"J'ai choisi de devenir pilote parce que les avions m'ont toujours fait rêver. Et puis, je crois énormément en la richesse qu'apportent les voyages. Mais depuis trois ans, je me pose pas mal de questions par rapport à l'impact environnemental du trafic aérien. Cela a créé une dichotomie entre mon envie de devenir pilote d'avion et l'envie de me tourner vers du tourisme plus écoresponsable, plus durable pour essayer de réduire mon empreinte", lance Morgane Maillet, venue témoigner au Paris Air Forum, organisé par La Tribune, en partenariat avec ADP. Le tiraillement exposé par cette étudiante à l'Enac (École nationale de l'aviation civile) à Toulouse est emblématique des questionnements de la nouvelle génération d'étudiants dans les filières aéronautiques.
De futurs ingénieurs qui s'interrogent sur l'empreinte de l'avion
Dans le sillage du mouvement flygskam (honte de prendre l'avion en suédois) initié par Greta Thunberg, le débat enfle autour de l'empreinte environnementale du trafic aérien. Et ce même si ce dernier n'est responsable que de 2 à 3% des émissions de CO2 dans le monde. Alors forcément, les jeunes engagés dans les filières aéronautiques s'interrogent.
"Plus de 700 étudiants de toutes les écoles aéronautiques de France ont signé une tribune publiée en mai 2020 pour dire que la technologie est insuffisante pour diminuer suffisamment les émissions de gaz à effet de serre de l'avion et son impact climatique. Non, on ne peut plus prendre l'avion une fois par an pour aller à l'autre bout du monde ou pour passer un week-end dans une capitale européenne", a lancé Nicolas Bourdeaud, élève à l'Isae-Supaéro à Toulouse qui se définit comme un activiste pro-climatique et par ailleurs membre de l'association La bascule.
Après un dernier voyage en avion début 2020, Nicolas Bourdeaud a décidé de ne plus prendre l'avion. Plus modérée, la future pilote Morgane Maillet a confié : "Personnellement, je continuerai à prendre l'avion. Pour aller à New York, la question ne se pose pas mais peut-être que je m'interrogerai sur le moyen de transport à choisir pour aller en Italie."
Né de parents contrôleurs aériens, Quentin Barascud a intégré l'Isae-Supaéro après avoir passé une partie de son enfance à regarder les avions voler à la tour de contrôle de Roissy. Pour lui, "on ne peut plus utiliser l'avion comme on a eu tendance à le faire ces dix dernières années, pour passer deux week-ends par mois dans des villes européennes, dans un ultra-consumérisme comme s'il y avait des listes de choses à aller voir vite, pour cocher des cases". "Je pense qu'il faut repenser le voyage, passer plus de temps et voyager moins souvent", a-t-il ajouté.
Pour autant, Quentin Barascud fait partie de ces jeunes très enthousiastes quand ils voient les ambitions affichées par Airbus en matière d'aviation décarbonée : "Je suis plutôt optimiste sur le fait qu'en 2035, nous aurons un avion à hydrogène. Je pense que d'ici là, nous serons capables de maîtriser les technologies. Prochainement, il y aura des tests sur des monocouloirs avec 100% de biocarburants."
Un optimisme partagé par Samuel Burguet, passé par le lycée Airbus avant d'intégrer les Mines d'Albi (Tarn) en alternance chez l'avionneur européen. "On fait le procès du secteur aéronautique, mais en effet, c'est un secteur qui est en constante progression. Un avion consomme environ 2,5 litres aux 100 par passager. L'avion à hydrogène constitue un premier pas. Même si, quand on dit zéro émission, c'est zéro émission à l'utilisation, pas à la fabrication. Pour autant, il ne faudrait pas que la cause écologiste devienne un argument marketing", a-t-il estimé.
"Les ingénieurs de demain sont des jeunes comme nous qui sont animés par cette conscience environnementale. Et je pense qu'ils mettront peut-être deux fois plus d'énergie dans des recherches pour trouver des solutions durables pour voyager", a résumé Morgane Maillet.
Pas de crise des vocations dans les écoles
Ce tournant forcé pour le secteur aérien est loin de créer une crise des vocations dans les écoles d'ingénieurs.
"Contrairement à ce que nous pouvions craindre, l'Isae-Supaero n'a pas eu de souci pour recruter des candidats. Paradoxalement, nous avons eu plus de candidats pour les recrutements internationaux. Ce qui passionne les jeunes c'est d'être confronté à des défis aussi passionnants. En un siècle, les ingénieurs ont inventé l'aviation. Ils vont travailler maintenant à la décarboner et ce défi est d'une ampleur et pour les jeunes c'est très excitant", a fait remarquer Olivier Lesbre, directeur général de l'Isae-Supaero.
Denis Mercier est lui président du conseil d'administration de l'École de l'air qui forme des officiers de l'Armée de l'air et de l'espace. Il remarque dans la même veine : "Ces dernières années, nous étions focalisés sur l'objectif de fabriquer plus d'avions et plus vite. Les évolutions actuelles vont réellement contribuer à changer le monde."
Les industriels confiants sur leur pouvoir d'attraction
Un constat partagé un peu plus tôt lors du Paris Air Forum par Patrick Ky, directeur exécutif de l'AESA, l'agence européenne de la sécurité aérienne. Ce dernier a souligné "le buzz suscité par les trois concepts d'avions à hydrogène d'Airbus", avant de livrer une anecdote personnelle. "J'ai deux fils en école d'ingénieurs et ils adorent ces projets. Avoir un avion vert fait rêver et cela va susciter beaucoup de vocations chez les jeunes", pense-t-il.
Même son de cloche du côté d'Olivier Andriès, le directeur général de Safran. "L'aviation a été régulièrement attaquée. Le fait que nous nous engagions vers des avions à hydrogène, des moteurs moins énergivores, cela nous permet de dire : 'Venez chez nous, vous serez acteur de la décarbonation et non pas à l'extérieur, à critiquer".
Pour Guillaume Faury, le directeur général d'Airbus, l'enjeu n'est pas de "réenchanter l'aviation qui génère toujours de la fascination chez beaucoup de gens". "Airbus est restée en 2020 l'entreprise préférée en sortie d'école d'ingénieurs", rappelle-t-il. Mais pour le patron de l'avionneur européen, "le fait de préparer l'aviation décarbonée permet de réconcilier deux impératifs : continuer de voler et respecter la planète".
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