Chronique d'un crash annoncé depuis plus d'un an. Annoncé en juillet 2017 par Angela Merkel et Emmanuel Macron à Toulouse, le futur avion de patrouille maritime européen, le projet MAWS (Maritime Airborne Warfare System), qui devait être lancé dans le cadre d'une coopération franco-allemande, a été touché par deux nouveaux missiles. Toutefois Paris et Berlin ne veulent toujours pas prendre la responsabilité d'enterrer officiellement le projet MAWS, qui était destiné à remplacer les Atlantique 2 (ATL2) indispensables aux missions de soutien de la force de dissuasion (SNLE), et les P-3C Orion allemands. Ce programme avait été annoncé en même temps que cinq autres coopérations entre la France et l'Allemagne : l'avion et le char du futur (SCAF et MGCS), en panne, le drone MALE Eurodrone lancé dans la douleur, et, enfin, le Tigre Mark 3 et le missile MAST-F lâchés en deux temps par Berlin.
Touché par deux nouveaux missiles
L'Allemagne et la France ont planté deux nouveaux clous dans le cercueil de MAWS. Tout d'abord, Berlin souhaite acquérir trois nouveaux appareils américains P-8 Orion après la commande mortelle déjà passée pour cinq appareils (1,77 milliard de dollars), a confié fin juillet le chef d'état-major de la marine nationale, l'amiral Pierre Vandier, lors d'une audition à l'Assemblée nationale. "L'avenir de ce projet est rendu incertain du fait de leur décision unilatérale d'acheter cinq avions américains, des P-8 Poséidon, et du projet d'en acquérir trois autres", a-t-il expliqué aux députés.
En outre, Paris travaille de son côté sérieusement sur un plan B, a expliqué mi-juillet le Délégué général pour l'armement Joël Barre, depuis remplacé par Emmanuel Chiva. "Bien que présenté comme une solution intérimaire (l'achat des P-8 par les Allemands, ndlr), cela a eu pour effet immédiat de nous obliger à remettre sur le métier l'ouvrage de construction du programme en coopération que nous avions imaginé", a indiqué l'ancien DGA aux députés. Le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier a confirmé en juillet lors de la conférence de présentation des résultats semestriels que son groupe "préparait une offre à partir d'un Falcon 10X que nous remettrons à la DGA en pré‐étude dans les semaines qui viennent". La France réfléchit sur ce que pourrait être son futur avion de patrouille maritime. Car personne ne croit à Paris que l'achat de P-8 est une solution provisoire".
"Pour la France, nous sommes dans le money-time, où tout se joue, puisque la durée de vie de l'ATL 2 est limitée par celle de ses moteurs, les turbines Tyne, les mêmes que celles des Transall, qui viennent de prendre leur retraite. Nous devrons donc remplacer cet avion afin d'assurer la continuité des missions de soutien de la dissuasion", a expliqué l'amiral Pierre Vandier. Clairement, la marine nationale a besoin d'un nouvel appareil au début des années 2030. "La turbine Tyne de l'Atlantique 2 est en fin de vie en 2032/2033, donc il faut y aller maintenant, précise-t-on à La Tribune. Donc la question est claire : est-ce que les Allemands sont avec nous ou pas ?"
Le coup de poignard de Berlin
Pourquoi ce programme s'est crashé ? A qui la faute ? A une mauvaise harmonisation des calendriers capacitaires entre la France et l'Allemagne : le remplacement des P-3C Orion à bout de souffle ne pouvait pas attendre celui des ATL2 (2030). "Lorsqu'il est apparu que les avions de patrouille maritime allemands auraient une durée de vie moindre que les nôtres, nous avons proposé à l'Allemagne une solution de transition pour les forces armées allemandes, pour ne pas compromettre ce programme franco-allemand", avait expliqué en mai 2021 la ministre des Armées Florence Parly dans une interview accordée à La Tribune. Aujourd'hui, les Allemands sont un agenda "post 2040" pour un nouveau programme, confie une source proche du dossier.
Le projet MAWS a en outre pâti d'un manque de volonté évident de Berlin de jouer collectif avec Paris, qui a tenté de trouver des solutions à l'achat sur étagère des P-8 américains pour ne pas compromettre ce programme franco-allemand. La France a proposé aux Allemands une solution intérimaire en attendant MAWS à partir d'ATL2 mis au standard 6. Cette solution ne les a pas intéressés. Pire, la France n'a pas eu de réponse. "Nous avons légitimement pensé que cette proposition était intéressante et, qui plus est, s'inscrivait dans une démarche cohérente dans laquelle nous sommes déjà engagés avec les Allemands avec le C-130, dans le cadre de l'escadron franco-allemand de C-130 à Evreux", avait alors précisé la ministre dans cette interview.
Et pour finir, le coup de poignard. Le ministère des Armées s'est fait rouler dans la farine en découvrant ni plus, ni moins que "le Congrès américain s'apprêtait à donner une autorisation de FMS (Foreign military sales, nlr) pour des avions de patrouille maritime P8, qui ne peuvent pas être, de notre point de vue, un gapfiller dans l'attente du MAWS", avait constaté la ministre. Ce qui n'empêche pas aujourd'hui encore les Allemands de jouer avec la France un drôle de jeu. Les Allemands font passer le message qu'ils sont toujours intéressés par MAWS.
C'est clairement le message que le nouveau chef de l'état-major de la marine allemande l'amiral Jan C. Kaack a envoyé à son homologue français, l'amiral Vandier, explique-t-on à La Tribune. Le sous-chef plan de la marine allemande l'a récemment à nouveau rappelé à la marine française. Outre cette question centrale, les Allemands voudront-ils imposer Airbus face à Dassault Aviation pour la plateforme ? "Cette réponse n'a pas été donnée", note-t-on de source proche du dossier. Un nouveau match en perspective entre Dassault et Airbus ? Au-delà, la tactique allemande semble perturber les responsables politiques français, toujours prêts à jouer le jeu de la coopération franco-allemande en dépit des claques reçues.
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