Que pourra faire la BCE contre la déflation ?

Le spectre de la spirale déflationniste menace désormais la zone euro, particulièrement dans les pays périphériques. La BCE veut agir, mais pourra-t-elle et saura-t-elle le faire ?
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L'annonce de la plus forte baisse des prix en Grèce en rythme mensuel en février dernier a, à nouveau, alimenté, la crainte de la déflation en zone euro. Un scénario qui est de moins en moins improbable. Selon Eurostat, en février, les prix, hors énergie, alcool et tabac ont reculé dans quatre pays de la zone euro (Italie, Portugal, Espagne et Grèce) et ont augmenté de moins de 1 % dans dix autres. Le risque d'une contraction générale des prix n'est donc plus à exclure.

Or, une telle contraction présenterait un danger grave pour l'économie européenne. Contrainte de faire face à une baisse de leurs revenus, les entreprises devraient presser les coûts radicalement, en licenciant et en renonçant à tout investissement. Dès lors, plus rien n'arrêterait la chute de la demande intérieure. La zone euro entrerait dans une spirale déflationniste, un des pires dangers économiques qui puisse exister.

Inévitable déflation

« Plusieurs facteurs suggèrent que la déflation est quasi inévitable dans les pays périphériques », explique Jacques Cailloux, chef économiste chez Nomura à Londres. Le premier facteur est « keynésien. » Les politiques de rigueur ont conduit à un recul de la demande qui, naturellement, a conduit à un ajustement négatif des prix. « La politique européenne, ou de la troïka, vise à libéraliser les marchés du travail et dans certains cas à réduire même les salaires dans le but d'essayer de regagner de la compétitivité : les effets de ces politiques sont très déflationnistes », résume Jacques Cailloux.

Autrement dit, la déflation est la conséquence logique de la politique de dévaluation interne. En réduisant les coûts, on abaisse les prix. En théorie, l'opération pourrait être neutre, la baisse des prix venant compenser les pertes de revenus. En réalité, c'est la porte ouverte à la spirale déflationniste, car l'ajustement ne se fait jamais aussi parfaitement.

Aspects monétaires

Mais il existe également un facteur « monétariste », du reste non exclusif du premier. « Si on considère que la déflation, comme l'inflation, est un phénomène monétaire, il dépend donc de l'évolution de la masse monétaire, autrement dit des moyens de paiement attribués au secteur privé non financier », résume Gilles Moec, chef économiste à la Deutsche Bank. Ces moyens de paiement sont en grande partie fournis par le crédit. « Or, ce qui distingue aujourd'hui les pays périphériques, c'est l'atonie du crédit et c'est ce qui est créateur d'un risque de déflation », ajoute Gilles Moec qui conclut : « c'est pourquoi la question de la distribution de crédit est centrale. »

Le « c?ur » de la zone euro n'est pas à l'abri

Le risque est donc immense dans les pays « périphériques », mais n'y a-t-il pas un risque que cette déflation atteigne bientôt les pays du « c?ur » de la zone euro ? Pour Jacques Cailloux, « il est tout à fait possible d'envisager un scénario où la grande majorité des pays de la zone euro ferait face à une situation déflationniste. » « Le ralentissement économiques de pays comme les Pays-Bas et la France au cours des six derniers mois sont inquiétants car il s'accompagne d'une augmentation très rapide du chômage qui débouchera sur une stabilité des salaires nominaux, voire dans certains secteurs à une décroissance en cas de persistance plus longue que prévu de la récession », ajoute-t-il. Bref, le risque déflationniste pourrait bien être général. Même l'Allemagne n'est pas à l'abri. « L'argument qui affirme que l'Allemagne est plus menacée par l'inflation néglige le fait que le pouvoir de négociation salariale a énormément diminué au cours des 15 dernières années », rappelle Jacques Cailloux.

Que faire ?

Que faire face à ce spectre qui, inévitablement, rappelle les années 1930 ? Une solution serait une « pause » dans les politiques récessionistes, mais on sait que l'Allemagne n'en veut pas. Son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, ne cesse de répéter à qui veut l'entendre, qu'il n'y a « pas de contradiction entre austérité et croissance. » L'option politique écartée, il ne reste que l'option monétaire. La BCE doit agir afin de favoriser la transmission de sa politique monétaire aux pays périphériques et favoriser une augmentation de la masse monétaire dans cette région. Pas si simple.

