L'inquiétant trou d'air des constructeurs de satellites tricolores (1/3)

Les deux constructeurs de satellites français Airbus Space et Thales Alenia Space traversent une période très difficile. L'inflation des matières premières, une concurrence accrue, un trou de la commande publique... expliquent en grande partie cette mauvaise passe pour les satellitiers tricolores.
Michel Cabirol
Airbus Space a remporté en 2023 un appel d'offre pour la fabrication de Thaicom (vue d'artiste)
Airbus Space a remporté en 2023 un appel d'offre pour la fabrication de Thaicom (vue d'artiste) (Crédits : Airbus)

« Nos deux maîtres d'œuvre français dans le domaine des satellites sont aujourd'hui dans une situation difficile et tout le monde le sait », avait expliqué le directeur de la stratégie du CNES, Jean-Marc Astorg, lors de la conférence de rentrée du CNES en janvier. Les déclarations inquiétantes de hauts responsables français dans l'aérospatial se sont multipliées pour alerter sur la mauvaise passe de la filière satellitaire française, Airbus Space et Thales Alenia Space (TAS) mais aussi leurs fournisseurs. Et pas des moindres. Le président du CNES, Philippe Baptiste, puis dans la foulée le président exécutif d'Airbus, Guillaume Faury, par ailleurs président du GIFAS, ont tour à tour tiré le signal d'alarme au début de l'année sur cette situation explosive. D'autant que la rentabilité de ce secteur n'est pas très bonne, rappelle un industriel.

« L'ensemble des fabricants de satellites de la filière souffre beaucoup sur le plan économique », estimait Guillaume Faury lors de la présentation des vœux du GIFAS à la presse en janvier. Philippe Baptiste expliquait quant à lui lors de sa conférence de rentrée que « l'augmentation du coût de certaines matières premières, qui a été absolument considérable, a eu un impact sur nos satellitiers ». Et de citer la hausse démentielle de 1000% du prix d'un gaz rare. Une flambée qui tue la compétitivité « de certaines solutions technologiques » développées par les constructeurs de satellites qui sont « remises en cause », avait précisé le patron du CNES. Résultat, notait Guillaume Faury, « le secteur des satellites est sous pression ».

Un trou d'air aux origines nombreuses

Les origines de cette désillusion sont nombreuses. « Il y a les effets de l'inflation sur les contrats signés avec des clients institutionnels ou privés, qui étaient souvent forfaitaires. On constate les difficultés que cela peut engendrer. Il y a également le fait que le secteur est un peu dans un trou de commandes publiques, notamment dans la défense avec des contrats terminés, puis des nouveaux contrats qui vont arriver dans quelques mois, voire quelques années », a résumé le directeur de la stratégie du CNES, Jean-Marc Astorg, lors de la conférence de rentrée du CNES. Par ailleurs, Thales a reconnu que les ventes de sa filiale TAS étaient « affectées par les tensions persistantes dans la chaîne d'approvisionnement ».

Au-delà, Airbus et Thales font l'objet désormais d'une « très forte concurrence » menée par les grands concurrents systémiques mais aussi de nouveaux arrivants. « Je pense en particulier à Starlink », a lâché Guillaume Faury. Après avoir bouleversé l'industrie des lanceurs avec son Falcon 9, Elon Musk est en train de déstabiliser les opérateurs de satellites (SES, Intelsat, Eutelsat...) tétanisés par l'irruption brutale de Starlink, qui piétine les plate-bandes très lucratives qu'ils se partageaient. Et par ricochet, les constructeurs de satellites français souffrent de l'attentisme des opérateurs, notamment régionaux, qui repoussent de mois en mois leurs investissements. Quitte même à prendre le risque de ne pas pouvoir faire la soudure entre les satellites d'ancienne génération et ceux de la nouvelle génération, explique-t-on à La Tribune.

