À la veille du second tour des élections législatives, la majorité présidentielle et la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) continuent d'aller à la chasse aux bulletins de vote. Après un premier tour au coude à coude, les deux formations politiques ont livré une âpre bataille durant la semaine de l'entre-deux tours laissant apparaître deux programmes économiques diamétralement opposés. "Deux politiques se présentent. La première est celle de la continuité avec la retraite à 65 ans, le travail forcé pour les personnes aux RSA, la réduction du déficit à 3%, soit 80 milliards d'euros d'économies. La première vision est de s'entêter dans une politique néolibérale. Cela à mener à des désastres. L'Etat s'effondre à travers ses services publics comme les hôpitaux, l'école. Nous avançons en direction d'une très forte secousse", a prévenu Jean-Luc Mélenchon lors de la présentation du programme économique de la Nupes, la semaine dernière.
Face à lui, en campagne dans le Calvados, la Première ministre Elisabeth Borne a résumé à sa façon le programme de la Nupes : "Des projets de taxation, des projets qui remettent en cause le soutien à l'Ukraine dans le contexte que l'on connaît, des projets qui trouvent des excuses à la Russie, qui veulent sortir de l'Europe, des projets aussi d'une écologie contrainte". Revue de détails sur les principaux clivages avant le scrutin déterminant de dimanche.
1-Les retraites
Le sujet des retraites a enflammé les débats en fin de campagne présidentielle. Après avoir abandonné son projet de réforme des retraites mettant en place un régime universel à points au moment de la pandémie, le président Macron est revenu à la charge en proposant un recul du départ à la retraite en passant de 62 ans à 65 ans, avant de proposer 64 ans à quelques jours du premier tour du scrutin.
Dans son programme, Emmanuel Macron indiquait qu'il prévoyait de prendre en compte les carrières longues et pénibles. Il a également annoncé qu'il allait s'attaquer aux derniers "régimes spéciaux" (EDF, RATP) pour les nouveaux entrants en appliquant la fameuse "clause du grand-père" qui écarte tous ceux en poste actuellement. Enfin, le chef de l'Etat n'a pas caché son objectif de faire passer sa réforme pour financer les promesses de baisses d'impôt et le modèle social.
De son côté, le programme économique de la Nupes va à l'exact opposé du projet présidentiel. Les économistes proches de l'union des gauches proposent de revenir "à la retraite à 60 ans à taux plein pour toutes et tous après quarante annuités de cotisation avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles".
Afin de financer ce retour à 60 ans, l'alliance de gauche suggère de prélever des cotisations patronales sur les dividendes, la participation, l'épargne salariale, les rachats d'action, ou les heures supplémentaires. Ils veulent également mettre en place une hausse de 0,25 point par an sur le taux de cotisation vieillesse et une surcotisation sur les hauts salaires. La Nupes entend enfin rétablir les facteurs de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron.
2-Le pouvoir d'achat
La guerre en Ukraine et l'inflation galopante ont ravivé les débats sur le pouvoir d'achat, devenu le premier sujet de préoccupation des Français. Il faut dire que le coup de frein brutal de l'économie française depuis le début de l'année risque de faire reculer le pouvoir d'achat des Français cette année. Ce qui serait une première depuis 2013 selon l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques).
Dans ce contexte, le chef de l'Etat veut gonfler le revenu des salariés en donnant la possibilité aux entreprises de tripler "la prime Macron" sans cotisation, ni fiscalité. Il veut également favoriser les dispositifs d'intéressement et de participation au sein des entreprises. Cette hausse du pouvoir d'achat devrait également passer par la suppression de la redevance audiovisuelle.
L'exécutif a également annoncé qu'il préparait un paquet "pouvoir d'achat" qui devrait être présenté au début du mois de juillet. Il pourrait comporter le dégel du point d'indice des fonctionnaires, le prolongement du bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l'électricité, l'indexation des retraites sur l'inflation et la revalorisation des minimas sociaux.
