« Notre enjeu est d'éviter que les dix prochaines années mènent à un déclassement supplémentaire de l’Europe » Frédéric Oudéa (Société Générale)

ENTRETIEN. Dans une interview avec le directeur général de Société Générale sur le thème "La mondialisation dans tous ses états", réalisé à Bercy mardi 13 septembre lors du T-Day organisé par EY et La Tribune, Frédéric Oudéa revient sur ses quinze années à la tête de la deuxième banque française. Il décrypte les défis de la crise actuelle de la mondialisation et reste optimiste sur la capacité de l'Europe à maitriser l'inflation. Il raconte comment Société Générale a surmonté ses crises, de Kerviel à Rosbank dans un monde d'incertitudes. Avant son départ vers la présidence non exécutive de Sanofi, Frédéric Oudéa donne aussi quelques pistes d'avenir pour la banque au-delà de ses frontières classiques.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

Entretien vidéo avec Frédéric Oudéa, directeur général de Société Générale sur le thème "La mondialisation dans tous ses états" au EY T-Day.

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Société Générale est la banque française la plus impactée par la guerre en Ukraine puisque vous avez dû céder votre filiale russe Rosbank. Quel regard portez-vous sur ce basculement du monde auquel nous assistons ?

J'ai rarement connu une période avec autant de facteurs de risques et d'incertitudes mais les scénarios les pires ne sont pas nécessairement les plus probables. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a des changements géopolitiques profonds : la Russie aujourd'hui, demain une relation Chine-Etats-Unis qui peut se durcir. Bref, un monde plein d'incertitudes et de tensions. Et puis, il y a également les éléments structurels très importants pour les entreprises autour du changement climatique, autour de la question du digital. Et au regard de tous ces défis, il y a évidemment la question de la capacité de l'Europe à faire face et à rester compétitive, vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine.

Il y a aussi le retour de l'inflation, on l'avait presque oubliée.

C'est effectivement un changement radical. Je vous rappelle qu'il y a trois ou quatre ans, les économistes parlaient de risque de déflation ! Il est extrêmement difficile aujourd'hui de prévoir de quoi vont être faites les trois ou quatre prochaines années. Nous sommes à un tournant avec une forte inflation et la hausse des taux d'intérêt. C'est la fin de l'anomalie des taux négatifs, qui a duré près de huit ans ! Pouvoir emprunter à des taux négatifs était une hérésie totale. Aujourd'hui, nous traversons donc une phase de normalisation mais qui peut conduire à des changements complexes et à de fortes turbulences. Les politiques monétaires font face à une inflation brutale, alimentée par les enjeux d'énergie, mais pas seulement. Il y a également les frictions sur les chaînes d'approvisionnement et sur les marchés du travail. Ce retour de l'inflation est un enjeu majeur pour nous, les banques, mais aussi pour tous les acteurs économiques. Les économistes de Société générale ont plutôt comme scénario central un atterrissage de la croissance, pas une récession violente. Une croissance faible pendant trois ans, qui devrait conduire naturellement à un ralentissement de l'inflation. Dans un tel scénario, les banques centrales, après avoir fortement et rapidement monté les taux et rassurées par la normalisation de l'inflation, pourraient les rebaisser...

On retrouve un monde normal ?

Nous sommes d'abord dans un moment de pivotement complexe, de sortie d'une situation anormale sur le plan financier qui coïncide avec une crise géopolitique et une sortie de pandémie. Nous avons en parallèle à accélérer des transformations dans les dix, quinze, vingt prochaines années qui dépassent cet enjeu de pivotement immédiat et qui sont liées en particulier à la transition énergétique. C'est beaucoup à la fois !

Vous allez quitter l'univers de la banque pour aller chez Sanofi en mai prochain. Vous avez vécu de nombreuses crises : de Kerviel à Poutine, quel bilan tirez-vous de ces 15 ans à la tête de Société Générale ?

En quinze ans, nous avons vécu quatre des crises les plus importantes des 50 dernières années. La crise financière de 2008, qui a été majeure pour les banques, et celle de la zone euro. Souvenez-vous qu'en 2011, l'enjeu était « est-ce que l'euro va éclater ? », « est-ce que l'Italie va faire faillite ?». La crise du Covid-19 durant laquelle nous avons tous expérimenté une façon de travailler totalement différente. A cette période et pour la première fois, nous avions un enjeu de vie et de mort et de protection de nos salariés et de nos clients. Enfin, cette guerre en Ukraine qui s'accompagne d'un basculement géopolitique majeur auquel s'ajoute cette crise de l'énergie qui accélère les enjeux et la complexité de la transition énergétique.

Je retiens que toutes ces crises nous ont appris une forme de résilience, une capacité à réagir et rebondir après la crise. Nous étions préparés à la crise extrême en Russie, ce qui nous a permis de céder Rosbank rapidement, sans handicaper l'avenir de la banque. Une autre leçon est la nécessité de gérer, en même temps, le court terme et le temps long indispensable pour bâtir des business model qui vont porter l'entreprise sur les cinq, dix, quinze prochaines années. Il est trop tôt pour tirer un bilan, mais je suis satisfait d'avoir bâti des activités comme Boursorama, des modèles autour de la mobilité avec ALD qui, à mon avis, vont alimenter la croissance en servant nos clients et en les accompagnant dans leur propre transition dans la durée.

