Une fois encore, l'affaire EDF pose la question de la cotation en Bourse du fournisseur historique d'électricité, après sa privatisation en 2005. Et pour cause. Alors que la valorisation du groupe, détenu à près de 84% par l'Etat, a été divisée par quatre en quinze ans, sa situation s'avère aujourd'hui pour le moins compliquée. « Désastreuse » même, « d'un point de vue boursier », fait valoir Tancrède Fulop, analyste financier chez Morningstar.
En cause, entre autres : la décision du gouvernement, le 13 janvier dernier, de relever le plafond de l'ARENH cette année, autrement dit le volume d'électricité qu'EDF devra céder à prix coûtant à ses concurrents pour les secourir de l'explosion des prix de marché. De quoi contenir la hausse du tarif réglementé de vente (TRV) et des offres des fournisseurs alternatifs, et par là-même protéger les consommateurs. Mais aussi amputer EDF de 8 milliards de recettes potentielles en 2022, alertait dans la foulée l'opérateur historique, dont le titre a depuis chuté de près de 20% à la Bourse de Paris, avec une première annonce de dégradation de la note de sa dette à long terme par Fitch Ratings.
Forcément, les actionnaires minoritaires ne l'entendent pas de cette oreille. Et continuent de contester ce relèvement soudain du plafond de l'ARENH, plus de dix jours après la sentence. Les deux fonds d'actionnariat salarié du groupe (EDF ORS et FCPE Actions EDF), qui possèdent le plus de parts derrière l'Etat, ont ainsi fait parvenir le 24 janvier un courrier à Robert Ophèle, le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), afin de défendre « l'intérêt des porteurs de parts ».
« De fait, les actionnaires minoritaires sont lésés financièrement par une communication politique, pour le moment non suivie d'effet, d'un acteur public également actionnaire majoritaire d'EDF, et par la confusion des rôles d'Etat régulateur et d'Etat actionnaire », y fait valoir la présidente des deux conseils de surveillance, Martine Faure.
Cette dernière demande à l'AMF d'intervenir « immédiatement pour rappeler la réglementation en vigueur ». Et notamment de « souligner aux deux ministres » (Bruno Le Maire et Barbara Pompili, respectivement à l'Economie et à la Transition écologique) leur « responsabilité au regard des conséquences de cette communication politique ». Mais aussi de « compenser toute ou partie de l'impact pour EDF », en précisant le calendrier de mise en oeuvre.
« On observe un désalignement des intérêts entre les actionnaires minoritaires que sont notamment les salariés, et l'actionnaire majoritaire qu'est l'Etat. Pour cause, le risque politique revient en force, et le gouvernement fait quoi qu'il en coûte pour protéger le pouvoir d'achat des Français, notamment en période électorale », commente Tancrède Fulop.
Une entreprise publique...de droit privé
D'autant que Bruno Le Maire en a remis une couche lundi. « S'agit-il d'un service public, pour aider les Français, ou bien d'une entreprise dont le seul but est le profit ? Moi j'opte pour la première réponse », a-t-il lâché au micro de FranceInfo. Et de rappeler que l'État a été présent pour EDF quand la société a traversé des périodes difficiles : « Je n'ai pas entendu beaucoup de remerciements à l'époque », a-t-il insisté.
« C'est quasiment une entreprise publique dans la manière dont c'est géré, même si son statut est de droit privé. EDF, aujourd'hui, c'est l'Etat français », estime Xavier Regnard, analyste Energie chez Bryan, Garnier & Co.
Mais une telle situation, qui semble difficilement compatible avec les règles d'une société privée cotée en Bourse, « rebat les cartes pour les investisseurs », avance Tancrède Fulop. « Cela montre qu'ils ont encore moins de visibilité que prévu, ce qui est très négatif pour leur perception », fait valoir l'analyste financier.
Dans ce contexte, les actionnaires privés pourraient sortir du capital d'EDF, via une offre publique de retrait, et l'Etat racheter la totalité des parts. Mais une telle option ne semble pas sur la table dans l'immédiat. Dans sa lettre à l'AMF, Martine Faure exige en tout cas que l'Etat « rende publique ses intentions s'agissant de l'évolution éventuelle de sa participation dans EDF, et notamment s'il envisage d'engager dans les mois qui viennent une Offre Publique ».
Se pose également la question de l'impact réel du relèvement du plafond de l'ARENH sur EDF, alors que l'exécutif l'accuse d'exagérer ses pertes. « Pour l'heure, l'entreprise n'a fourni qu'un "chiffrage illustratif". On verra bien quelle sera leur communication lors de la publication de leurs résultats de 2021, le 18 février prochain, et surtout leur guidance pour 2022 », conclut Trancrède Fulop. En attendant, les syndicats ont lancé ce mercredi un appel à la grève, afin de mettre un « stop au saccage d'EDF et du service public ».
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