
Soutenue par le ministre en charge des Transports Clément Beaune, la taxe sur le transport aérien actée dans le projet de finances 2024 fait grincer les dents de toute l'industrie aéronautique. Ainsi, après le coup de gueule de la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (Fnam), c'est au tour du directeur général de Safran Olivier Andriès de regretter vendredi lors d'une rencontre avec l'Association des journalistes professionnels de l'aéronautique et de l'espace (AJPAE), « cette politique qui consiste à toujours taxer celui qui prend l'avion pour aller subventionner un établissement public en déficit ». « On ne prend pas ça avec enthousiasme et satisfaction. Il faut être clair », a-t-il expliqué.
« L'avion est un vecteur de liberté et de communications. Il est aussi un vecteur de paix parce qu'il est un vecteur de communications entre des cultures différentes et des mondes différents », a souligné le directeur général de Safran.
Déjà 50% de taxes sur un billet en France
Alors que l'industrie aéronautique française, l'une des plus performantes au monde, s'est lancée depuis plusieurs années dans un effort technologique majeur, notamment Safran en tant que motoriste, en faveur de la décarbonation de la filière pour réduire ses émissions carbone (2,5% des émissions au niveau mondial), cette énième taxe sur l'aviation, si elle est adoptée par le Parlement, pourrait devenir un frein pour l'industrie pour deux raisons : le financement de cette taxe pénalisera les efforts de la filière en faveur de sa décarbonation ; le pouvoir d'achat des passagers, appelés à mettre la main à la poche pour acheter des billets plus chers, va être une nouvelle fois impacté au détriment de l'avion. D'autant que sur le prix d'un billet pour des liaisons intérieures françaises ou européennes, « il y a pratiquement la moitié déjà de taxes et de redevances », a rappelé début septembre le président de la Fnam, Pascal de Izaguirre.
« Les secteurs qui émettent plus de gaz à effet de serre, la route, l'avion vont se décarboner et vont financer les secteurs les moins polluants », s'est défendu le ministre tout en soutenant que que cette taxe « n'est pas pour punir un mode de transport et en financer un autre »... Le ministre en charge des Transports a d'ailleurs confirmé que le prochain projet de loi de finances comprendrait des taxes sur les sociétés d'autoroute et les billets d'avion.
Or, l'aéronautique est bien sur la voie de la décarbonation, qui reste le grand sujet stratégique de la filière. « Notre engagement collectif est de décarboner l'aviation à l'horizon 2050 », a rappelé Olivier Andriès. Et la filière peut s'appuyer sur les grandes annonces d'Emmanuel Macron « pour financer les efforts de décarbonation de l'aviation », a-t-il précisé. L'industrie aéronautique souhaite accélérer le développement des technologies et compte concevoir des architectures disruptives. C'est d'ailleurs ce que demandent les Français. 80% d'entre eux ont confirmé leur volonté de monter dans des avions équipés de nouvelles technologies pour les rendre moins polluants en CO2, selon le baromètre de l'institut IFOP pour le Groupe ADP, en partenariat avec La Tribune.
Pour décarboner le transport aérien, Olivier Andriès mise énormément sur les carburants durables et surtout sur la hausse de la production. « La bonne nouvelle est que tout le monde a pris conscience de l'importance des carburants durables pour décarboner l'aviation. Tout le monde a bien conscience que ce serait très difficile de décarboner l'aviation sans les carburants durables », a-t-il expliqué. « Il n'y a pas de difficultés techniques sur les carburants durables. Aujourd'hui, les moteurs d'avions sont capables d'opérer avec 50% de carburants durables. Les nouvelles générations de moteurs et d'avions seront capables de fonctionner avec 100% de carburants durables ».
L'exception française
Olivier Andriès a donc regretté la vision française sur l'aviation. « Ce qui est frappant, c'est cette vision qu'on a en France sur l'aviation qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde, a-t-il souligné. Quand je vois ce qui se passe dans d'autres régions du monde, on n'est pas du tout dans la même dynamique ». Il a notamment cité les Etats-Unis où pourtant l'industrie aéronautique américaine s'est lancée elle aussi dans la voie de la décarbonation sans pour autant être taxée. Le patron de Safran a donc « dû mal à comprendre cette communication autour de l'aviation » en France. D'autant que la demande pour voyager est « forte » surtout après le Covid. Partout dans le monde, à l'exception de l'Europe, le niveau du trafic aérien dépasse celui de 2019, soit le monde d'avant le Covid.
Il a également évoqué l'Inde où il y a une croissance du trafic « extraordinaire ». Pour accompagner cette croissance, les compagnies aériennes indiennes ont d'ailleurs commandé plusieurs centaines d'avions. Ainsi, Indigo a annoncé au salon du Bourget en juin dernier une commande record à Airbus de 500 avions de la famille A320. De son côté, Air India a signé un chèque en juin également pour l'achat de 470 avions, dont 250 Airbus. « Les nouvelles classes moyennes en Inde sont ravies d'accéder à l'avion », a d'ailleurs expliqué Olivier Andriès. « Ceux qui voient l'avion comme juste étant un vecteur de mobilité pour des populations très favorisées, se trompent. L'avion s'est démocratisé avec les compagnies low cost », a-t-il souligné.
« Aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui peuvent voyager pour pas cher. L'avion coûte parfois moins cher que le train. L'avion permet aussi de faire des liaisons transversales, notamment sur le territoire français que le train ne s'est pas faire », a-t-il fait valoir
L'aéronautique attire toujours
En dépit de la volonté de certains d'ostraciser cette industrie, l'aéronautique reste une industrie attirante, s'est félicité Olivier Andriès. Pour preuve, le salon aéronautique du Bourget a attiré beaucoup de visiteurs. « Cela montre que l'aéronautique attire toujours. Cela nous a permis, nous Safran, de recruter et d'avoir des CV. On a reçu beaucoup de CV de personnes qui étaient encore très attirées par l'aéronautique et qui souhaitaient venir dans l'aéronautique. C'est une bonne nouvelle », a souligné le directeur général de Safran. En 2022, Safran a recruté dans le monde 17.000 nouveaux collaborateurs, dont près de 4.500 en France. Cette année, le motoriste et équipementier souhaite recruter autant de salariés en dépit de quelques tensions sur le marché de l'emploi (soudeurs, chaudronnier, techniciens de maintenance...)
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