Vous vous êtes diversifié dans la banque digitale avec Boursorama et dans le leasing automobile. Jusqu'où ira la transformation de la Société Générale ?

Nous avons subi une révolution de nos métiers traditionnels. Les taux bas ou négatifs, c'est quelque chose de très difficile à gérer pour les banques. Et nous faisons face maintenant à la digitalisation de nos métiers qui, j'en suis convaincu, va se poursuivre. La réussite de Boursorama, qui est une banque exclusivement digitale, va continuer à mettre une pression forte sur la concurrence. Il ne faut pas fixer de limite à la transformation.

Boursorama Banque n'est-elle pas devenue votre principale concurrente ?

Je ne le vois pas comme ça. Accepter une forme de concurrence interne a été un vrai choix culturel, positif à mon avis. Aujourd'hui, Boursorama compte plus de 4 millions de clients et en aura peut-être un jour 8 à 10 millions, avec les effets de génération et d'usage croissant du digital. Plus généralement, nous avons été confrontés à la nécessité d'aller chercher des nouvelles sources de revenus au-delà de nos métiers traditionnels. La mobilité avec ALD et LeasePlan, c'est une histoire formidable ESG à écrire, autour des changements d'une part de la nature des véhicules automobiles et d'autre part de leur usage, de la propriété à la location.

Il y a une crise du logement. Est-ce que les banques pourraient dupliquer ce modèle du leasing dans le secteur immobilier ?

Pourquoi pas, mais la limite à l'imagination, ce sont les contraintes de capital. Les voitures, c'est bien nous qui les possédons. Nous avons besoin de mettre des fonds propres en face. Ce serait compliqué et risqué de posséder 1 million d'appartements à louer, si on pouvait imaginer ce business model. Il y a des contraintes à la réinvention. Nous devons aussi chercher des modèles qui consomment moins de capital et de liquidité. Ce qui est important, c'est d'une part d'adapter nos métiers traditionnels et d'autre part de construire de nouvelles aventures entrepreneuriales un peu disruptives.

L'affaire Kerviel vous a conduit à la tête de l'entreprise, mais les excès de la finance de marché ont conduit à ce que les banques soient extrêmement contrôlées. Est-ce encore possible de faire son travail de banquier de façon normale ?

Les banques sont plus sûres, elles ont montré leur capacité à traverser des crises et elles sont désormais très contrôlées. Nous avons réussi à rétablir notre image à ce prix. Ce qui me soucie, et qui concerne probablement d'autres secteurs, c'est qu'en Europe, on oublie trop la dimension de la compétitivité. Je suis surpris de ne pas avoir passé plus de temps, avec les autorités politiques et les superviseurs au cours de ces quinze dernières années, à la compétitivité du secteur bancaire européen. L'écart s'est creusé avec les Etats-Unis et l'enjeu des dix prochaines années, comme dans beaucoup de secteurs économiques, c'est de réagir pour éviter que le fossé ne se creuse encore. Nous sommes dans un monde où la rapidité d'exécution est un facteur clé de succès. Et c'est plus compliqué dans une Europe à 27 que dans un seul et même pays comme les Etats-Unis ou la Chine. Notre enjeu est d'éviter que les dix prochaines années mènent à un déclassement supplémentaire de l'Europe. Et pour ça, il faut consacrer plus d'énergie sur la compétitivité intrinsèque de nos secteurs industriels et des services et agir vite.

Est-ce que l'Europe n'est pas en train de perdre la guerre économique ?

L'Europe va probablement avoir une énergie plus chère que par le passé et cela impactera encore plus l'Allemagne que la France. Et avant que de nouveaux modèles émergent, que le nucléaire reparte, cela va prendre du temps. Je suis un peu soucieux de la manière dont les Etats-Unis nous regardent. C'est à nous de réagir. Il faut bâtir le plus vite possible ces nouveaux modèles de croissance plus durables et garder notre place dans cette compétition mondiale, dans laquelle personne ne nous fera de cadeau.

Lire aussiLe patron de Société Générale, Frédéric Oudéa, trouve son avenir chez Sanofi

Philippe Mabille

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Commentaires 3
à écrit le 17/09/2022 à 8:37
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les des sont piper depuis le debut tout les trafics sont bien proteger par les paradis fiscaux que les etats unis critique mais ont le delaware qui sert de machine a laver idem pour l'angleterre et toute les autres nations sauf la france et l'll...

à écrit le 16/09/2022 à 17:30
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Le déclassement est plus français qu'européen. Regardons les balances commerciales

à écrit le 16/09/2022 à 16:59
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Déclassement de l'Europe ?? Après... le déclassement de chaque nation qui la compose ? Déclassement par rapport à quoi ? C'est toujours l'application de "la concurrence libre et non faussée" qui sert de référence ? Pas de remise en cause du dogme ? A...

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