L'arme des taux inefficace

L'arme des taux semble en effet émoussée. « Quand on est dans une situation où les banques ne veulent pas prêter, baisser les taux ne sert à rien », juge Gilles Moec qui complète : « la baisse des taux aura un effet en Allemagne, où les taux sont déjà trop bas comme le prouve l'envolée des prix de l'immobilier, mais n'aura aucun impact en Italie ou en Espagne. » Que faire alors ? Gilles Moec évoque deux moyens.

Le premier a déjà été mis en place en décembre 2011 par la BCE, c'est l'élargissement des collatéraux. Les banques peuvent venir se refinancer auprès de la BCE en déposant comme garantie des prêts aux PME locales. Cette possibilité a été laissée ouverte aux banques centrales nationales, mais n'a pas eu de vrai succès. « Dans ce système, le risque de crédit reste attaché aux banques. Or, les établissements des pays périphériques n'ont pas envie de prendre un risque crédit supplémentaire », explique Gilles Moec. Ils préfèrent donc restreindre l'offre de crédits.

La solution à venir : le rachat de créances privées ?

L'alternative serait donc le rachat direct de créances d'entreprises des pays périphériques. En théorie, précise Gilles Moec, cette solution « est beaucoup plus dans l'esprit du traité de Maastricht que le rachat des dettes souveraines. » « Il est plus facile de « vendre » ce système au contribuable allemand en lui expliquant que, cette fois, son argent va aller directement à l'économie réelle et va aider à créer des emplois plutôt qu'à renflouer les déficits des Etats », estime l'économiste.

La réticence allemande

Reste que la mise en ?uvre sera difficile. Certes, Mario Draghi a laissé entendre qu'une action pouvait être menée dans ce sens lors de sa dernière conférence de presse, mais le conseil des gouverneurs de la BCE reste divisé sur le sujet. « L'Allemagne risque d'hésiter à entrer dans une telle logique parce qu'elle y verrait le premier pas vers une « union des transferts et que cela renforcerait le sentiment que « l'Allemagne paie toujours » », analyse Gilles Moec.

La BCE veut des garanties

D'autant que Mario Draghi a prévenu que la BCE ne se lancerait pas dans une telle aventure sans l'appui des politiques. Autrement dit, elle pourrait réclamer la garantie du MES ou de la BEI sur ces opérations. Là encore, les dents risquent de grincer à Berlin, mais aussi au siège de la BEI, dont on a pu constater à plusieurs reprises la frilosité dans cette crise. Mais la BCE ne veut pas prendre le risque de dégrader son bilan de façon démesurée. Quant aux expériences étrangères, notamment britanniques, où la Banque d'Angleterre, via le programme FLS (Funding for Lending Scheme), bonifie les taux à l'économie réelle, Mario Draghi a jugé que « ce ne pouvait être des modèles » pour la BCE.

Sans lutte contre la récession, pas de lutte contre la déflation

L'institution recule également devant un pas symbolique. Encore une fois, comme l'an passé avec l'OMT, elle va tenter de combler les insuffisances des gouvernements et de la gestion par le conseil européen. Or, Mario Draghi l'a martelé à plusieurs reprises : « la BCE ne peut pas tout. » Le n?ud du problème, c'est la politique récessionniste. C'est elle qui pousse à la déflation et incite les banques des pays périphériques - et bientôt peut-être d'autres pays - à ne prendre aucun risque dans leurs attributions de crédits. Que revienne l'espoir et la confiance dans ces pays, et la spirale déflationniste pourra être évitée. D'autant que si la demande de crédit est déprimée, c'est aussi parce que la récession réduit l'appétit de crédits.

Comme le souligne Jacques Cailloux, « seule une remise en cause du « consensus de Berlin » [comme on disait « consensus de Washington » dans les années 1990 sur les mesures appliquées par le FMI aux pays d'Amérique latine, ndlr], y compris en matière budgétaire, permettrait de réduire significativement le risque de déflation, une solution venant uniquement de la BCE sera probablement insuffisante. » Le problème, c'est donc bien que Wolfgang Schäuble ne voit pas de problèmes en Europe.

 

 

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Commentaires 20
à écrit le 12/04/2013 à 12:41
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quand les gens deviennent pauvres ils consomment pauvre entrainant encore de plus dettes , plus de problèmes sociaux et donc finalement le retour a l'équilibre est impossible , le japon est un cas particulier , sa déflation est née de l'immobililer v...

à écrit le 12/04/2013 à 12:32
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la seule solution à tous ces maux passeront dans les années qui viennent à la fin du tout pétrole et l'application de normes obligatoires et trop contraignantes pour nos pays concurrents, par exemple l'obligation de remplacer le plastique dans tous l...

