Les grandes entreprises se "dopent" aux start-ups

Au travers d'incubateurs ou d'accélérateurs, les grands groupes comme la SNCF, Airbus ou La Poste multiplient les collaborations avec les start-up. Un impératif pour ne pas perdre pied côté innovation.
Tom Enders, le PDG d'Airbus Group, et de jeunes startuppers réunis le 20 mars dernier dans les locaux de l'incubateur parisien Numa. / DR

Niché en plein quartier du Sentier, au 39, rue du Caire, à Paris IIe, le Numa apparaît comme un petit bout de Silicon Valley.

Depuis son ouverture fin 2013, cet incubateur de start-up de 1.500 m2 accueille chaque jour des centaines de porteurs de projets dans le domaine du numérique. Mais dans ce cocon dédié à l'essor des jeunes pousses innovantes, les grandes entreprises ne sont pas loin. Le deuxième étage du Numa est même entièrement dédié aux partenariats avec les cadors nationaux de l'industrie, des télécommunications ou des transports. Né au mois de décembre 2013, le programme Data Shaker permet à ces acteurs de mobiliser la toile des start-up pour doper ou développer des services innovants.

La SNCF a été la première à en bénéficier.

« Elle est arrivée avec des jeux de données, et nous a demandé si nous connaissions des start-up intéressées par une collaboration pour les exploiter », se rappelle Gayatri Korhalkar, une responsable de Data Shaker.

En quelques mois, au terme d'un processus de sélection, de tests et d'accompagnement avec des spécialistes de la SNCF, six projets de start-up sont sortis du lot. Parmi eux, il y a Raildar. Cette application permet de localiser les trains en temps réel dans toute la France.

Autre exemple : pour permettre aux passagers de profiter du temps d'attente, les équipes de Lis tes classiques et de Storylab ont imaginé le déploiement d'affiches représentant des bibliothèques. Sur les tranches des ouvrages, des QR, ces carrés en damier flashables par un smartphone, permettent d'acheter les livres en version numérique. Pour le géant des chemins de fer, ce type de collaboration est une petite révolution.

« Pour un grand groupe, être client d'une start-up, ça n'est pas évident ! », lâche Patrick Ropert, le directeur de la communication de la SNCF.

Pendant longtemps, l'innovation était la chasse gardée des services de R&D. Mais devant l'inventivité des start-up, surtout dans le numérique, les stratégies d'innovation ouverte, basées sur la coopération entre les entreprises, se développent à grands pas.

« Dans les start-up, il y a une part d'impertinence qui nous fait avancer », souligne Patrick Ropert. Pourquoi ? « Parce qu'elles nous obligent à bousculer notre état d'esprit. Raildar, par exemple, à besoin de s'approprier les données de nos sites pour fonctionner. Dans un schéma classique, c'est assimilable à du piratage ! »

Reste qu'accepter cette « impertinence » passe par une vraie collaboration. Or, depuis le milieu des années 2000, la plupart des grands groupes se contentaient d'un simple investissement financier dans les start-up les plus prometteuses. Mais dans bien des cas, cette stratégie n'a pas été d'un grand succès. C'est le cas d'Ecomobilité Ventures, lancé par la SNCF en 2008 avec une dotation initiale de 15 millions d'euros.

« Nous avons géré les participations de manière très financière, affirme Patrick Ropert. Nous apportions un capital et nous voulions assurer un retour sur investissement. C'est légitime, mais l'enjeu est de connecter les start-up à un business. Et là, on n'a pas complètement rempli le contrat pour la SNCF. »

La poste et Orange, deux précurseurs

Isolement, conflits avec les départements R&D, difficulté à accéder à certains jeux de données... Aux dires de nombreuses start-up, travailler avec un grand groupe une fois qu'il est entré au capital relève parfois du chemin de croix. Même s'ils sont nécessaires, les fonds seuls ne suffisent donc pas.

