Neutralité carbone : comment la Bretagne entend sortir des énergies fossiles

Dans la foulée de l'installation du Comité régional de l'énergie, en novembre dernier, la Région Bretagne souhaite adapter l'ambition nationale de neutralité carbone en 2050 à sa manière, et ce, en tenant compte des spécificités de son territoire. Le chemin pour sortir des énergies fossiles passe par une optimisation du mix énergétique et l'accélération sur les énergies renouvelables. Certains élus posent la question du renouvellement du modèle breton dans son ensemble.
En 2021, 84% de la production d'énergie bretonne provenait de ressources renouvelables, couvrant 19% de la consommation. Dans ce mix énergétique, le bois arrive en tête (32%) et les espoirs sont dirigés vers l'éolien en mer.
En 2021, 84% de la production d'énergie bretonne provenait de ressources renouvelables, couvrant 19% de la consommation. Dans ce mix énergétique, le bois arrive en tête (32%) et les espoirs sont dirigés vers l'éolien en mer. (Crédits : BORJA SUAREZ)

En économie comme en politique, la Bretagne semble bien décider à tracer une route bien à elle, privilégiant le dialogue entre les parties et la collaboration des acteurs du public et du privé. La question de la sortie des énergies fossiles, avec l'objectif national d'atteindre la neutralité carbone en 2050, n'y échappe pas. En revanche, la route n'est pas forcément droite, tant la défense du climat percute d'autres enjeux : de la souveraineté alimentaire aux intérêts économiques et industriels. Pourtant, le Comité régional de l'Énergie (CRE) défend l'idée de tracer un chemin « à la bretonne ».

Installé le 28 novembre dernier, lors de la Conférence bretonne de la transition énergétique (CBTE) organisé avec l'Ademe et l'État, ce comité a pour objectif de répondre à l'ambition de la neutralité carbone et de fin de la dépendance aux énergies fossiles. Composé de cinq collèges, représentant l'ensemble des acteurs impliqués dans les politiques de l'énergie, il doit permettre de visualiser les pistes d'actions sur la sobriété et la planification territoriale des énergies renouvelables à horizon 2030.

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« Un mix de toutes les énergies »

« La Bretagne a déjà bien travaillé sur ce sujet de la stratégie bas carbone, mais il faut aller plus loin pour territorialiser les objectifs nationaux », estime André Crocq, conseiller régional Climat, transitions et biodiversité, et membre de la majorité régionale, alors que la future programmation annuelle de l'énergie en Bretagne est en préparation pour l'été 2024.

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Le calendrier du CRE, qui prévoit une réunion en mai 2024, puis l'élaboration d'une trajectoire en septembre, vise à préparer l'adaptation, en 2025, du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) adopté en 2020, sur la base d'une division de moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici à 2040 par rapport à 2015 (-75% entre 1990 et 2050).

« On attend pour fin 2024 la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE3) qui fixera les objectifs pour 2050. La Bretagne a mis l'accent depuis plusieurs années sur le renforcement de ses capacités de production tout en étant sur un objectif de réduction des émissions de GES de facteur 4, on va passer au facteur 7, soit une division par sept. A l'horizon 2050, il faudra être sur toutes les énergies disponibles. Un mix énergétique autour des renouvelables, de la biomasse (méthanisation), du stockage hydrogène, c'est peut-être cela la singularité bretonne » imagine-t-il.

Les objectifs actuels de la Région s'appuient sur une réduction importante des consommations (-35% en 2040) et une hausse de la production des énergies renouvelables, y compris via le photovoltaïque installé sur son patrimoine (bâti, lycées). Au total, 40,3 millions d'euros sur le budget 2024 vont ainsi financer des actions incitatives ou pilotes liées à la biodiversité, l'eau, les déchets et les énergies nouvelles.

Agriculture, pêche, industrie ont augmenté leur consommation

Pourtant, bien qu'en légère baisse depuis 10 ans (-7% par habitant), la consommation d'énergie en Bretagne n'a pas atteint l'objectif fixé en 2020 de 66,1 TW (térawattheure).  Selon des données de l'Observatoire de l'environnement en Bretagne, les Bretons ont consommé 79 TW en 2021, issus à 42% des produits pétroliers (en baisse de 30% depuis 2005), à 27% de l'électricité et à 17% du gaz.

