Après deux années noires marquées par une saison blanche lors de l'hiver 2020-2021, la Compagnie des Alpes redresse la tête depuis près d'un an. Les parcs de loisirs ont fait le plein pendant la saison estivale et la saison hivernale s'annonce à nouveau prometteuse dans les domaines de montagne. Pourtant, cette embellie, qui va se concrétiser par un retour aux bénéfices pour l'exercice fiscal qui s'achève le 30 septembre, est contrariée par l'explosion des coûts de l'énergie.
Pas de quoi empêcher les remonte-pentes et autres téléphériques de fonctionner à plein régime cet hiver. « Les signaux sont excellents pour l'instant », se réjouit Dominique Thillaud, directeur général de la Compagnie des Alpes, au moment de parler des perspectives pour cet hiver. Il renchérit : « même si ce n'est encore que le début, les signaux sont très bons pour Noël aussi bien que pour la suite de la saison. Nous sommes relativement confiants. » Les réservations sont encore plus tardives qu'avant la crise, mais « l'appétit est là ».
Cet hiver devrait en plus être marqué par le retour des touristes britanniques encore absents l'an dernier. Le Travelski Express, en partenariat avec Eurostar pour la desserte des stations alpines depuis le Royaume-Uni, sera d'ailleurs rétabli sur l'intégralité de la saison. En revanche, Dominique Thillaud assure que l'absence des touristes russes n'aura pas d'impact sur les domaines qu'il gère (La Plagne, Les Arcs, Tignes, Val d'Isère, Méribel, Les Menuires, Serre Chevalier et Grand Massif).
Si le dynamisme se maintient, les résultats de l'hiver dernier (2021-2022) devraient être dépassés, au moins en volume. Ces derniers avaient pourtant été déjà très bons avec une progression conséquente au dernier hiver plein (2018-2019) en chiffre d'affaires (+11 % sur les domaines skiables, +16 % au total à 541 millions d'euros) comme du bénéfice opérationnel (+56 % à 165 millions d'euros).
Déficit de rentabilité
Les volumes sont importants, mais ils ne suffisent pas à garantir la rentabilité. Et dans le cas présent, la Compagnie des Alpes va souffrir de la crise énergétique. « En tant que délégataire de service public, nous sommes aux risques et périls avec des bonnes et des mauvaises années. Là, visiblement, ce sera une moins bonne année en tout cas par rapport au prix de l'électricité », reconnaît volontiers le dirigeant. La facture énergétique qui avait déjà augmenté de 50 % l'hiver dernier, va s'accroître de 300 % cette année. Elle devrait peser environ 15 % des coûts opérationnels, malgré un système de couverture, contre à peu près 4 % avant la crise.
« C'est un risque systémique qui appelle une solution systémique. Le système européen de fixation du prix de l'électricité handicape toute l'économie des entreprises françaises. C'est un amplificateur de crise, d'irrationalité. [...] Le plus urgent, c'est une décision ultra rapide dès maintenant pour 2023 », appelle Dominique Thillaud, à propos de la flambée des prix de l'énergie.
« La consommation est proportionnelle au parc. Avec les domaines que nous exploitons, nous sommes évidemment un des plus gros consommateurs », reconnaît Dominique Thillaud avant d'ajouter tout de go : « de toute façon, nous allons tout ouvrir à bloc. Il n'y a pas d'autres options, c'est notre responsabilité vis-à-vis de nos délégants, de l'intégralité de l'écosystème et, au premier chef, de nos clients. » Cette inflation des coûts de l'énergie devrait donc peser lourd.
Handicaps multiples
D'autant plus lourd que la Compagnie des Alpes est handicapée par un décalage important : étant donné le caractère de service public des remontées mécaniques, celles-ci sont gérées par des opérateurs privés en concession selon des délégations de service public (DSP), avec des tarifs fixés à l'avance. En l'occurrence, la Compagnie des Alpes a arrêté sa grille tarifaire au printemps dernier. Certes, l'augmentation des prix de l'énergie avait déjà commencé à se faire sentir, mais dans des proportions moindres qu'actuellement. La hausse du prix des forfaits décidée alors ne prend donc que partiellement en compte cette inflation. Elle ne suffira dès lors pas à l'absorber, avec une perte de rentabilité à la clef.
Au contraire, d'autres acteurs comme la SNCF, la Compagnie des Alpes ne peut pas tirer parti de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) du fait des périodes de calcul pour l'attribution des quotas (basés sur la consommation en avril et juin puis septembre-octobre, au moment où l'activité est la plus faible dans les domaines). Une situation jugée inéquitable par Dominique Thillaud, qui reconnaît en revanche en bénéficier pour ses parcs de loisirs.
Une sobriété discrète
S'il affirme que la sobriété sera de rigueur, comme l'hiver dernier déjà, elle sera appliquée à la condition « d'être imperceptible pour les clients » et donc concentrée sur les domaines non opérationnels avec des mesures telles que des baisses de chauffage. Il n'est ainsi pas question de réduire les horaires d'ouverture ou ralentir les remontées mécaniques, de « voler le client » comme l'affirme clairement le directeur général de la Compagnie des Alpes.
Après avoir réaffirmé sa volonté « d'effacer son empreinte carbone sur le scope 1 et 2 », Dominique Thillaud assure que des actions ont été mises en place pour diminuer les émissions au sein de la station : les dameuses, principales sources de pollution, seront alimentées exclusivement en biocarburant (huiles de cuisson usagées, hors huile de palme), et les canons à neige améliorés pour réduire la consommation d'eau et d'électricité de 15 %.
En attendant le début de la saison hivernale, Dominique Thillaud s'attelle également à achever son exercice fiscal en cours. Il prendra fin le 30 septembre et va se traduire par un retour au bénéfice pour la Compagnie des Alpes, après deux années de pertes. Pour l'exercice 2020-2021, le groupe avait perdu plus des deux tiers de son chiffre d'affaires par rapport à ses standards d'avant la crise, avec seulement 241 millions d'euros engrangés, et surtout enregistré une perte nette de 122 millions d'euros. Au cours des trois premiers trimestres de l'exercice en cours, il a déjà réalisé un chiffre d'affaires de 745 millions d'euros (+18 % par rapport à 2018-2019) et devrait dépasser son niveau d'avant la crise.
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