à écrit le 12/04/2013 à 10:19
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Le problème de la Grèce, c'est le taux élevé d'importation dont le prix ne peut pas baisser, donc les prix ne baisseront pas, mais les gens dépenseront moins. Le PIB va donc diminuer, mais comme son augmentation passée était faite a credit, en réalit...

à écrit le 12/04/2013 à 8:35
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Il y a de moins en moins de monde dans les restaurants les magasins. hier j'entre dans un magasin de chaussures rue de Rennes à Paris je fais un tour sans plus et sans le demander la vendeuse me dit qu'elle peut me faire 20% de moins. Mon pouvoir d'a...

le 12/04/2013 à 10:51
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La chute de la consommation est dramatique !!!!!!!!!!! (la perte totale de confiance dans les politiques ne fait qu'accentuer la chose !)

à écrit le 11/04/2013 à 22:14
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On bloque les salaires (fonctionnaires, retraites, etc), donc le pouvoir d'achat baisse, donc la déflation menace. C'est logique. Montez les salaires et l'inflation reviendra.

le 12/04/2013 à 10:21
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Logique de fonctionnaire ou de retraité egoïste, heureusement qu'ils ne sont pas tous comme çà et beaucoup comprennent que cette logique affamme leurs enfants.

à écrit le 11/04/2013 à 19:32
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pmxr vous êtes dur, le japon a connu une déflation je crois de 1997 à 2005 ! Le probléme l'immobilier est "surévalué" les loyer trop élevés, je sais controler l'inflation n'est pas chose aisée, je croise les doigts pour que nous n'ayons pas une crise...

le 23/12/2015 à 20:02
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Ce revirement de situation me rend heureux et montre à quel point notre gouvernement dirige très mal ce pays. Petit soulagement pour les Français si madame Taubira d3missione car dans son rôle de garde des sçeau on ne peut pas dire quelle est fait g...

à écrit le 11/04/2013 à 18:21
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Tout de même .... Jérôme CAHUZAC était visionnaire il ne plaçait pas son fric en zone euro !!!!!!!!!!!

le 12/04/2013 à 10:25
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erreur, apres avoir flambé, le franc suisse a tout reperdu pour reprendre son taux habituel face a l'euro, les Suisses y sont d'ailleurs attachés car comme partenaire de l'europe les variations de changes nuisent à l'economie Suisse. Si cahuzac avait...

le 12/04/2013 à 10:54
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il aurait fait une jolie plus valu... de taxes ????

à écrit le 11/04/2013 à 17:58
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Il faudra bien adapter les salaires des Français à la moyenne chinoise si la France ne veut pas disparaître car le smic net à 1173 euros et le salaire moyen à 200 euros en Chine je me demande comment la France va faire, donc la déflation est normale...

le 12/04/2013 à 8:49
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Comment dire n'importe quoi... Reduisez donc votre salaire à celui de votre équivalent chinois. Une fois que vous l'aurez fait, on verra pour moi. Et quand toute l'Europe aura mis ses salaires au niveau des chinois, impossible de rembourser nos det...

le 12/04/2013 à 11:27
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La vérité, c'est que même en baissant le smic français à la hauteur de son équivalent chinois supposé, produire en France coûtera forcément toujours plus cher qu'en Chine. C'est une question d'infrastructure : les coûts de productions incompressibles...

le 12/04/2013 à 12:44
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avec cette logique de baisse des salaires car c'est mieux là bas , on a pas fini de s'endetter encore plus , déjà on commence avec les nouveaux retraités actuels de voir arriver les chômeurs des années 70 , cela commence a peine et la facture va gonf...

à écrit le 11/04/2013 à 17:53
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Cela ressemble à la chute de l'empire romain : la prospérité et le "toujours plus d'impôts" a tué la poule aux oeufs d'or. C'est la loi du "toujours plus" qui abouti inéluctablement à la faillite.

à écrit le 11/04/2013 à 16:32
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Rien du tout car c'est voulu pour éclater les états et construire la grande europe......

à écrit le 11/04/2013 à 16:32
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La baisse des prix est quand même une bonne nouvelle pour le pouvoir d'achat !

le 11/04/2013 à 18:02
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exact , c' est même ainsi que le fonctionnaire voit son pouvoir d' achat croître ( effet bien connu dans les années 30 ! )

le 11/04/2013 à 18:05
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J'en doute !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! (plus de travail donc pouvoir d'achat en berne )

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