En 2023, les conséquences ont été très claires. Cela s'est traduit « par des pertes de marché sur un marché mondial qui est aujourd'hui de plus en plus disputé avec un retour des concurrents américains », a fait valoir Jean-Marc Astorg. Et le bilan 2023 des deux constructeurs de satellites français sur le marché commercial est terrible : sur 11 satellites de télécoms, dont 70% de micro-satellites géostationnaires, Airbus Space, qui n'avait remporté aucun satellite en 2022, en a gagné deux l'année dernière (Thaicom et, selon nos informations ST5 pour le compte de Singtel) et TAS a pour sa part fait choux blanc après avoir cartonné en 2021 (cinq satellites gagnés) et 2022 (six satellites).

En revanche, la startup américaine Astranis a fait une entrée fracassante parmi les grands de ce monde avec le gain de quatre microsatellites géostationnaires (deux pour le groupe mexicain Apco Networks, deux pour le groupe philippin Orbit Corps). Pour sa part, la startup suisse Swissto12 a pour sa part remporté trois microsatellites pour le compte d'Inmarsat après avoir remporté la compétition d'Intelsat 45 en 2022. Enfin, Maxar a remporté un le satellite EchoStar XXV pour le compte de la société de télévision par satellites Dish Network.

Ces difficultés se sont également traduites pour Airbus par des performances financières très en deçà des attentes initiales. Ainsi, l'EBIT ajusté d'Airbus Defence and Space a été négatif sur les neuf premiers mois de 2023 (- 1 million d'euros, contre 231 millions sur la même période en 2022). Le groupe européen a été contraint d'engager des charges de 400 millions d'euros liées à la révision des estimations au terme de certains programmes de développement de satellite (de la gamme OneSat), principalement comptabilisées au troisième trimestre (- 79 millions d'euros au 3e trimestre). Guillaume Faury a été clair en janvier : « Il faut s'en occuper (des difficultés, ndlr) et ce sont des dossiers qui font partie du travail des entreprises » tout en « prenant acte des grands changements, des grands bouleversements du marché ».

IRIS², une bouffée d'oxygène ?

Pour garder la tête hors de l'eau, Airbus Space et TAS attendent désormais beaucoup de la constellation de la Commission européenne IRIS² poussée par Thierry Breton. La Commission espère signer un contrat de concession fin mars pour une durée de 12 ans. A l'exception de ce programme emblématique, aucun autre n'est aujourd'hui en gestation pour relancer les deux constructeurs. Par ailleurs, Philippe Baptiste recommande de développer des « technologies robustes » pour désensibiliser les industriels aux hausses des prix des matières premières. Ce sont des sujets qu'on intègre aujourd'hui.. Dans ce contexte, les industriels estiment qu'il faut un plan de relance pour ce secteur en souffrance. « La France est la seule à faire du surplace », regrette d'ailleurs un industriel.

Dans un rapport parlementaire sur l'avenir de l'industrie spatiale européenne, les députés Cécile Rilhac (Renaissance) et Aurélien Lopez-Liguori (Rassemblement national) préconisent de maintenir un niveau d'investissement élevé à destination des technologies spatiales civiles et militaires pour permettre aux entreprises et aux forces armées de rester « à l'état de l'art ». La France, comme l'avait annoncée Élisabeth Borne en septembre 2022, va dépenser trois milliards par an sur trois ans. C'est trop peu au regard des enjeux cruciaux liés au spatial (climatique, numérique, sécuritaire et scientifique). « Cela signifie, concrètement, que les moyens publics engagés dans ce domaine doivent s'accroître. En ce qui concerne les investissements privés, un vrai effort de réorientation doit être entrepris pour garantir une priorisation du financement du secteur technologique », affirment les deux députés.

Michel Cabirol

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Commentaires 16
à écrit le 15/02/2024 à 19:28
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Pour les ignorants du spatial, je précise que le consortium iris2 contient OHB et deutsche Telekom qui aux dernières nouvelles étaient encore allemands, sans compter Airbus DS qui regroupe bcp d intérêts allemands aussi. C est pas du tout un projet f...

à écrit le 15/02/2024 à 13:59
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C'est plus difficile lorsqu'il n'y a pas de financement d'état ! c'est le cas de toutes les entreprises française en concurrence dans le monde ! et oui un moment donné, il faudra que les entreprises françaises puissent gagner des parts de marché sans...

