentiel est, une fois encore, la fermeture à brève échéance de la commercialisation des accès cuivre sur les zones fibrées.

Iliad est désormais présent en Italie, et depuis peu en Pologne. Quels sont vos projets dans ces deux pays ?

Nous avons 42 millions d'Européens qui nous font confiance pour leur connectivité, dont 20 millions en France qui ont accès à des services Internet fixe et mobile, plus de 7 millions d'abonnés mobile en Italie, et 15 millions d'abonnés mobile en Pologne. Nous sommes le sixième groupe de télécoms européen en termes de nombre d'abonnés mobiles. En Italie, la prochaine étape logique est de lancer nos activités Internet fixe.  Nous avons une belle opportunité à saisir compte tenu de la force de notre marque Iliad Italia, du faible taux de pénétration de la fibre dans la péninsule, mais aussi de la demande de nos abonnés. En Pologne, nous ne sommes actionnaires de Play que depuis trois mois. L'intégration se poursuit dans un climat de confiance. Nous allons accélérer la montée en puissance de Play sur le marché du très haut débit fixe polonais.

*Dans ce schéma, les opérateurs partagent les pylônes et les toits-terrasses, mais tous déploient leurs propres antennes.

Pierre Manière

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Commentaires 8
à écrit le 08/04/2021 à 23:56
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Internet avec toutes les interdictions que l'État français implante devient de moins en moins fun .Payer 40 € par mois pour avoir le droit de payer ses impôts en ligne,de recevoir moulte pubs et devoir lire que la propagande étatique sans pouvoir s'e...

à écrit le 08/04/2021 à 21:52
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Orange mauvais joueur et surtout mauvais perdant

à écrit le 31/03/2021 à 16:38
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La box Free était en rade cette nuit dans une partie de l’Essonne jusqu’à midi environ .

à écrit le 30/03/2021 à 15:57
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merci de continuer à piller et polluer le monde, vous reprendrez bien un peu de pognon dans votre bourse, n'est il pas ?

à écrit le 30/03/2021 à 11:03
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Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Edition (sortie 10 mars 2021). L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile les desseins secrets de la Chine avec l'installation de la 5G en France. Un néo-pola...

à écrit le 30/03/2021 à 10:15
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C'est incensé de sa part ! Notre immeuble dont s'occupe Free a été coupé au total pendant plus d'un an au cours des trois dernières années. Il faut interdire à cette société d'exercer !!

à écrit le 30/03/2021 à 9:51
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Dans ce genre de néolibéralisme on préfère qu'il y ai mésentente que connivence!

à écrit le 30/03/2021 à 8:49
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comparer les effectifs de free et de sfr, c'est comparer des choux et des patates free est deja a l'os, y a pas grand chose a enlever; effectivement eventuellement ils peuvent embaucher un peu, mais vu leurs tarifs..... concernant les entreprises i...

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