« Les enjeux climatiques et l’avenir de l’humanité sont au cœur de l’exploration spatiale » (Athéna Coustenis)

Pourquoi aller dans l’espace aujourd’hui ? Astrophysicienne et spécialiste en planétologie, Athéna Coustenis est directrice de recherche au CNRS. Depuis l’Observatoire de Paris-Meudon où elle travaille, elle évoque les missions d’exploration et leurs enjeux. En question : l’avenir de l’humanité. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°7 Décembre 2021)
(Crédits : Virginie de Galzain)

Conquête ou exploration spatiale ? De quoi parle-t-on aujourd'hui ?

Je préfère parler d'exploration scientifique de l'univers plutôt que de conquête. Certes, la Guerre froide entre les États-Unis et l'URSS a permis une dynamique considérable et la conquête spatiale en a été l'un des enjeux. Mais aujourd'hui, le principe de coopération internationale prime, tant pour les partenaires traditionnels et à venir que pour le secteur privé. Ainsi, la CNSA (agence spatiale chinoise) a lancé le premier module de sa propre station spatiale en avril et a aussi ouvert des appels d'offres aux étrangers. Et quand les Chinois ont fait atterrir un robot sur Mars cette année du premier coup (mission Tianwen-1), ils ont reçu les félicitations des Européens comme des Américains. C'est révélateur. La compétition est bien réelle, et c'est une source d'émulation et d'innovation. À la table du comité du COSPAR (Committee on Space Research) pour la protection planétaire que je préside, se retrouvent plusieurs nations à se mettre d'accord sur les règles qui doivent encadrer la suite de nos explorations, les coûts, etc. Avec, en fil rouge, la préservation de notre planète et des environnements explorés. C'est à souligner.

Vous travaillez depuis plus de 20 ans sur de nombreuses missions d'exploration robotiques. Quels sont leurs objectifs ?

L'exploration spatiale est une aventure humaine et robotique sans précédent. Les missions robotiques s'appuient sur des technologies pointues pour préparer les missions humaines. Et elles permettent des réalisations impossibles pour un être humain. On se pose tous les questions essentielles comme : Quelle est notre place dans l'univers ? Comment la vie est-elle apparue sur Terre ? Y a-t-il de la vie ailleurs ? Des planètes qui permettent l'émergence de la vie ? Si l'on trouve des traces de vie sur Mars ou ailleurs, c'est qu'elle peut aussi être apparue en dehors de notre système solaire. Pour résumer simplement, cela nous donne des perspectives pour comprendre nos origines, envisager différemment le présent, notre avenir, voire notre survie.

Chaque mission réserve des surprises et s'améliore avec de nouveaux instruments. C'est le cas avec la mission Cassini-Huygens (1997-2017) qui a détecté qu'il y avait aussi des composés organiques complexes dans la haute atmosphère de Titan, un satellite de Saturne qui a des correspondances avec la Terre primitive. Et ce que l'on a découvert de la surface de Titan était incroyablement plus complexe et inattendu que tout ce que l'on avait imaginé : des dunes, des montagnes, des lacs, un sol boueux !

Depuis 2020, un « rover » (astromobile) ultra-perfectionné, Perseverance, étudie la surface de Mars et collecte des échantillons. La récupération de ces échantillons en 2031 grâce au programme Mars Sample Return (MSR) sera déterminante pour mieux connaître la composition et l'évolution de l'atmosphère de Mars. Elle permettra peut-être aussi de savoir s'il y a ou s'il y a eu de la vie sur Mars et de préparer les conditions d'une mission habitée.

Sur quelles missions travaillez-vous actuellement ?

Je travaille bien sûr sur les projets d'exploration de la Lune et de Mars. Je travaille aussi sur des missions robotiques du programme Vision cosmique de l'ESA, parmi lesquelles JUICE et ARIEL. La mission JUICE fait partie des nouvelles séries de missions d'exploration du système solaire externe pour étudier entre autres les mondes habitables possibles - au sens de posséder les conditions nécessaires à l'apparition et au maintien de la vie. On se focalise sur les satellites de Jupiter et Saturne car ils ont des océans d'eau liquide sous la surface. Des océans dans lesquels il pourrait y avoir des traces de vie et des sources d'énergie produites, par exemple, par des effets de marées ou des réactions chimiques au fond des océans.

