Sécurité : Boeing, la crise de confiance menace

Le régulateur américain de l'aviation civile, qui supervise étroitement le 737 fétiche de Boeing depuis janvier, enquête aussi sur le 787 Dreamliner et le 777, dont l'intégrité des structures a été remise en cause par un ingénieur de l'avionneur, qui a rejeté ses accusations. Résultat : quatre avions du constructeur font l'objet d'une enquête. Ebranlé par les deux accidents mortels du 737 MAX en 2018 et 2019, le constructeur américain semblait avoir réussi à redresser la tête à coups de succès commerciaux. Malgré les annonces et une nouvelle direction, les problèmes s'enchaînent les uns après les autres, épuisant petit à petit le capital de confiance dont Boeing disposait encore. Décryptage.
Léo Barnier
Le 737 MAX est au cœur des déboires rencontrés par Boeing.
Le 737 MAX est au cœur des déboires rencontrés par Boeing. (Crédits : BENOIT TESSIER)

Où la chute de Boeing va-t-elle s'arrêter ? Crash de deux 737 MAX, problèmes de qualité à répétition, arrêt temporaire de la production des 737 MAX, suspensions des livraisons des 737 MAX et des 787, retards de certification sur les 737 MAX 7 et 10 et les 777X... Depuis un peu plus de cinq ans, avant même la survenue de la crise sanitaire qui a largement désorganisé le secteur, le constructeur américain semble entraîné dans une profonde dérive sur le plan de la qualité, de la rigueur et donc de la sécurité. Les enquêtes et audits se multiplient - en particulier sur le 737 MAX - et chaque semaine semble apporter un nouvel élément à charge, à l'image d'écrous mal serrés en décembre, de la perte d'un bouchon de porte en janvier, de la découverte de nouvelles non-conformités sur les fuselages en février et en mars chez Boeing et son sous-traitant Spirit Aerosystems...

Dernier rebondissement en date dans cette saga : les accusations portées par Sam Salehpour, un « ingénieur chevronné » de Boeing, auprès de l'Administration fédérale de l'aviation américaine (FAA). A la suite d'un article du New York Times publié le 9 avril, ses avocates Debra Katz et Lisa Banks, spécialisées dans la défense des lanceurs d'alertes, ont publié un communiqué déclarant qu'il « affirme que la société a ignoré à plusieurs reprises de graves problèmes de sécurité et de contrôle de la qualité lors de la construction des avions 787 et 777 de la société ».

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« Notre client a identifié de graves problèmes de sécurité et a fait tout ce qui était en son pouvoir pour les porter à l'attention des responsables de Boeing. Plutôt que de tenir compte de ses avertissements, Boeing a donné la priorité à la mise sur le marché des avions le plus rapidement possible [...]. Les problèmes techniques identifiés affectent directement l'intégrité structurelle des avions 787 et 777 de Boeing et, s'ils ne sont pas corrigés, ils auront des répercussions sur l'ensemble de l'industrie aéronautique et sur tous ceux qui prennent l'avion », selon les avocates Debra Katz et Lisa Banks, qui représente Sam Salehpour, ingénieur chez Boeing.

Et il fait également mention de « pression sur les ingénieurs pour qu'ils poursuivent la production malgré la présence de défauts non examinés, ce qui constitue un autre exemple de la culture de Boeing qui privilégie le calendrier sur la sécurité. »

Boeing nie les nouvelles accusations

Boeing a répondu concernant le 787, estimant que « les affirmations concernant son intégrité structurelle sont inexactes et ne sont pas représentatives des travaux exhaustifs accomplis par Boeing pour garantir la qualité et la sécurité à long terme de cet avion ». Le constructeur a néanmoins joué une certaine forme de prudence en se plaçant sous l'autorité (et donc la responsabilité) du régulateur : « Les questions soulevées ont fait l'objet d'un examen technique rigoureux sous la supervision de la FAA. Cette analyse a validé le fait que ces questions ne constituent en aucun cas un problème de sécurité et que la durée de vie opérationnelle de l'avion sera assurée pendant plusieurs décennies. »

Le 787 avait notamment vu ses livraisons suspendues pendant 20 mois en raison de problèmes de qualité et de défauts de fabrication à répétition. Après la découverte de premiers défauts en septembre 2020, l'avion s'est retrouvé sous la loupe de la FAA, particulièrement vigilante à l'encontre du constructeur depuis le scandale entourant la certification du 737 MAX. Les livraisons ont été ainsi suspendues entre novembre 2020 et avril 2021, puis entre mai 2021 et août 2022.

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Boeing s'est montré beaucoup plus ferme sur le 777, qui apparaît jusqu'ici comme l'un des avions les plus sûrs au monde : « Nous avons une confiance absolue dans la sécurité et la durabilité de la famille 777. Ces allégations sont inexactes. » De même, il a réfuté toute mesure disciplinaire, affirmant continuer « à suivre ces questions (concernant le 787) dans le cadre de protocoles réglementaires établis et encourageons tous nos employés à s'exprimer lorsqu'un problème survient. Les mesures de représailles sont strictement interdites chez Boeing. »

A l'heure actuelle, ces faits ne sont pas avérés. Mais l'alerte est suffisante pour que la FAA ordonne l'ouverture d'enquêtes sur les programmes 787 et 777. « Nous enquêtons de manière approfondie sur tous les signalements », a indiqué l'Administration, sans commenter ce dossier spécifiquement, dans une déclaration transmise à l'AFP. Ces investigations s'ajoutent à celles déjà ouvertes sur le 737 MAX. Résultat, quatre avions du constructeur font l'objet d'une enquête.