Chez La Poste, on l'a bien compris. Certes, le groupe dispose de XAnge Private Equity. Filiale de la Banque postale, cette société de capital-investissement finance des start-up matures, qui souhaitent par exemple se développer à l'international. En 2013, ses participations s'élevaient à 360 millions d'euros. Mais le groupe ne se contente plus de ce levier. Depuis 2009, La Poste dispose d'un programme de détection des PME innovantes. Organisé chaque année, le Lab Postal permet de dénicher de jeunes sociétés susceptibles de prototyper un nouveau service pour le groupe.

À cela, il faut ajouter Start'inPoste. Lancé le 27 mai, ce programme permet à 24 start-up par an de développer des innovations technologiques répondant aux besoins du groupe. Pour Nathalie Andrieux, directrice générale du numérique de La Poste, les projets répondent ici directement à « un intérêt industriel », comme un nouveau service d'e-commerce.

« Chaque start-up se voit attribuer un sponsor au sein du groupe », précise-t-elle.

Concrètement, il s'agit d'une entité opérationnelle concernée par le projet. Et pour favoriser la coopération, celle-ci hébergera directement la jeune pousse dans ses murs.

Chez Orange aussi, l'innovation ouverte a le vent en poupe. En décembre dernier, le géant des télécoms a lancé l'Orange Fab France. À l'instar de Start'inPoste, son programme vise aussi à renforcer les collaborations entre ses spécialistes et les start-up. Au terme de la première saison, sept start-up ont été retenues. L'une d'entre elles, AfriMarket, développe une solution de transfert d'argent pour les migrants africains.

« Ils viennent du Sénégal, de la Côte d'Ivoire ou du Mali, et veulent envoyer de l'argent à leurs familles sur place, explique Nathalie Boulanger, directrice du programme Orange Start-up Ecosystème.

AfriMarket a donc passé des partenariats avec des réseaux de distribution locaux pour sécuriser les transferts. »

L'occasion de « changer d'échelle »

Cela fait « tout à fait sens » pour Orange, souligne la responsable, arguant que le groupe est déjà présent dans ces pays via ses offres de paiement Orange Money. À ses yeux, il s'agit d'une collaboration gagnant-gagnant : si Orange profite du potentiel d'innovation des start-up, ces dernières peuvent d'un coup « changer d'échelle », via « un accès potentiel à une base de 230 millions de clients en Europe, en Afrique, et au Moyen Orient ».

De leur côté, pour profiter du potentiel de croissance des grands groupes, les start-up sont de plus en plus nombreuses à se regrouper. Créée il y a vingt-cinq ans, la technopole Technowest rassemble 72 start-up dans deux sites près de Bordeaux. Celui de Mérignac est situé dans le plus grand aéroparc français dédié à l'aéronautique et à la défense. Tandis que le site voisin de Blanquefort, lui, est spécialisé dans les éco-activités, comme le photovoltaïque ou la maison intelligente.

« Sur ces deux sites, Technowest dispose d'un incubateur, d'une pépinière d'entreprises et d'un centre d'affaires », détaille François Baffou, son directeur.

Grâce à l'intermédiation de Technowest, les start-up ont tissé des liens privilégiés avec les grands groupes implantés sur place, comme Thales ou Dassault. Les collaborations sont nombreuses. Filiale d'Airbus Group, Airbus Defense and Space travaille depuis peu avec NeTHIS, une start-up hébergée par Technowest.

« Cette dernière a conçu des caméras capables de déceler des fissures dans la matière », explique François Baffou.

En installant ces caméras dans des drones, Airbus Defense and Space veut mettre au point une solution économique pour vérifier l'état des éoliennes qu'il fabrique.

Reste que, sans Technowest, cette collaboration n'aurait sans doute jamais vu le jour.

De fait, « ces acteurs ont parfois du mal à communiquer, constate François Baffou. Pour une PME/PMI, c'est souvent difficile de trouver un interlocuteur auprès d'une grosse structure... »

Plus que jamais, une bonne communication demeure le sésame pour s'ouvrir les portes de l'innovation collaborative.

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Commentaire 1
à écrit le 01/07/2014 à 11:54
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Le probleme dans ces grands groupes est surtout qu'ils ne savent innover en interne ou qu'ils ne savent pas reconnaître ceux qui innovent... Et donc ils se donnent l'illusion d'innover en allant à l'externe.. Mais cela ne marchera pas plus car le pb ...

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