De son côté, la principale mesure de la Nupes pour le pouvoir d'achat concerne le SMIC à 1.500 euros. Sur ce point, le programme de la Nupes va plus loin que le programme à la présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Le leader de la France insoumise suggérait un SMIC à 1.400 euros. "On entend dire que la hausse du SMIC pénaliserait l'emploi. La réalité montre surtout le contraire. Le SMIC a augmenté en France de 14% entre 1997 et 2002 alors que l'indice des prix à la consommation augmentait entre 1,2% et 1,9%", a expliqué l'économiste de l'université de Bordeaux Eric Berr et proche de la Nupes lors d'un point presse la semaine dernière.
Les experts de la Nupes veulent également limiter les écarts de salaire de 1 à 20 à l'intérieur des entreprises. Enfin, ils suggèrent de mettre en place un blocage des prix sur certains produits comme un panier de cinq fruits et légumes ou d'autres biens de consommation comme des pâtes ou de l'habillement.
3- La fiscalité
La fiscalité représente une ligne de fracture importante entre les deux formations politiques. Dans son programme, Emmanuel Macron a promis 15 milliards d'euros de baisse d'impôts au total, répartie équitablement entre les entreprises et les ménages. Concernant les Français, cette baisse doit notamment passer par la suppression de la redevance audiovisuelle (138 euros par an), la baisse de prélèvement sur les indépendants. Pour les entreprises, le chef de l'Etat entend prolonger sa politique de l'offre en poursuivant la baisse des impôts de production entamée depuis la mise en oeuvre du plan de relance à partir de 2020.
A l'aile gauche, les économistes de la Nupes proposent de refonder "l'impôt sur les sociétés pour établir l'égalité devant l'impôt entre PME et grands groupes, instaurer un barème progressif en fonction des bénéfices réalisés et selon leur usage et favoriser l'investissement plutôt que la distribution de dividendes". Avec cette proposition, l'alliance de gauche va à l'encontre des politiques fiscales menées depuis plusieurs années en faveur des revenus du capital en France.
Pour rappel, le taux d'impôt sur les sociétés est passé de 50% dans les années 1980 sous François Mitterrand à 33% entre 1993 et 2017, pour finalement s'établir à 25% en 2022. La Nupes propose également de "taxer les entreprises ayant profité de la crise sanitaire pour financer les investissements nécessaires à la reprise et à la bifurcation écologique".
Concernant les ménages, Jean-Luc Mélenchon avait proposé pendant la campagne présidentielle une refonte du barème de l'impôt sur le revenu pour passer de cinq à 14 tranches. Il a également affirmé qu'il voulait remettre en place l'impôt sur la fortune (ISF) et le renforcer en prenant en compte l'empreinte carbone des plus grandes fortunes comme l'avait suggéré plusieurs ONG comme Greenpeace ou Oxfam.
4-La transition écologique
L'urgence climatique va obliger les pouvoirs publics à agir rapidement. Les derniers épisodes de chaleur précoces en France rappellent que le gouvernement devra appuyer sur l'accélérateur sur la transition écologique. Pour l'alliance présidentielle, cette transition doit passer par "la construction de 6 premières centrales nucléaires nouvelle génération, la multiplication par 10 de notre puissance solaire et l'implantation de 50 parcs éoliens en mer d'ici 2050, et bâtir une filière française de production des énergies renouvelables".
Il fait également le pari de décarboner l'économie en mettant le paquet sur l'hydrogène, les véhicules électriques et hybrides ou encore l'avion bas carbone. Une partie de cette transition devrait passer par le plan France 2030 de 30 milliards d'euros présenté par le chef de l'Etat à l'automne dernier.
En face, les candidats de la Nupes aux législatives proposent "un plan massif de 200 milliards d'euros sur cinq ans pour investir, développer l'emploi et la formation, et rétablir des pôles publics dans l'énergie, les transports et la santé, gérés démocratiquement, afin de réindustrialiser le pays par des plans de filières au service de la bifurcation écologique".