La mission ARIEL va étudier la composition et l'évolution d'exoplanètes (hors système solaire) : atmosphère, nuages... En observant ces autres systèmes planétaires, on a par exemple compris la théorie de la migration des planètes et appris que Jupiter et Saturne font frein pour que les petites planètes, dont la Terre, puissent résister face à l'attraction du soleil.

De nouvelles missions humaines sont prévues sur la Lune puis sur Mars. Quelles en sont les étapes ?

Les missions habitées sont indispensables mais comportent de très nombreux risques. Le programme Apollo de la NASA ne reprend que maintenant avec le programme Artemis et l'espoir de mener un nouvel équipage sur la Lune en 2024, dont une femme. L'ESA est associée à ce programme. J'ignore si nous tiendrons cette date et c'est tout l'enjeu des missions sur l'ISS (Station Spatiale Internationale), puis sur Gateway qui sont les étapes essentielles pour une exploration durable de notre satellite.

L'ISS tourne autour de la Terre à environ 400 km, ce qui offre des conditions de microgravité et de radiation spéciales. Des conditions dans lesquelles nous réalisons des expériences, entraînements et recherches de plus en plus longs et poussés sur le vivant et le corps humain qui servent aux astronautes mais aussi à nous tous sur Terre. Ces études permettent de définir et de combattre les impacts immenses sur l'organisme : dégénérescence des os, baisse de la vue, atrophie des muscles et du cœur, risques de cancer, « pétage de plombs »... Les effets des médicaments sont également modifiés. C'est d'autant plus complexe que chaque être humain réagit différemment. Pour Mars, des femmes et des hommes vont devoir faire un voyage de plusieurs mois, auxquels il faut ajouter la durée de la mission, soit environ trois ans à ce jour. Les astronautes sont poussés dans des limites physiques et mentales surhumaines, dans des environnements extrêmes. C'est pourquoi, tout doit être mis en œuvre pour garantir leur survie et la réussite de leurs missions.

Le programme Artemis prévoit la construction de la station lunaire Gateway. En quoi est-ce un nouveau cap dans l'exploration spatiale ?

L'exploration humaine doit devenir plus durable et autonome. Gateway sera en orbite lunaire à 3 000 km. Ce sera une station laboratoire « escale » vers la Lune avec tous les modules de vie et de travail, et une étape indispensable avant d'aller sur Mars. L'objectif est d'être autosuffisant et d'expérimenter sur place ; de mieux comprendre et connaître le terrain et les ressources ; d'améliorer la qualité, les coûts et l'empreinte de nos missions. De nombreuses questions sont à résoudre car la Lune est un environnement hostile et nous devons tenir compte des cycles et des éruptions solaires. Pour Mars, les défis vitaux et technologiques sont vertigineux.

Un autre enjeu est d'aller plus vite et plus loin. Le Space Launch System (SLS), un lanceur spatial super lourd développé par la NASA, permettrait de transporter jusqu'à 130 tonnes et de réduire le temps de voyage sans passer par les étapes intermédiaires d'assistance gravitationnelle. Il faudrait deux ans et demi au SLS pour aller sur Saturne au lieu de huit ans ! Imaginez cela appliqué au voyage sur Mars, c'est révolutionnaire.

Mais quels sont les cadres juridiques existants ? Vous présidez notamment le panel du COSPAR sur la protection planétaire : pouvez-vous nous en dire plus ?

Le COSPAR est un comité de recherche scientifique qui définit entre autres les règles de chaque mission. International, indépendant et apolitique, il engage la responsabilité de 110 États qui ont signé le traité de l'espace de 1967 (Outer Space Treaty) élaboré par l'UNOOSA (United Nations Office for Outer Space Affairs). La paix, la sécurité, la protection des ressources sont prioritaires ; ne pas contaminer là où on va explorer et ne pas contaminer la Terre avec ce que l'on rapporte de nos missions est vital. Les entreprises privées comme SpaceX ou Blue Origin sont tout autant concernées car elles jouent un rôle de plus en plus important dans l'exploration spatiale. La Tesla envoyée par SpaceX n'a pas été stérilisée. Si elle s'écrasait sur Mars, elle pourrait la contaminer avec des bactéries venant de Terre. Ce serait dramatique. À cause de tout cela, et au vu des nouveaux résultats scientifiques, nous mettons régulièrement à jour les règles encadrant l'exploration spatiale.

