« Outil essentiel pour la transition énergétique », selon le gouvernement, « passage en force » et « propagande » pour les opposants : les ambitions françaises dans l'éolien en mer divisent dans l'Hexagone. La fuite d'une centaine de litres d'huile par le navire foreur du futur champ offshore de Saint-Brieuc (Bretagne), la semaine dernière, n'a pas arrangé les choses : près de 400 pêcheurs ont manifesté samedi à Caen et à Dunkerque contre l'implantation de nouveaux parcs.
Mais si les esprits s'échauffent, le gouvernement compte bien construire de nombreuses infrastructures et ainsi rattraper son retard en la matière - causé entre autres par des années de procédures devant les tribunaux, du fait de recours d'associations anti-éoliennes. Tandis que le Royaume-Uni compte déjà près de 2.300 éoliennes offshore raccordées, et l'Allemagne un peu plus de 1.500, aucune installation ne tourne encore dans l'Hexagone.
Pour y remédier, l'Etat multiplie les appels d'offres - dont celui sur le huitième parc éolien en mer qui doit voir le jour au large des côtes normandes dès 2028, d'une puissance maximale de 1.000 mégawatts (le plus gros mis sur le marché à ce jour en France). Et promet la création de dizaines de milliers d'emplois locaux, permettant d'alimenter en énergie décarbonée des millions de foyers - en parallèle d'une augmentation des besoins en électricité et d'une baisse de la production nucléaire. Dans ses scénarios sur le futur mix énergétique, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE mise ainsi sur la production de 62 gigawatts (GW) d'éolien offshore en 2050 dans son hypothèse la plus haute, et de 22 GW a minima à cette même échéance. Le Syndicat des énergies renouvelables, lui, planche sur un objectif de 50 GW en 2050, « ce qui nécessite d'occuper un peu moins de 3% de la zone maritime française », selon son président Jean-Louis Bal.
Plus de 4.800 emplois dans les territoires
Force est de constater que le train est aujourd'hui lancé : les énergies marines renouvelables ont généré « plus de 4.800 emplois en France » en 2020, année marquée par le lancement des chantiers des deuxième et troisième parcs, s'est félicitée la filière mardi, à l'occasion de son bilan annuel. Quelque 1,5 milliard d'euros ont été investis dans le secteur l'an dernier, trois fois plus qu'en 2019 - du fait de la construction et du raccordement de ces trois parcs. Et le chiffre d'affaires des prestataires et fournisseurs a bondi « de 173%, à 833 millions d'euros ». Surtout, et c'est une première, la majorité de leur activité est désormais liée au marché domestique (71%).
« L'année 2020 marque un changement d'échelle pour la filière française, qui connaît un décollage grâce à la construction du premier parc français à Saint-Nazaire, et au lancement des chantiers de ceux de Fécamp et Saint-Brieuc », a noté Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du Cluster maritime français, à l'origine de l'Observatoire des énergies de la mer.
Ressource halieutique
Pourtant, face à ce tableau prometteur, des voix continuent de s'élever dans les territoires concernés. « L'implantation des éoliennes va énormément modifier les écosystèmes et les fonds marins. On va se retrouver avec quasiment 20 à 30% de ressources en moins », alertait samedi à l'AFP l'un des organisateurs de la manifestation caennaise Philippe Calone.
Un enjeu de préservation de la vie marine pleinement pris en compte dans la construction de nouveaux parcs, assure le gouvernement. « On a besoin de bien mettre en synergie les enjeux énergétiques et de biodiversité, et on mène un travail pour essayer de limiter les impacts », a déclaré mardi Barbara Pompili. Quant au risque pour les oiseaux d'être heurtés par une pale, la ministre l'assure, il sera limité : « pour les prochains champs offshore en Méditerranée, un travail est mené sur les trajets migrateurs » afin de ne pas y construire d'éolienne, a-t-elle certifié. Et d'insister sur l'exigence d'une « exemplarité », après l'incident de Saint Brieuc. « On voit que c'est tout de suite récupéré par ceux qui veulent nuire à la bonne image des énergies renouvelables », a regretté Barbara Pompili.