Ils veulent également mettre fin aux "cadeaux fiscaux" accordés aux grandes entreprises sans contreparties. A la grande différence d'Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon indique qu'il veut sortir du nucléaire et convertir la France aux énergies renouvelables à 100% par le biais d'une planification. Il promet également de refaire l'isolation de 700.000 logements par an, soit le même ordre de grandeur du programme de la Macronie.
5-L'Europe
Sur le front européen, la majorité présidentielle et la Nupes affichent des visions antagonistes. Dans le programme d'Emmanuel Macron, peu de dispositions précises concernent l'Europe même si le chef de l'Etat veut se montrer en fervent partisan de l'Union européenne. Il évoque "une Europe souveraine capable de peser sur le cours du monde". Son programme réclame "l'autonomie énergétique, technologique et stratégique" de l'Europe. Le président s'est récemment montré favorable à une révision des règles budgétaires (3% de déficit et 60% de dette) inscrites dans le traité de Maastricht.
Du côté de Nupes, les positions sur l'Europe font l'objet de fortes divisions d'ailleurs mentionnées dans le programme. Les auteurs indiquent qu'il faudra "être prêts à ne pas respecter certaines règles". Dans un communiqué, la Nupes évoque notamment "les règles économiques, sociales et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence". Après avoir évoqué une possible sortie des traités, Jean-Luc Mélenchon a finalement changé de stratégie en fin d'année 2021. "Le gouvernement que nous formerons pour cette législature ne pourra avoir pour politique la sortie de l'Union, ni sa désagrégation, ni la fin de la monnaie unique" indique désormais la Nupes.
6-L'emploi et le chômage
Le chômage risque également d'être un enjeu majeur dans les mois à venir si l'économie française continue de marquer le pas. Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a promis qu'il voulait revenir au "plein emploi" en France, soit un niveau inférieur à 5% selon l'organisation internationale du travail. Cet objectif pourrait s'avérer bien compliqué. "On anticipe un arrêt brutal de la baisse du taux de chômage au regard de l'évolution de la croissance. Il y aurait un fort ralentissement des créations d'emplois. On ne s'attend pas non plus à une hausse du taux de chômage. La hausse de la population active reste assez faible. Ce qui permet de maintenir un taux de chômage à 7,3%", a déclaré l'économiste de l'OFCE, Mathieu Plane, lors d'un récent point presse.
Du côté de la Nupes, le programme se focalise sur la création d'un million d'emplois "grâce à l'investissement dans la bifurcation écologique et sociale". En revanche, il ne fixe pas d'objectif en matière de chômage. Jean-Luc Mélenchon suggère également de convoquer une grande conférence sociale en début de mandat sur la réduction du temps de travail et la prise en compte de la pénibilité dans les métiers.
7- Les jeunes
Les jeunes seront une des clés du scrutin dimanche prochain au second tour. Après avoir déserté les bureaux de vote, ils pourraient faire basculer l'Assemblée nationale en faveur de la Nupes. Sur le terrain et les réseaux sociaux, les candidats de l'alliance de gauche ne cessent de multiplier les appels à l'égard des jeunes inscrits sur les listes électorales. Dans le programme la Nupes, Mélenchon suggère de mettre en place "une allocation d'autonomie pour les jeunes fixée au-dessus du seuil de pauvreté (1.063 euros pour une personne seule)". L'ancien député des Bouches-du-Rhône propose également une hausse de l'indemnisation des stagiaires.
La majorité présidentielle propose de poursuivre le dispositif du contrat d'engagement jeune. D'une durée de six mois à un an (prolongeable exceptionnellement jusqu'à 18 mois), le CEJ a pris le relais de la Garantie jeunes, créée pendant le quinquennat Hollande. Mais là où la Garantie jeunes proposait un accompagnement intensif surtout les quatre à six premières semaines du parcours, le CEJ doit tenir cette intensité de bout en bout, avec 15 à 20 heures d'activité par semaine. Ce dispositif vise essentiellement les fameux NEETS (Not in Education, Employment or Training) sans emploi, ni formation. Ils seraient environ 1,5 million en France selon de récents chiffres de l'Insee.