Vers une crise de confiance

Les résultats de ces enquêtes seront scrutés de près par le monde de l'aérien, Boeing bien sûr, les compagnies aériennes, les sous-traitants..., le monde financier, mais aussi par le monde politique, le Congrès américain étant très impliqué dans les processus de régulation et enfin par les passagers.

Et c'est peut-être l'un des phénomènes les plus marquants : une véritable crise de confiance pourrait s'installer entre les passagers, d'habitude peu enclins à aller chercher le type d'appareil sur lequel ils vont voler. Boeing devient ainsi petit à petit synonyme de risque dans les conversations. Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux, notamment à travers la diffusion massive de vidéos et d'images d'incidents concernant des Boeing. Si des événements comme la perte d'une roue ou le détachement d'un capot moteur ne sont pas négligeables, leur retentissement prend une dimension exacerbée et retombe systématiquement sur le constructeur avant même que les enquêteurs aient eu le temps de tirer la moindre conclusion.

Le fait est qu'une partie des passagers pourraient finir par ne plus voler sur des appareils de l'avionneur américain. Des appels à ne pas voler sur Boeing et à boycotter l'avionneur ont déjà commencé à fleurir sur les réseaux sociaux.

Le 737 MAX continue à se vendre

Comme tout phénomène médiatique, cela peut néanmoins retomber rapidement. Ce qui fera sans doute office de juge de paix sera la confiance accordée par les compagnies aériennes. Pour l'instant, Boeing a montré sa capacité à continuer à vendre des avions malgré les difficultés. Le constructeur a vendu près de 100 exemplaires de 737 MAX depuis le début de l'année.

Surtout depuis 2019, et le deuxième accident mortel 737 MAX en quelques mois, Boeing a reçu des commandes pour près de 2.700 exemplaires. Malgré 346 morts, la mise en lumière d'importantes dérives dans la conception de l'appareil et la mise en cause directe de Boeing, le 737 MAX est donc l'un des avions qui s'est le mieux vendu de l'histoire avec quasiment 8.000 commandes fermes dont plus de la moitié reste à livrer.

Même si Boeing dispose donc d'un matelas plus que confortable, avec des années de production devant lui, cela ne l'empêche pas de subir les conséquences de la crise. Outre le fait que l'écart avec Airbus continue de croître sur le plan des commandes, le constructeur américain a vu sa production s'effondrer en ce début d'année : seuls 83 appareils livrés, contre 130 l'an passé à la même période. Ce qui aura des répercussions sur les résultats.

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Conséquences directes

Dès la fin mars, Brian West, son directeur financier, a prévenu lors d'une conférence aux investisseurs que la marge opérationnelle de la division Avions commerciaux serait dans le rouge. Elle plongerait ainsi aux alentours de -20 %, contre -9 % au premier trimestre 2023. Si le premier trimestre est rarement le plus positif avec un ralentissement des livraisons après une fin d'année généralement très chargée, un tel niveau de pertes se ferait sentir sur l'année entière. Sans compter la chute du cours de bourse, qui a perdu plus de 30 % depuis le début de l'année, et près de 5 % depuis la révélation des accusations de Sam Salehpour. Enfin Boeing doit résoudre sa crise de gouvernance. Nommé en 2020 pour redresser la barre après la crise provoquée par les deux accidents mortels du MAX, Dave Calhoun a annoncé fin mars qu'il jetait l'éponge. Le directeur général de Boeing quittera ses fonctions d'ici à la fin de l'année 2024. C'est également le cas de Larry Kellner, président du conseil d'administration indépendant, en poste depuis fin 2019, qui sera remplacé par Steve Mollenkopf.

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Et dans ce grand ménage, Stan Deal, directeur général de Boeing Commercial Airplanes a pris sa retraite après 38 ans passés au sein du constructeur américain. Il est remplacé avec effet immédiat par Stephanie Pope, pourtant nommée directrice des opérations il y a tout juste deux mois après avoir occupé la tête de Boeing Global Services, l'une des trois grandes divisions du groupe.

Boeing va donc devoir se trouver un nouveau directeur général pour sortir de l'ornière. Et la tâche ne sera sans doute pas aisée, entre la nécessité de connaître le secteur et l'entreprise d'un côté, et de l'autre la défiance qui pourrait s'exprimer à l'égard d'un candidat interne et donc partie prenante de la dérive actuelle. Malgré ce dilemme, Stephanie Pope - 51 ans dont près de 30 chez Boeing - fait figure de successeure toute désignée depuis sa nomination à la direction des opérations, en encore plus depuis qu'elle a repris les rênes de la division Avions commerciaux.

Léo Barnier

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Commentaires 2
à écrit le 11/04/2024 à 8:47
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Les déboires de Boeing ou la porte grande ouverte (sans mauvais jeu de mots) à l'avion chinois C919 ..Le malheur des uns fait le bonheur des autres...Airbus ne pourra pas "récolter" les commandes hypothètiques de Boeing vu que l'appareil de productio...

à écrit le 11/04/2024 à 8:17
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Non mais vous rigolez c’est un euphémisme, quand au lieu de faire des avions fiables on tue le messager qui dit "attention danger" c'est qu'on est complètement à côté de la plaque dans le déni total d'un problème d'une gravité absolue. Le pognon les ...

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