Spread Research, l’agence de notation française qui veut en remontrer aux « Big Three »

La seule agence de notation française vient de décrocher la clientèle de Fédéris Gestion d'Actifs (groupe Malakoff Médéric), positionné, entre autres, sur les fonds de prêt à l'économie. Une illustration de la volonté de Spread Research de profiter de la désintermédiation du financement de l'économie européenne.
Christine Lejoux
Nombre de Français ont déjà entendu parler des « Big Three » que sont les Américaines S&P, Moody's et Fitch

Depuis 2012, année au cours de laquelle Standard & Poor's (S&P) et Moody's avait retiré son fameux triple « A » à la France, les agences de notation - qui évaluent la solvabilité financière des Etats et des entreprises - ne sont plus de parfaites inconnues pour le grand public. Plus exactement, nombre de Français ont déjà entendu parler des « Big Three » que sont les Américaines S&P, Moody's et Fitch, cette dernière étant passée sous pavillon américain en décembre 2014. Mais savent-ils qu'il existe une agence de notation française ? Mieux, celle-ci n'est même pas parisienne, contrairement à la plupart des acteurs de la finance, mais lyonnaise. Et elle ne date pas d'hier, puisque Spread Research - c'est son nom - a été créée en 2004, par Julien Rérolle, qui était auparavant responsable de la recherche sur les obligations à haut rendement chez Candriam (ex Dexia Asset Management), à Paris.

A ses débuts, Spread Research n'était pas une agence de notation à proprement parler, mais un bureau d'analyse crédit indépendant - une rareté dans ce domaine -, qui avait pour vocation de fournir aux sociétés de gestion d'actifs des notations sur les émetteurs d'obligations à haut rendement. Un profil qui a obligé Spread Research à solliciter un agrément d'agence de notation auprès de l'Esma (Autorité européenne des marchés financiers), lorsque celle-ci est devenue le régulateur du secteur, en 2011. L'obtention de ce sésame, que Spread Research a mis 18 mois à décrocher, a nécessité le recrutement d'un responsable de la conformité, des investissements supplémentaires dans les outils informatiques, et soumis l'agence à des obligations de reporting mensuelles auprès de l'Esma. C'est dire si cet agrément constitue une sérieuse barrière à l'entrée sur le marché des agences de notation, où Spread Research est d'ailleurs le seul acteur français.

Bâtir une alternative européenne aux agences américaines

Un acteur qui, à la différence des « Big Three », ne note pas les Etats, mais uniquement les entreprises. Les grandes comme les ETI moyennes et les grosses PME, tous secteurs confondus. Le fabricant de produits surgelés Picard, le groupe de télécommunications et de médias Altice, le transporteur maritime CMA-CGM, le groupe agro-industriel Tereos figurent ainsi dans le radar de Spread Research, aux côtés de quelque 250 autres sociétés européennes, dont une soixantaine en France. Spread a d'autres spécificités à faire valoir. « Contrairement aux agences traditionnelles, nos notes dépendent bien davantage des prévisions que du passé. Notre recherche est en outre beaucoup plus réactive, ce qui permet aux investisseurs de prendre rapidement des décisions de marché », explique Julien Rérolle. Surtout, « à la différence des agences historiques, rémunérées par les entreprises qu'elles notent, nous sommes payés par les investisseurs, si bien que nous ne présentons pas de risque de conflits d'intérêts. Nous sommes la seule agence de notation au monde à fonctionner ainsi », affirme le dirigeant.

De fait, il a été abondamment reproché aux « Big Three » d'avoir contribué à la crise financière de 2008, en continuant à décerner de bonnes notes à des produits pourtant gavés de « subprimes » (crédits hypothécaires américains risqués). D'où la volonté de l'Esma d'accroître la concurrence sur le marché des agences de notation, encore détenu à plus de 90% en Europe par S&P, Moody's et Fitch. Une position ultra-dominante qui est loin de décourager Spread Research. Au contraire, « ce qui nous motive, c'est d'essayer de bâtir une alternative nationale, à dimension européenne, aux agences de notation américaines. C'est d'ailleurs un enjeu pour la place (financière) de Paris également », estime Philippe Tastevin. Le tout nouveau vice-président du conseil de surveillance de Spread Research sait de quoi il parle, lui qui arrive tout droit d'Euronext, le gestionnaire des places boursières de Paris, Bruxelles, Amsterdam et Lisbonne, où il était directeur de la stratégie.

Accompagner la désintermédiation du financement de l'économie européenne

Le chemin sera sans doute (très) long avant de rivaliser avec les « Big Three », mais force est de constater que Spread Research a trouvé son modèle : ses revenus augmentent de 30% en moyenne chaque année, et la société est rentable depuis l'origine. Une lancée sur laquelle l'agence devrait poursuivre au cours des prochaines années, à la faveur du phénomène de désintermédiation du financement de l'économie européenne. En effet, jusqu'à présent, les entreprises européennes se finançaient à hauteur de 70% environ auprès des banques, et à 30% seulement sur les marchés. Les proportions sont exactement inverses aux Etats-Unis. C'est précisément vers ce modèle de désintermédiation américain que l'Europe va devoir s'acheminer, les nouvelles réglementations qui pèsent sur les banques depuis la crise de 2008 réduisant leur capacité à accorder des crédits.

Cela est particulièrement vrai pour les PME et les ETI, encore plus dépendantes du crédit bancaire que les grandes entreprises. Or, pour que les investisseurs acceptent de financer ces nouvelles venues sur les marchés, il faudra rassurer les premiers sur la qualité de crédit des secondes. Une aubaine pour Spread Research : « Nous voulons accompagner le mouvement de désintermédiation du financement de l'économie européenne, notamment au travers des fonds de prêt à l'économie [via lesquels les assureurs peuvent désormais financer les PME et les ETI ; Ndlr] », indique Philippe Tastevin. Spread Research vient d'ailleurs de décrocher la clientèle de Fédéris Gestion d'Actifs (groupe Malakoff Médéric), qui avait lancé en début d'année son troisième fonds de dette, destiné, notamment, à investir dans des entreprises espagnoles ou italiennes.

Christine Lejoux

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