Air France-KLM ou l'impossible ( ? ) mission de Ben Smith

Le nouveau directeur général d’Air France-KLM, le Canadien Benjamin Smith, a pris ses fonctions ce lundi 17 septembre pour une mission qui s’annonce délicate. Transformer le groupe pour en faire un leader du transport aérien. Mais avant d’en arriver-là, il y a un préalable : il devrait régler le problème salarial à Air France.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : Clodagh Kilcoyne)

Ca y est. Plus d'un mois après sa nomination au poste de directeur général d'Air France-KLM, le Canadien Benjamin Smith, 46 ans, est aux commandes du groupe français. Le numéro deux d'Air Canada, dont la nomination a fait couler beaucoup d'encre en raison de l'hostilité affichée de l'intersyndicale qui militait pour un candidat français et par le triplement potentiel de sa rémunération par rapport à son prédécesseur (plus de 4 millions d'euros, accompagné d'un parachute doré du même ordre de grandeur), est enfin entré dans l'arène lundi 17 septembre.

Refaire d'Air France-KLM un leader du secteur

Son arrivée referme ainsi une période de quatre mois de crise de gouvernance provoquée par la démission le 15 mai de Jean-Marc Janaillac, à la suite de son référendum perdu sur sa proposition salariale pour mettre fin au conflit sur les salaires. Mais les problèmes à régler restent entier pour faire à nouveau d'Air France-KLM un acteur majeur du transport aérien mondial, capable de résister à un retournement de cycle, contrairement à ce qui s'est passé en 2008-2009, notamment pour Air France. Pour rappel, entrée dans la crise plus mal préparée que ses concurrents et ayant mis plus de temps pour réagir, Air France a traversé sept ans de calvaire, marqué par plus de 2 milliards d'euros de pertes cumulées et plus de 10.000 suppressions de postes.

Ben Smith a donc la lourde tâche de remettre en selle un groupe qui, depuis 2015, est certes revenu nettement dans le vert, affichant même en 2017 des résultats record (1,5 milliard d'euros de bénéfices d'exploitation, 900 millions pour KLM, 588 millions pour Air France). Mais cette performance est en trompe-l'œil puisqu'elle est davantage liée à la baisse du prix du pétrole et au dynamisme de la demande, qu'à une amélioration substantielle de sa compétitivité. Notamment Air France. Surtout, ces résultats sont largement inférieurs à ceux des deux grands groupes européens concurrents, IAG (British Airways, Iberia, Aer Lingus, Vueling, Level) et Lufthansa (qui compte aussi Swiss, Austrian, Brussels Airlines, Eurowings), dont les bénéfices d'exploitation sont deux fois plus importants, à 3 milliards d'euros. Soit 1,5 milliard d'euros de plus. Et cet écart ne cesse de se creuser. En 2012, il était plus proche de 800 millions.

Pour recréer une dynamique positive, Ben Smith devra améliorer le fonctionnement du groupe, apaiser les tensions entre Air France et KLM, et remettre dans le sens de la marche Air France, laquelle, depuis quatre ans, vit dans le conflit permanent. Ce sera son principal défi. Celui sur lequel se sont cassé les dents ses deux prédécesseurs, Alexandre de Juniac (2013- mi 2016, auparavant il était Pdg d'Air France depuis fin 2011) et Jean-Marc Janaillac (mi 2016-mi 2018). Sous leur présidence, près d'un milliard d'euros se sont évaporés en grèves, sans que celles-ci aient débouché sur une avancée structurelle en termes de compétitivité.

Une action en deux temps

L'action de Ben Smith ne peut se faire qu'en deux temps. Comme l'a dit ce lundi Élisabeth Borne, la ministre des Transports, il devra élaborer très rapidement un projet stratégique pour le développement du groupe. Les dossiers ne manquent pas. Notamment à Air France. Entre le développement de la filiale low-cost Transavia France au-delà de sa limite actuelle de 40 avions, la restructuration de la filiale régionale HOP, la création ou pas d'une arme low-cost long-courrier, les dossiers ne manquent pas. Ben Smith peut aller vite. Toutes les études sur ces différents sujets sont sur la table. Lancées par Jean-Marc Janaillac qui préparait un plan stratégique à cinq ans, elles ont été finalisées après sa démission et présentées au conseil d'administration en juin.

Pour autant, de gros dossiers comme le développement de Transavia ou la création éventuelle d'une entité low-cost long-courrier, qui touchent aux accords de périmètre d'Air France, nécessiteront l'accord des pilotes de la compagnie française, et des contreparties.

