L'une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), celle de créer un "score carbone" des produits de consommation, peut désormais s'appuyer sur un premier outil de mise en oeuvre.
L'application de notation des aliments Yuka, avec ses deux homologues ScanUp et Etiquettable, la base de données OpenFoodFacts, l'épicerie bio en ligne La Fourche, les FoodTech de livraison FoodChéri et Seazon, l'appli FrigoMagic ainsi que le cabinet de conseil ECO2 Initiative, lance jeudi 7 janvier un "écoscore" : un indicateur de la performance environnementale des aliments. François Martin, cofondateur de Yuka, explique à La Tribune les fondements de cet outil, qu'il faudra continuer de perfectionner.
La Tribune : Comment est née l'idée de l'écoscore que vous lancez aujourd'hui ?
François Martin : Elle est venue tout d'abord de nos utilisateurs. Depuis la naissance de Yuka en 2017, ils nous demandent de noter aussi l'impact environnemental des produits. La CCC, qui a fait d'un "score carbone" l'une de ses mesures phares, est venue renforcer cette exigence, afin de permettre aux consommateurs des choix plus conscients. Pour l'instant, le périmètre de notre écoscore est limité aux aliments, mais il n'est pas si négligeable si l'on considère que le système alimentaire est responsable de 30% des gaz à effet de serre de la planète.
Comment avez-vous procédé ?
Nous travaillons à l'élaboration de cet écoscore depuis un an et demi, avec d'autres entreprises et organisations, notamment du secteur numérique, qui avaient la même ambition. Pour mutualiser nos ressources, mais aussi parvenir à un outil unique, nous avons formé un collectif dont la mission était justement de créer un indicateur prenant en compte les impacts environnementaux liés à notre consommation alimentaire. Ce travail s'est inscrit dans une initiative du gouvernement, qui en janvier 2020 a proposé à divers acteurs de créer et tester des indicateurs environnementaux des aliments à partir d'une base de données élaborée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Agribalyse. Les résultats seront ensuite comparés, pour qu'éventuellement l'État en choisisse un qu'il imposera à tous.
La CCC avait plutôt recommandé de confier l'élaboration d'un tel indicateur à un organisme public, et de prendre tout le temps nécessaire, éventuellement jusqu'en 2024...
Oui, mais nous n'en sommes là qu'à une première étape, bien avant la version définitive qui sera choisie par l'Ademe. Et elle représente quand même la naissance d'un premier score environnemental permettant d'agir ! Si tout le travail n'était remis qu'à l'État, les choses iraient beaucoup trop lentement. Mais en 2024, on aura probablement renforcé davantage la méthodologie.
Qu'est ce qui caractérise votre écoscore ? Quelles sont ses spécificités en termes de méthodologie ?
Comme les autres indicateurs environnementaux élaborés dans le cadre de l'initiative du gouvernement, nous utilisons les données de la base Agribalyse, qui analyse l'ensemble du cycle de vie des produits à l'aune de 14 impacts sur l'environnement, comprenant non seulement l'empreinte carbone, mais aussi la consommation d'eau, l'émission de particules fines, etc. À la différence d'autres indicateurs, toutefois, nous avons tout d'abord fait le choix de rendre notre méthodologie transparente, en permettant de voir comment les points sont attribués. Nous avons en outre intégré à la notation d'autres critères non pris en compte par Agribalyse, comme l'impact sur la biodiversité, l'impact des emballages, l'origine locale des produits, l'existence de labels de qualités... Ils pondèrent le score de base en y appliquant des bonus ou des malus, afin de prendre en compte d'autres externalités positives ou négatives. Ils ont été déterminés avec l'aide de l'Ademe, d'ONG et d'organisations expertes. Notre large base de données sur les produits nous a en outre permis de faire des simulations très rapidement. La note est ensuite présentée sur cinq niveaux (A, B, C, D, E), avec l'appui d'un code couleur allant du vert au rouge, comme pour le Nutriscore.
Des voix nombreuses et diverses (plusieurs ONG, la filière du bio, même l'interprofession de la viande) se sont levées récemment pour dénoncer que l'écoscore voulu par le gouvernement favoriserait finalement l'élevage industriel. Comment réagissez-vous ?
Je comprends cette polémique car effectivement, si la méthode de l'analyse du cycle de vie (ACV) exploitée par Agribalyse est utilisée seule, on risque des contresens. Mais l'Ademe met elle-même en garde contre ce danger. Et bien que l'ACV ne soit pas suffisante, elle est le seul outil véritablement scientifique dont on dispose aujourd'hui pour évaluer l'impact environnemental des produits, donc elle reste incontournable. Quant aux autres impacts qu'elle ne prend pas en compte, comme celui sur la biodiversité, c'est justement parce qu'il n'y a pas encore d'outil de mesure précis. Cela n'empêche toutefois pas de l'intégrer, car des ordres de grandeurs suffisants pour agir existent quand même : on sait par exemple que le bio a un impact positif sur la biodiversité.
Comment l'écoscore sera-t-il intégré dans Yuka, qui jusqu'à présent ne notait que la valeur nutritionnelle ?
Après avoir consulté nos consommateurs, nous avons fait le choix de séparer les deux notes. Il y aura donc un deuxième onglet pour la notation environnementale.
Comptez-vous intégrer aussi d'autres formes de notation, concernant par exemple le respect du bien-être animal ou la responsabilité sociale, voire introduire une note unique susceptible d'être paramétrée par les consommateurs en fonction de leurs valeurs ?
Nous envisageons d'élaborer d'autres notations mais sur le long terme, car l'élaboration d'un écoscore est déjà un pas très ambitieux. Il devra en effet être peaufiné dans le cadre d'un processus itératif : nous ne sommes qu'à la première version de cette première note environnementale ! Nous voudrions en plus l'étendre aux cosmétiques, ainsi qu'à la dizaine d'autres pays où nous sommes présents. Nous ne souhaitons en revanche pas personnaliser nos notations, car nous préférons mettre l'accent sur les véritables impacts des produits sur la santé et l'environnement, plutôt que sur leur réponse aux attentes des consommateurs.
De nombreuses critiques se lèvent contre les applications de notation alimentaire comme la vôtre, accusées de ne pas être suffisamment scientifiques. Que répondez-vous ?
Ces critiques pointent surtout du doigt le fait que nous prenons en compte dans notre notation la présence d'additifs pourtant autorisés par la réglementation. Mais notre mission est d'appliquer le principe de précaution, en alertant sur l'existence d'études qui invitent, au moins, à limiter la consommation de certaines substances.
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