Par ailleurs, des milliers de scientifiques ont lancé un appel à réguler l'envoi de constellations de dizaines de milliers de satellites privés visant à connecter la planète. Ces derniers perturbent le monitoring de la Terre, les recherches en astronomie, géophysique, météorologie en raison de leur pollution lumineuse, outre la pollution que causent les débris spatiaux et les risques de collision associés.

L'Europe occupe une place de choix dans l'exploration spatiale. Pourquoi les budgets alloués sont-ils parfois pointés du doigt ?

On a parfois l'impression que les budgets de la recherche spatiale sont énormes. Les grosses missions peuvent coûter deux milliards d'euros mais elles sont rares, complexes, durent plusieurs années et tous les pays membres y contribuent. Beaucoup d'autres coûtent autour de 50 à 100 millions d'euros. Il faut aussi considérer les retombées pour la santé, la médecine, l'ingénierie, les nouvelles technologies, les industries locales ; la façon dont cela booste la recherche et le progrès ; tout ce dont le grand public bénéficie au quotidien grâce à cela. Je vous invite à comparer ces budgets avec les dépenses militaires (219 milliards de dollars pour les États européens en 2019) ou le coût de l'évasion fiscale.

Le budget actuel de l'ESA correspond en moyenne à un huitième de celui de la NASA. Malgré cela, nous réalisons des missions que d'autres agences nous envient ! L'Europe et l'ESA ont la primauté en matière de satellites et de programmes spatiaux d'observation de la Terre. Les entreprises Airbus et Thalès ont remporté des contrats très importants dans le cadre du programme Artemis et des missions sur Mars. Tout cela reflète notre expertise, notre très forte capacité d'innovation. C'est le fruit de talents qui font bien plus que les moyens disponibles ne le permettent.

Pourquoi continuer l'exploration spatiale aujourd'hui ? Ces missions ?

Les enjeux climatiques, l'avenir de l'humanité sont au cœur de l'exploration spatiale. Pourquoi Vénus et Mars n'ont pas gardé leurs océans ? Dans le cas de Vénus, un effet de serre hors contrôle aurait provoqué un réchauffement et une évaporation de ses eaux. Sur Mars, c'est le vent solaire qui est en cause. Les données spatiales nous renseignent sur notre propre atmosphère, le climat.

Le monitoring de notre planète informe sur son état, les impacts de l'action humaine, la pollution, les incendies géants, l'urbanisation, le changement climatique... Nous voyons aussi les effets positifs de mesures mises en place dans les différentes parties du monde (énergies renouvelables, agriculture sans pesticides, accès à l'eau et aux soins...) et pouvons dire ce qui fonctionne le mieux, où et pourquoi. Les scientifiques s'appuient sur ces preuves pour faire des projections et proposer des solutions. Ces missions ont donc un rôle majeur dans la réalisation des Objectifs du développement durable (ODD). Les astronautes sont témoins de la beauté époustouflante de la Terre et de sa fragilité. Pour eux, protéger la planète est une urgence !

Vous insistez sur l'importance de la continuité.

La science est un moyen de connaissance inouïe, suscite des vocations et fait rêver ! Chacun y a sa place pour sa valeur. La campagne de recrutement d'astronautes par l'ESA au printemps 2021 a suscité plus de 22 000 candidatures de la part des États membres (pour six places) dont 24 % de femmes. Notons le déploiement du programme Space4Women, et rappelons le rôle des femmes dans les sciences depuis plusieurs siècles. Cela montre la qualité de nos ressources humaines. Dans mon métier, nous vivons notre rêve, sommes des curieux compulsifs et apprenons chaque jour. Les études sont longues, mais on gagne une vie extraordinaire et utile. Le spatial offre des voies de solutions immenses pour résoudre les défis auxquels nous devons faire face.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°7 - DOIT-ON CROIRE AU PROGRES? Décembre 2021 - Découvrez sa version papier disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

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Commentaire 1
à écrit le 13/02/2022 à 12:56
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« Les enjeux climatiques et l’avenir de l’humanité sont au cœur de l’exploration spatiale » : Euh, non, les deux n'ont rien à voir. Tout d'abord, il n'y a pas d'enjeu climatique, vu que le réchauffement est acté, et la pollution au CO2 ne s'arrêtera ...

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