Régler le conflit sur les salaires

Mais avant d'en arriver-là, il y a un préalable : régler le conflit salarial à Air France afin de tourner la page et de préparer l'avenir. Les syndicats qui ont cette nomination en travers de la gorge l'attendent de pied ferme. Ils sont à cran. Les 15 jours de grève qui ont coûté 335 millions d'euros à la compagnie n'ont rien donné. Et depuis la démission de Jean-Marc Janaillac en mai, ils attendent la mise en place de la nouvelle gouvernance pour reprendre les négociations. Aujourd'hui, ils veulent se remettre autour de la table très vite, promettant le cas contraire d'appeler à de nouvelles grèves. Ils demandent toujours une hausse générale de 5,1% pour 2018 (hors avancement automatique lié à l'ancienneté ou GVT) pour combler le gel des grilles salariales depuis 2011 (hors GVT). Une hausse qui alourdirait les coûts structurels de la compagnie de 200 millions d'euros par an.

Dans ce bras de fer qui s'annonce, la direction peut éventuellement compter sur une accélération de l'inflation ces derniers mois pour justifier d'aller au-delà de la dernière proposition de la direction rejetée par référendum qui tablait sur une hausse des grilles salariales de 2% en 2018, suivie d'une augmentation de 5% au cours des trois prochaines années (hors augmentation liée à l'ancienneté et hors augmentations individuelles).

Nouveau DG à Air France ?

Problème, si la gouvernance d'Air France-KLM est en grande partie réglée, celle d'Air France ne l'est pas. Selon plusieurs sources, l'actuel directeur général de la compagnie tricolore est appelé à quitter ses fonctions. Mais l'horizon de temps n'est pas défini tant que son successeur n'est pas trouvé. Du coup, une question se pose. Ben Smith va-t-il faire une nouvelle fois patienter les syndicats en leur disant d'attendre le nouveau patron d'Air France ? Ou va-t-il commencer le travail de négociation ? Dans tous les cas, il faudrait aller vite pour solder cette affaire et passer au plan stratégique.

Pas si simple néanmoins. Ben Smith doit tenir compte du paysage syndical et intégrer la perspective des élections au SNPL, le Syndicat national des pilotes de ligne, début décembre, puis celles des élections professionnelles au printemps. Trouver un accord sur les salaires apporterait une victoire sur un plateau au président du SNPL, Philippe Evain et faciliterait la reconduction de l'équipe dirigeante actuelle à la tête du syndicat. Un scénario que tous les membres de la direction et du conseil d'administration qu'il a vu depuis 15 jours, ont dû lui conseiller d'éviter. Si l'exécutif actuel du SNPL est reconduit pour quatre ans, les chances de reconstruire la compagnie sont quasiment nulles, estiment de nombreux observateurs.

Un accord considéré comme trop favorable à l'intersyndicale porterait par ailleurs un coup très dur aux deux syndicats réformateurs, la CFDT et à la CFE-CGC, qui avait accepté la première proposition de hausse salariale de la direction (+1% hors augmentations individuelles de 1,5 % en moyenne).

"La direction doit se poser la question de savoir avec quels syndicats elle a envie de composer pour les prochaines années", indique un syndicaliste appartenant à l'un de ces deux organisations professionnelles.

Benjamin Smith peut-il réussir là où ses prédécesseurs ont échoué ? Impossible à dire évidemment. Déjà parce qu'on ne sait pas grand chose sur lui. Ensuite, parce qu'il existe de nombreux leviers fondamentaux pour l'avenir du groupe sur lesquels le nouveau patron d'Air France-KLM aura peu ou pas d'emprise, comme le résultat des Assises du transport aérien d'ici à la fin de l'année, censées prendre des mesures pour améliorer la compétitivité du pavillon français, ou le résultat des élections du SNPL qui dira si la branche dure de l'organisation syndicale, sera reconduite. Ces deux points seront déterminants pour la réforme d'Air France.

Un profil qui détonne

Difficile de se faire une opinion sur Ben Smith. Peu, pour ne pas dire personne dans le monde du transport aérien français, ne connaît le numéro deux d'Air Canada, une compagnie de la taille de KLM (10 milliards d'euros environ). Une chose est sûre, son profil détonne par rapport à ses prédécesseurs. Il n'est pas énarque comme tous ces prédécesseurs, il est jeune, anglophone, de culture anglo-saxonne avec toute la brutalité et le pragmatisme que cela implique, et connaît le transport aérien sur le bout des doigts pour avoir quasiment fait toute sa carrière dans ce secteur. Deux points importants ressortent de son CV. De retour à Air Canada en 2002 après l'avoir quittée en 1992, il a vécu la restructuration de la compagnie canadienne après son placement en redressement judiciaire en 2003 et a parfaitement conscience des efforts à faire pour rendre une entreprise compétitive. En outre, il est convaincu par la pertinence du modèle low-cost, puisqu'il a dirigé la compagnie à bas coûts Tango (disparue en 2004), puis a été à l'origine de la création, en 2014, d'Air Canada Rouge, la marque à bas coût de la compagnie canadienne, présente à la fois sur moyen et long-courrier.

