
Il n'en sort pas de terre tous les quatre matins. La dernière fois qu'une ligne à très haute tension (THT) a été construite ex nihilo dans l'Hexagone, c'était au début des années 2010, entre le Cotentin et le Maine. Il s'agissait alors de raccorder la centrale de Flamanville dans la Manche à l'Ouest de la France, chroniquement déficitaire en kilowatts. Une décennie plus tard, RTE entame la longue marche qui doit conduire à la mise sous tension d'une nouvelle liaison aérienne de 400.000 volts entre la Normandie et les Hauts-de-France. En débat public depuis presque un an, ce projet chiffré à 390 millions d'euros vient de franchir une étape clé avec le choix par les préfets de la Somme et de la Seine-Maritime du « fuseau de moindre impact » parmi les cinq tracés qui étaient envisagés.
Longue de 80 kilomètres, la ligne reliera la commune de Petit-Caux, vouée à accueillir à Penly la première paire d'EPR de nouvelle génération, à l'agglomération d'Amiens. Sa vocation : pallier la saturation imminente de la liaison THT existante sur le même parcours. Il est en effet établi que cette « vieille » autoroute électrique ne pourra pas supporter l'augmentation du trafic attendue en 2035 avec la mise en service programmée de nouveaux moyens de production décarbonée. La France pourrait dès lors se trouver contrainte d'acheter de l'électricité d'origine fossile hors de ses frontières, en contradiction avec ses engagements de neutralité carbone, comme se plaît à le rappeler RTE. « Une incapacité des lignes THT à évacuer la production peut déclencher une hausse de la production de centrales à charbon importée en France », prévient-on au siège de l'entreprise publique.
Un déséquilibre Est-Ouest appelé à s'accentuer
Le choix de l'implantation du nouveau linéaire de pylônes ne doit rien au hasard mais tout aux mouvements d'import-export des électrons à l'intérieur du territoire. Avec cinq parcs éoliens marins en construction ou attribués pour une puissance globale de 4GW et possiblement d'autres, la Normandie déjà excédentaire est, de fait, appelée à devenir l'une des principales « armoires électriques » de l'Hexagone. Et ce, sans même parler de la construction probable de deux EPR. A contrario, sa voisine des Hauts-de-France devrait creuser son déficit malgré la construction du parc éolien offshore de Dunkerque.
En cause, la création de la fameuse « vallée de la batterie » et ses méga-usines, mais aussi la bascule de nombre d'établissements industriels vers l'ère du post-fossiles. L'exemple le plus marquant étant celui du remplacement des trois hauts fourneaux à charbon de l'aciérie d'Arcelor Mittal par deux fours électriques.
Signe qui ne trompe pas, en 2021 et 2022, les demandes de raccordements au réseau de « grand trafic » dans le Dunkerquois représentaient plus de deux fois la puissance totale consommée actuellement sur cette zone. « On voit déjà que l'installation de nouveaux postes de transformation autour de Dunkerque a favorisé les décisions d'implantation de certains industriels », illustre la délégation lilloise de RTE auprès de La Tribune. Le département du Nord n'est pas le seul à solliciter le réseau.
Dans la vallée de la Bresle à cheval sur la Somme et la Seine-Maritime, les verriers du premier pôle de flaconnage mondial sont engagés aussi dans une course à la décarbonation. Ainsi la verrerie Pochet du Courval s'apprête-t-elle à substituer l'un de ses énormes fours à gaz par son équivalent électrique. Traversée par la future liaison à très haute tension, cette zone sera desservie demain par deux lignes au lieu d'une, grâce à la reconstruction du poste de distribution de Beauchamps, incluse dans le projet. Peut-être de quoi séduire de nouveaux électro-intensifs. Ces derniers devront encore néanmoins faire preuve d'un peu de patience. Le lancement des travaux de la ligne n'est envisagé qu'en 2029, une fois franchies toutes les étapes administratives, pour une mise sous tension en 2032 ou 2033.
Parmi les (nombreux) sujets clivants apparus pendant le débat public, la question de l'enfouissement de la ligne s'est taillée la part du lion. Prenant exemple sur le projet de liaison enterrée entre l'Aquitaine et l'Espagne, de nombreux élus et riverains ont plaidé pour une option similaire. Sans succès. « L'enfouissement d'une ligne à 400 000 volts de 6000 MW n'a jamais été réalisé dans le monde, le risque technologique serait trop important », leur a rétorqué le maître d'ouvrage. RTE invoque aussi « l'impact environnemental considérable » d'une telle solution. Celle-ci nécessiterait en effet le creusement d'une tranchée de 35 mètres de large, bordée d'une voie de desserte de 15 mètres, tout le long du parcours. Autre écueil, le coût de l'enfouissement. La filiale d'EDF estime qu'il lui faudrait débourser 4 à 5 fois plus que pour un axe aérien. Un argument de poids au moment où les factures flambent.Liaison aérienne ou souterraine ? Le nœud de la discorde
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