à écrit le 15/02/2024 à 13:19
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Vouloir le leadership en économie libérale, c'est souvent vouloir se servir en priorité dans la caisse dès la mise en œuvre du programme, l'objet final étant quasiment secondaire : nominations et postes inutiles, cabinets conseils de tous ordres, pro...

le 15/02/2024 à 13:46
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Justement il ne s'agit pas d'une économie "libérale" mais d'un étatisme rapace centralisé et planificateur qui distribue l'argent volé au contribuable selon les interêts de la caste qui a les mains sur l'état jacobin

le 15/02/2024 à 14:02
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c'est le bizz made in France ! ça fait 20 ans que cela fonctionne ainsi et a enrichie la noblesse des hauts fonctionnaires et ruiné ces entreprises ! du coup, question compétence, vision voir même projet, a l'image de thierry breton, il peut êtr...

à écrit le 15/02/2024 à 10:18
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Le Handelsblatt en Allemagne a publié hier un article qui tend à démontrer comment la France a mis en touche l’Allemagne dans le projet de satellite IRIS 2 mentionné dans l’article (Titre : Wie Frankreich Deutschland beim wichtigsten Satellitenprojek...

le 15/02/2024 à 12:39
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Oui d'accord avec vous a propos de IRIS 2. Il n'y aaucune entreprise allemande dans le projet!!! C'est pour cela que ca ne marchera pas!!!! Attendez vous ä une ARIANE BIS ou bien la PAC (oü la France est 1 er bénéficioaire mais son agriculture en per...

à écrit le 15/02/2024 à 9:04
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C'est toujours drôle d'entendre les francais dire "L'Allemagne va récupérer les compétences francaises" . Je suis désolé, ce raisonnement fait rire tout Allemand qui connait la France!!! C'est pltutöt le contraire qui est vrai!!! Franchement de quell...

le 15/02/2024 à 10:15
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"Aujourd'hui l'Allemagne ne se mesure pas par rapport à la France , mais plutöt par rapport aux USA et aux Chinois qui sont d'ailleurs ses premiers partenaires commercaux et sérieux concurrents" lol ! PIB usa: 23 billions, Chine: 17 billions, Allemag...

le 15/02/2024 à 10:40
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En octobre 2021 la France a autorisé la délocalisation de la production du moteur d’Ariane 6 « Vinci » de Vernon (Eure) vers Ottobrun (Bavière, Allemagne). Le moteur Vinci a été développé sur fonds propre francais et 600 postes ont été supprimés en F...

le 15/02/2024 à 11:32
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Vous avez raison sur le fait que l'apparent leadership de la France (avec le RU) en Europe jusqu'à un passé recent dans l'aérospatial est une conséquence de l'absence d'engagement de l'Allemagne plus qu'un signe de notre force technologique et indus...

le 18/02/2024 à 17:17
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Vous trouvez drôle d’entendre les Français dire « l’Allemagne va récupérer les compétences françaises » mais vous osez affirmer sans trembler que « Toute l’Europe sait que tout le spatial français est basé sur l’interdiction faite à l’Allemagne aprè...

le 18/02/2024 à 17:24
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Beaucoup de choses différentes dans votre réponse concernant IRIS2. Essayons de faire le tri : 1-« Il n’y a aucune entreprise allemande dans le projet !!! C’est pour cela que ça ne marchera pas !!! » Suffisance grotesque. Vous oubliez encore sans ...

à écrit le 15/02/2024 à 8:21
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Technologiquement à la traine du fait d'investisseurs intellectuellement éteints, l'UE ne fait pas rêver dans ce domaine là et même si les allemands récupèrent nos dernières industries ils n'en feront pas grand chose non plus, ce sont bien eux qui po...

à écrit le 15/02/2024 à 6:43
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Pas grave, c'est la faute à l'Ukraine, comme beaucoup de choses depuis deux ans. Les Allemands vont récupérer nos deux fleurons industriels comme prévu par le traité d'Aix la Chapelle. C'est programmé pour.

le 15/02/2024 à 9:32
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Vous etes serieux la ? si la france investi plus depuis 40 ans c est de la faute des ukrainiens ? pas du fait que tout notre argent part dans un systeme social en roue libre (a tel point qu eles retraités vivent mieux que les actifs qui les financent...

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