La saison des assemblées générales a débuté cette semaine. Avec la promesse pour les actionnaires d'être à nouveau choyés par les grandes entreprises qui ont dégagé d'excellents résultats en 2023 et affichent des perspectives plutôt rassurantes. L'an dernier, au titre de l'exercice 2022, les entreprises du CAC 40 avaient versé un montant historique de 97 milliards d'euros aux actionnaires, dont 30 milliards sous la forme de rachats d'actions.
La question de la redistribution aux actionnaires sera donc scrutée avec intérêt, tout comme les questions, devenues récurrentes, liées à la rémunération des dirigeants ou à la politique climat. Entretien avec Olivier de Guerre, président de Phitrust, une société de gestion qui s'est construit vingt ans une solide réputation en matière d'engagement actionnarial.
LA TRIBUNE - Pourquoi souhaitez-vous déposer une résolution pour la prochaine assemblée générale de TotalEnergies, visant à empêcher le rachat d'actions suivi d'une annulation des titres ?
OLIVIER DE GUERRE - Nous sommes contre les rachats d'actions en vue d'annulation lorsqu'ils représentent des montants colossaux. L'an dernier, TotalEnergies a racheté pour plus de 9 milliards d'euros de ses propres actions et a investi quelque 5 milliards d'euros dans les énergies renouvelables. Cela peut soulever des quelques interrogations, non sur le principe, mais sur l'ampleur d'un tel programme.
Le vrai sujet pour un groupe comme TotalEnergies devrait plutôt porter sur l'accélération de ses investissements dans les énergies renouvelables ou les énergies du futur que sont l'hydrogène et le nucléaire, qui seront nécessaires pour accompagner la décarbonation de nos économies. Mais en tant qu'actionnaire, nous ne pouvons pas poser des questions sur la stratégie du groupe, notamment sa stratégie climat, qui relève du conseil d'administration.
En revanche, nous pouvons nous prononcer sur la politique de distribution du résultat et inciter le groupe à investir davantage en contestant les rachats d'actions. C'est également un moyen d'interpeller le conseil sur l'ampleur de ces programmes de rachat mais aussi de rappeler aux investisseurs, notamment ceux soucieux de durabilité, qu'ils doivent être en ligne avec ce qu'ils défendent, quitte à sacrifier un peu de rendement à court terme.
Approuvez-vous l'exclusion de TotalEnergies du nouveau référentiel du label ISR ?
Cette exclusion du label ISR, sous l'égide Bercy, est une grave erreur. C'est même une perte de souveraineté majeure. Nous avons déjà 47% du capital de TotalEnergies détenus par des fonds anglo-saxons, une majorité du conseil qui n'est pas français et un groupe qui peut transférer du jour au lendemain son siège social en Europe. Que cherche-t-on ? A accroître encore plus le poids des actionnaires américains, au risque de freiner le groupe dans ses engagements climatiques ? Nous préférons faire de l'engagement actionnarial et inciter le groupe à bouger les lignes. Et ces lignes ont beaucoup bougé ces cinq dernières années, même si le groupe peut toujours faire plus vite.
La question climatique sera-t-elle au cœur des assemblées générales cette année ?
Nous avons rencontré une vingtaine de dirigeants du CAC 40, en amont des assemblées générales. Le climat reste, pour tous, en haut des priorités. Je pense que les assemblées seront l'occasion, pour les dirigeants, de détailler le déroulement de leur plan de transition à l'horizon 2030 ou 2050, y compris les obstacles qu'ils rencontrent sur leur chemin.
Ces questions climatiques seront d'autant plus au centre des assemblées générales que la réglementation européenne, notamment la directive CSRD, poussent les entreprises à davantage de transparence en termes de reporting extra-financier. En revanche, nous sommes toujours réservés sur l'intérêt de soumettre à l'assemblée des plans climatiques annuels (Say on Climate), car une entreprise ne change pas de stratégie climatique tous les ans.
Le sujet de la rémunération des dirigeants revient en force, alors que plusieurs conseils en vote ont appelé à voter contre la rémunération du directeur général de Stellantis, Carlos Tavares, même si ce vote n'est pas contraignant aux Pays-Bas, siège du groupe. Comment peut-on juger qu'une rémunération soit trop élevée ou non ?
Les résultats des entreprises ont été élevés en 2023 et donc les rémunérations des dirigeants devraient suivre. Mais il existe des sociétés qui dégagent des résultats exceptionnellement élevés, comme TotalEnergies ou BNP Paribas, tout en proposant des rémunérations raisonnables pour les dirigeants. D'autres, en revanche, proposent des rémunérations hors normes.
C'est le cas chez Stellantis, au motif qu'il est indispensable d'aligner les salaires des dirigeants avec ceux des Etats-Unis pour éviter qu'ils partent à la concurrence. Mais on compare des choses qui ne sont pas comparables, car je doute que le directeur général de Stellantis paye ses impôts aux Etats-Unis ! Ce n'est jamais bon quand les écarts de rémunérations sont aussi béants. Nous avons le même sujet chez Carrefour où la rémunération du directeur général, Alexandre Bompard, nous paraît beaucoup trop élevée au regard de la taille et des résultats de l'entreprise.
La proposition de loi sur l'attractivité de la place de Paris propose d'introduire en France les actions à droit de vote multiple. Êtes-vous favorable à cette mesure ?
Absolument pas. Comme d'ailleurs l'ensemble des professionnels de la gestion d'actifs ou les investisseurs institutionnels, qui ont largement exprimé leur désaccord sur cette mesure. Le vrai sujet, c'est la compétence du fondateur et non la possibilité de conserver le contrôle de sa boîte en cas de cotation. Si le fondateur souhaite garder le contrôle alors qu'il reste non coté !
Déjà, les derniers actionnaires des licornes ont souvent des actions de préférence qui leur permettent de protéger leur investissement même en cas de dégonflement de la valorisation. Donc quand une société marche bien, qu'elle a une bonne stratégie, la question du contrôle ou non par fondateur est accessoire. Nous avons l'impression que l'on tente de remplacer l'absence de fonds de pension en France par des droits de vote multiple qui seraient la solution pour conserver les belles sociétés en France.
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