Smith place la moitié de sa rémunération fixe dans l'action Air France-KLM

Si les atouts de Benjamin Smith semblent nombreux, restent à savoir s'ils sont suffisants pour monter d'un cran et être numéro un, non pas d'une compagnie mais d'un groupe binational composé deux compagnies qui se regardent en chien de faïence, et dont l'envergure et la problématique sont d'une autre dimension que celle d'Air Canada que certains n'hésitent pas à qualifier, de par son réseau très nord-américain, de grosse compagnie régionale. Ben Smith est néanmoins convaincu de son succès. Pour afficher sa confiance, il va investir en Bourse la moitié de sa rémunération fixe annuelle (450.000 euros) dans l'action Air France-KLM.

Pas de constat partagé

Pour réformer Air France et Air France-KLM, Ben Smith se heurtera au même obstacle que ses prédécesseurs. Aucune réforme ne pourra être négociée par la direction d'Air France et les syndicats tant qu'il n'y aura pas de constat partagé entre les deux parties sur la situation économique et financière de la compagnie française, sur sa compétitivité et son environnement concurrentiel. Ce point fondamental est à l'origine de l'immobilisme et des tensions sociales au sein de la compagnie française depuis quatre ans. Et il n'est pas près d'être résolu, comme en témoigne le conflit sur les salaires.

Pour la majorité des syndicats, de nouveaux efforts n'ont plus lieu d'être depuis le retour aux bénéfices d'Air France en 2015. Les mêmes estiment par ailleurs que les écarts de compétitivité avec les autres compagnies proviennent uniquement du poids des charges en France et des taxes spécifiques qui pèsent sur le transport aérien français. Air France économiserait 1 milliard d'euros si elle disposait de l'environnement social et fiscal hollandais de sa partenaire KLM, rappellent-ils.

Sans négliger le poids des charges sociales et des taxes sur le transport aérien - qu'elle dénonce également -, la direction insiste aussi sur le déficit de compétitivité intrinsèque d'Air France par rapport à ses rivaux Lufthansa et British Airways, qui nécessite de faire de nouveaux efforts. Selon les chiffres d'Air France, le déficit de compétitivité avec Lufthansa lié à l'environnement social et fiscal s'élève à 400-500 millions d'euros, soit « seulement » la moitié de l'écart entre les deux groupes (1 milliard d'euros).
Ce dialogue de sourds n'est pas près de prendre fin. D'autant plus à l'approche des élections professionnelles, pour lesquelles les syndicats sont en campagne.

Un coup de pouce de l'État ?

Dans ce débat, l'État a son rôle à jouer. Il est clair que s'il prenait des mesures dans le cadre des Assises du transport aérien qui sont en cours, pour réduire les coûts qui pèsent sur le transport aérien français, il pourrait inciter les syndicats à se mettre autour de la table afin de négocier les conditions de réforme d'Air France. Les salariés en ont en effet assez de contribuer à des économies qui ont été, parfois, absorbées par l'augmentation d'une taxe ou des redevances d'ADP.

Souvent citée pour avoir sauvé en son temps Air France entre 1994 et 1997, la perestroïka de Christian Blanc ne s'est-elle pas appuyée sur une aide d'État de 20 milliards de Francs (trois milliards d'euros) ? Pour l'heure, les signaux sont pourtant négatifs et aucune réforme systémique ne se profile.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 7
à écrit le 18/09/2018 à 11:45
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Pour qu'il réussisse il faudrait : qu'il réduise les coûts des pilotes et des cadres supérieurs, qu'il augmente les personnels au sol, qu'il refasse d'Air France une compagnie sûre, qu'il améliore les prestations et le confort à bord, qu'il impose au...

à écrit le 17/09/2018 à 20:17
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Un patron qui a des "balls" ça va nous changer de nos énarques polytechniciens

à écrit le 17/09/2018 à 19:51
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A mon modeste avis la Direction doit surtout se demander avec quels CLIENTS elle compte vivre sur les prochaines années .Les syndicats AF on s'en moque car ce ne sont pas les airlines qui manquent de par l'europe et le Monde .

le 18/09/2018 à 5:56
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Exact. AF, c'est foutu.

à écrit le 17/09/2018 à 19:08
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Les syndicats estiment que ce sont uniquement les taxes françaises qui différentient la compétitivité d'Air France de ses concurrents ?? Très bien: alors ils accepteront sans rechigner un alignement des grilles de rémunération sur celles d'Iberia (p...

le 18/09/2018 à 13:28
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Sur KLM cela suffirait

à écrit le 17/09/2018 à 17:49
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Article vraiment intéressant qui donne plusieurs clés de compréhension à la situation ubuesque d’Air France.

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