Dans le détail, les ménages et le secteur tertiaire (40%), ainsi que les transports (35%), sont les plus gros consommateurs, mais aussi ceux affichant une baisse respective de 11% et 3% depuis 2012 pour les premiers. Au contraire de l'agriculture et de la pêche ainsi que de l'industrie, dont la consommation a augmenté de 26% et de 16%, respectivement.

« La moitié de nos émissions proviennent du secteur agricole, mais les investissements conduisant à réduire la dépendance aux énergies fossiles commencent à produire leurs effets », tempère André Crocq.

En 2021, 84% de la production d'énergie provenait de ressources renouvelables, couvrant 19% de la consommation. Dans le mix énergétique breton, le bois arrive en tête (32%). Les espoirs sont désormais dirigés vers l'éolien en mer. La moitié du parc éolien de Saint-Brieuc est entrée en production et sa mise en service se poursuit jusqu'au printemps. Il alimentera 9% de la consommation électrique du territoire. Hors la technologie pilote mise en œuvre à Ouessant, l'hydrolien reste pour l'heure un vœu pieux.

Mesurer l'acceptabilité et l'impact environnemental réel

« L'exemple de Saint-Brieuc doit servir d'exemple sur la façon dont il faut conduire ces projets-là et doit permettre d'innover en matière de concertation, c'est un sujet d'acceptation sociale », insiste Isabelle Le Callennec, conseillère régionale Droite, Centre et Régionalistes, anticipant le débat sur le futur parc éolien flottant en Bretagne Sud.

« Définir la stratégie régionale, c'est anticiper l'impact sur la Bretagne de l'accélération des énergies renouvelables et des objectifs de décarbonation de la production d'énergie. À partir du moment où la stratégie nationale (PPE3) n'est pas claire et qu'on ne parle pas de souveraineté énergétique au niveau européen, rien n'est stabilisé ».

Présidente de Vitré Communauté, l'élue LR juge difficile l'autonomie énergétique de la Bretagne. Elle se dit toutefois favorable, sous conditions, à l'éolien. Critique sur bien des points soulevés par le parc de Saint-Brieuc, elle estime que les projets doivent susciter l'accord des habitants, y compris en termes d'emplois, du prix de rachat du megawattheure et d'impact sur la biodiversité et les ressources (zones de pêche), pour le cas de l'éolien en mer. A Vitré, où un projet cinq éoliennes a été validé, la maire en a retoqué un autre, trop critiqué.

Sur ce territoire économiquement dynamique - porté par les secteurs de la logistique et de l'agro-alimentaire -, le déploiement du photovoltaïque (voire agrivoltaïque), l'utilisation du foncier et les enjeux de l'objectif ZAN (zéro artificialisation nette) qui se traduisent par 9.000 hectares restants pour l'ensemble de la région, feront aussi partie du débat.

« Rien ne doit se faire sans les élus locaux, ni sans transparence », juge Isabelle Le Callenec. « Or l'exécutif mesure le développement économique à l'aune de la décarbonation. En raison des coûts financiers induits, on ne peut fixer des objectifs qu'on ne pourra pas atteindre » conclut l'élue. Du Comité régional de l'énergie et de la stratégie régionale dans son ensemble, les conseillers attendent un partage des diagnostics et des choix clairs. Surtout pas des décisions télécommandées depuis Paris.

Décarboner sans changer de modèle ?

« En matière d'incitation à la sobriété, l'exécutif régional fait effectivement le pari de la croissance verte et du renouvelable », admet Loïc Le Hir, conseiller Les Écologistes de Bretagne.

« Mais il mise sur la technologie plus que sur le changement de modèle lié à l'agriculture et à la pêche, à l'industrie ou au BTP. Par le refus de diviser le cheptel et de réduire l'élevage hors-sol des porcs, parce qu'on est toujours au stade des expérimentations sur la sortie des pesticides, parce que la centrale à gaz de Landivisiau, conçue pour une production d'appoint hivernal, fonctionne à plein tube, ces activités économiques ne contribuent pas suffisamment à l'effort de baisse des émissions » regrette l'élu.

L'aérien se retrouve aussi dans le collimateur des écologistes. Ils ont récemment fustigé l'aide régionale à la future usine de l'avionneur Safran à Rennes et à celle à l'aéroport de Quimper, destinée à financer une reconversion vers l'aviation d'affaires. Le « mirage de l'avion vert », taclent-ils.

De la juste prise en compte des territoires dans les choix de décarbonation qui seront faits demain par la Bretagne dépendra la mobilisation au service de la sobriété. Celle-ci ne se fera pas sans vagues.

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