Marchés financiers : l'ESG en attente d'un signal clair

ESG, Environnement, Social, Gouvernance, trois lettres pour changer la finance et le monde ? C'est le sens des transformations en cours sur les marchés, l'ESG devenant une force motrice pour réorienter l'épargne vers un capitalisme plus responsable, plus juste socialement et plus écologique. Le total des actifs sous gestion ESG dépasse les 35.000 milliards de dollars et s'achemine vers les 50 trillions ! Atouts et limites d'une démarche encore brouillonne et inachevée, que La Tribune auscultera ce lundi lors d'un forum intitulé "ESG, no more blah-blah-blah" diffusé en direct sur ses plateformes.
(Crédits : Reuters)

A première vue, il serait presque possible de penser que tout va bien : les flux de capitaux vers la finance responsable sont massifs ; des textes réglementaires destinés à favoriser la transformation de nos économies sont en train d'entrer en vigueur ; l'Europe, les Etats-Unis et les organisations internationales planchent sur la façon d'établir une comptabilité extra-financière plus lisible et commune. Ce serait toutefois oublier un peu rapidement l'objectif final de ces efforts : façonner un monde plus responsable, plus juste socialement et plus écologique. Les transformations sont-elles vraiment à la hauteur de l'ambition ? Qui détient aujourd'hui le pouvoir d'accélérer le changement ?

Investisseurs et gérants d'actifs ont de quoi se réjouir. D'après un rapport de l'Esma (European securities and markets auhorities) du 5 avril dernier, les fonds ESG ont surperformé les autres supports classiques d'investissement sur la décennie 2010-2020. Mieux encore, plus les critères et exigences de durabilité des fonds seraient élevés, meilleure serait la performance. Ainsi, la valeur liquidative des fonds à impact a augmenté de 4 % sur ces dix années, contre 2 % pour les autres stratégies ESG et 1,7 % pour ceux qui se contentent d'exclusions sectorielles. Un ratio qui fera peut-être pencher la balance en faveur des fonds les plus exigeants, ceux qui ont une stratégie d'impact, classés sous l'article 9 selon le règlement européen SFDR.

Ces performances ont sans doute joué un rôle clé dans les flux de capitaux qui ont abondé sur l'investissement responsable. Selon les chiffres de Bloomberg Intelligence publiés l'année dernière, les actifs ESG sous gestion dans le monde ont dépassé les 35 trillions de dollars en 2020 et devraient franchir la barre des 50 trillions d'ici 2025. Le marché des ETF ESG devrait alors peser 1 trillion de dollars et celui de la dette ESG 11 trillions, démontrant ainsi à quel point cet investissement ne se cantonne plus au seul champ des actions. Le poids de l'Europe dans cette montée en puissance est également notable. En 2020, la barre symbolique des 10 % de fonds ESG sur le total disponible a été franchie. Une prospérité qui doit autant à la création de nouveaux produits qu'à une forte demande de la part des investisseurs.

Mettre les chiffres en perspective

Il y a de quoi se féliciter des flux massifs de capitaux en faveur la gestion ESG - dans tout ce qu'elle peut recouvrir comme diversité d'exigences. Du moins jusqu'à ce que l'on écoute le Giec. Dans son dernier rapport, il alerte sur le fait que sans réduction massive et immédiate des émissions de gaz à effet de serre, limiter le réchauffement à 1,5°C sera impossible. Entre 2010 et 2020, les émissions mondiales moyennes ont connu leur pic le plus élevé de toute l'histoire de l'humanité. Le Giec a posé son diagnostic : les investissements en faveur de la transition climatique sont amplement insuffisants. « Les flux financiers sont trois à six fois plus faibles que ce qui est nécessaire d'ici 2030 pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C. » Cela sans oublier que la transition climatique ne constitue qu'un pan de l'ESG, le scandale Orpea venant rappeler l'ampleur des lacunes des piliers social et gouvernance.

D'où viendra le « signal clair » attendu par le Giec ?

Que manque-t-il alors pour accélérer la transition vers un monde plus durable ? Des financements, certes. Avec l'entrée en vigueur de la réglementation MiFID 2 cette année, on peut espérer que l'épargne individuelle s'oriente plus volontiers vers des supports ESG. Toutefois, la manière d'identifier les supports disponibles et d'orienter ces capitaux ne fait aujourd'hui pas consensus. En témoigne l'appel à réviser les labels existants, notamment le label ISR français, et celui à en créer de nouveaux.

Dans son rapport remis à Bruno Le Maire, Yves Perrier, président d'Amundi et vice-président de Paris Europlace, milite ainsi en faveur d'un label Transition Climat. En témoigne également le débat sur les méthodologies d'évaluation et de notation des agences. Un débat qui vient rappeler que derrière l'enjeu de l'aiguillage des financements se cache en fait celui de la donnée. Sans connaître les efforts de transition à réaliser, sans les identifier, évaluer, comparer, un investissement efficace n'est pas possible.

Ce sujet devrait connaître une accélération notable dans les prochains mois, car la structure de la comptabilité extra-financière fait actuellement l'objet de discussions en Europe, aux Etats-Unis et dans les instances de comptabilité internationales. Avec des points de vue parfois diamétralement opposés, que ce soit entre Européens et Américains, ou entre entreprises et financiers. La voie qui sera choisie sera très révélatrice en matière d'implication des diverses parties prenantes et pourrait définitivement, si la moins ambitieuse l'emporte, nous écarter de la trajectoire prévue par les Accords de Paris.

Tensions autour de la comptabilité extra-financière

Les tensions autour de la comptabilité extra-financière n'empêchent cependant pas les initiatives visant à renforcer la prise en compte de l'ESG par toutes les parties prenantes de l'économie. Parmi les dernières en date, celle de la Banque de France. Elle devient la première banque centrale à rejoindre le CDP, un organisme non lucratif qui gère la publication de données environnementales de près de 10 400 entreprises cotées dans le monde, représentant une valeur totale de 106 000 milliards de dollars. L'ambition de la Banque centrale française est double. Elle compte utiliser les notes du CDP pour réaliser ses propres investissements en vue d'une neutralité carbone d'ici 2030.

L'institution compte aussi intégrer ces données à ses propres travaux pour intégrer la prise en compte du changement climatique par les entreprises dans son système de notation des créances privées. Un exemple qui démontre une fois de plus que l'accès à la donnée et la mise en place d'un référentiel commun constituent un socle indispensable à la transformation de la finance et des entreprises.

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Commentaire 1
à écrit le 09/05/2022 à 8:49
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Et depuis 2015 la famine dans le monde est repartie à la hausse, de qui se moque t'on là ? Comment voulez vous que nous croyons encore tout ces bobards alors que d'un simple clique on peut vous opposer des arguments en béton grâce à internet ?

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