Pour ce faire, le gouvernement travaille à une meilleure planification. Celle-ci est aujourd'hui menée dans le cadre du document stratégique de façade, qui définit les orientations de la politique maritime et littorale de l'Etat, et fera l'objet d'une consultation publique tout l'été. « Cela prend la forme d'une carte qui dit que dans telle zone il faut plutôt privilégier le transport, l'éolien ou la pêche » a précisé Xavier Ducept, directeur de cabinet de la ministre de la Mer, Annick Girardin.
« Pour prévoir où seront installés des champs d'éoliennes, [...] on doit encore améliorer deux choses : les études scientifiques d'impacts potentiels, et la pédagogie autour des ces études. Mieux intégrer les éoliennes dans leur espace par par la pédagogie, la territorialisation de la construction des champs, et la réouverture aux usages maritimes », a-t-il précisé.
Pédagogie et concertation
Encore faut-il convaincre les acteurs sur le terrain. A Saint-Nazaire, où devrait être mis en service en 2022 le premier parc éolien en mer français, porté par EDF, près de 800 rencontres, dont 300 réunions publiques et permanences, ont déjà été organisées, a expliqué Olivier de la Laurenie, porteur du projet. Grand public, associations, riverains : « Ces rencontres nous ont souvent amenés à faire des émargements, car un tel projet ne se décrète pas comme ça », a-t-il souligné.
De telle sorte que la population a « énormément adhéré », a assuré le maire de Saint-Nazaire, grâce à la mise en « proximité avec ceux qui rencontraient des nuisances ». Et ce, malgré le creusement d'une longue tranchée, de manière à raccorder les câbles au port et alimenter le réseau en électricité.
« Les maîtres-mots sont pédagogie et concertation. L'enjeu pour la construction d'une filière industrielle est d'embarquer les acteurs industriels, mais surtout l'économie vivant sur le territoire, notamment les pêcheurs, et l'ensemble de la population », a-t-il ajouté.
Au Havre, où une usine de Siemens Gamesa produira les éoliennes des parcs de Dieppe, Fécamp, Courseulles sur mer, Saint Brieuc et Yeu-Noirmoutier, la question de l'acceptabilité est aussi primordiale. Le but : « permettre aux concitoyens de visualiser la transition énergétique », a fait valoir Frédéric Petit, directeur chez Siemens Gamesa. « Une centrale à charbon à fermé à quelques centaines de mètres, c'est emblématique. »
Des impacts mal connus
Mais la partie reste loin d'être gagnée, alors que de nombreux opposants demandent un arrêt immédiat des travaux en cours. Car malgré les bonnes intentions, l'environnement en mer reste mal connu, et les impacts potentiels difficiles à estimer. « On a besoin d'organiser et d'exploiter les retours d'expérience des parcs construits en Europe, pour lesquels les maîtres d'ouvrage ont mené des études approfondies sur la faune et la flore [...] même s'ils ne font pas forcément applicables à la situation française », a insisté Jean-Louis Bal.
Pour ne pas naviguer à vue, RTE finance dix projets de R&D dans le domaine de la biodiversité marine, pour mesurer les impacts des installations et des ouvrages électriques en exploitation. « Les premiers résultats sont plutôt encourageants sur la coexistence avec la biodiversité marine. Dans certains endroits, cela peut même renforcer la ressource halieutique », a ainsi affirmé Régis Boigegrain, directeur des affaires maritimes de RTE.
Reste que l'organisation des travaux est un moment critique. Si à l'intérieur même des parcs, l'activité de pêche devra être maintenue pendant la période d'exploitation de l'éolienne, cette exigence ne sera probablement pas appliquée sur les chantiers, où les écosystèmes seront plus mis à mal.
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